Dans le cadre du cycle de conférences « Jardin et Patrimoine », l’association VMF a organisé, en juillet dernier, un webinaire au sujet de l’impact du réchauffement climatique sur les jardins. Cette conférence a été animée par l’architecte-paysagiste Michel Audouy.
L’empreinte des activités humaines sur le paysage s’accélère. Le réchauffement climatique, causé par l’accroissement des taux atmosphériques de gaz à effet de serre d’origine anthropique (CO2, CH4, N2O…), est aujourd’hui au centre des préoccupations. Tous les jardiniers, agriculteurs ou protecteurs de l’environnement peuvent témoigner des répercussions de cette évolution déjà amorcée. L’une des conséquences les plus manifestes est la perturbation du rythme des saisons. Des périodes de chaleur et de sécheresse sont observables dès le printemps, puis durant tout l’été. En automne, la pluie se fait globalement plus rare, mais des orages très intenses peuvent frapper localement. Les hivers, de plus en plus tempérés, privent de repos végétatif certaines espèces, entrainant des floraisons précoces qui sont ensuite souvent ravagées par des gelées tardives, comme en avril 2021. Il demeure difficile de prévoir exactement la manière dont les conditions climatiques vont être bouleversées, mais les experts prévoient l’avènement de périodes de sécheresse de plus en plus longues et des périodes, où inversement, il pleuvra abondamment.
Lors de sa conférence, Michel Audouy a discuté de l’impact du réchauffement climatique sur l’avenir et l’entretien des jardins privés comme historiques. Dans un premier temps, l’architecte-paysagiste a présenté des exemples de jardins remarquables issus des zones sèches du globe, afin de mettre en lumière comment la rareté de l’eau a été une condition à laquelle les jardiniers ont toujours été confrontés. Ensuite, il a été question des perspectives de la gestion des jardins. À ce sujet, selon Michel Audouy, la notion d’adaptation est aujourd’hui fondamentale. En effet, des stratégies d’adaptation au réchauffement climatique doivent se joindre aux actions de lutte contre les causes anthropiques du phénomène. Depuis une vingtaine d’années, de plus en plus de jardiniers et paysagistes tiennent compte de ces questions dans leurs créations ou restructurations de jardins, essayant de réfléchir à la meilleure façon de s’adapter aux changements climatiques en cours et à venir.
LA RARETÉ DE L’EAU DANS L’HISTOIRE DE L’ART DES JARDINS
Il est évident que les jardins sont aujourd’hui mis à rude épreuve par les déficits hydriques causés par les sécheresses estivales. Toutefois, la question de la sécheresse a toujours été présente dans l’art des jardins, et en particulier au Proche et Moyen-Orient. Dans ces régions semi-désertiques, l’humanité a su créer des jardins d’agrément tout en s’appuyant sur la rareté de l’eau, ce qui a donné lieu, au cours de l’histoire, aux formes les plus intéressantes. En effet, dans les pays où les périodes sèches sont depuis tous temps naturellement longues (environ six mois de l’année), l’économie de l’eau, son stockage et sa distribution sont depuis toujours au cœur de la conception des jardins. La forme de ces derniers est alors essentiellement dictée par le parcours de l’eau. Cette ressource étant au départ agricole, l’agriculture se révèle être aux sources des formes des jardins. Des jardins d’agréments remarquables, comme ceux de l’Alhambra à Grenade, reprennent en effet la structure des jardins agricoles et des oasis, tout en étant ornés d’éléments extrêmement esthétiques permettent d’irriguer l’ensemble des jardins à partir de citernes ou bassins.
Ces endroits de rétention sont alors à la fois des éléments utilitaires et des éléments de décor. L’eau peut ainsi être emmagasinée par les formes les plus raffinées comme les plus rustiques : il peut s’agir de simples citernes ou bien des bassins-merveilles, comme celui de la Ménara à Marrakech ou celui de l’Alhambra à Grenade, ou encore d’éléments extrêmement esthétiques et raffinés comme dans les jardins d’Albertas ou au château d’Arnajon. L’eau est donc souvent mise en scène dans les régions où elle est rare, pouvant être célébrée par d’autres formes particulières. Par exemple, les buffets d’eau, les nymphées ou les rochers moussus, de tradition provençale, visent à donner une image de fraîcheur là où la nature environnante est particulièrement sèche. Tonnelles, allées arborées ou encore arbres taillés en plateau ou en gobelet constituent d’autres formes végétales créant de la fraîcheur. Le système de strates de grands arbres apportant de l’ombre aux plus petits arbres et plantes herbacées des strates inférieures est le même que l’on retrouve depuis tous temps dans les oasis. Ainsi, s’intéresser à la façon dont l’humanité à géré la rareté de la ressource hydrique peut aider à trouver des réponse aux enjeux écologiques de notre époque.
LES JARDINS À L’AUNE DE L’ÉVOLUTION CLIMATIQUE
Comment envisager la gestion de jardins contemporains à l’aune de l’évolution climatique ? Michel Audouy indique quelques éléments à prendre en compte afin d’assurer un accompagnent des espaces verts dans leur adaptation au réchauffement du climat. D’une part, il souligne l’importance de prêter attention à l’origine des différents végétaux et à leur capacité de s’adapter à une situation locale. D’autre part, il considère l’acclimatation comme étant l’une des solutions pour garantir une biodiversité satisfaisante. De ce point de vue, les jardins botaniques peuvent constituer une réponse au réchauffement climatique. En effet, ces jardins sont de véritables encyclopédies : des réservoirs de graines et plantes dans lesquels il sera possible de puiser la palette végétale du futur. Ces jardins rendent possible l’observation de plusieurs espèces dans leur milieu ainsi que leur capacité à s’adapter à d’autres. Par exemple, le nouveau jardin botanique de Bordeaux présente une collection de plantes, mais aussi une galerie des milieux de la région Aquitaine : les dunes, les landes, les zones argilocalcaires, ainsi que d’autres milieux liés à des sols spécifiques.
Ce jardin aquatique constitue une partie du grand jardin botanique de Bordeaux. Inauguré en 2003, il a reçu entre autres le prix européen du paysage Rosa Barba. La galerie des milieux met en valeur les sols et la flore de la région Aquitaine. Le jardin compte également des serres et un arboretum. © Vivre à Bordeaux
Outre stocker l’eau en vue de sa redistribution, lutter contre les déficits hydriques passe par la substitution de certains végétaux en faveur de variétés capables de mieux supporter ces aléas climatiques. Le choix des essences est tout particulièrement important dès lors qu’il s’agit d’arbres, dont la plantation constitue un projet de longue haleine, ces derniers devant perdurer pendant plus de 50 ans, voire des siècles. Ainsi, des espèces qui, même si naturellement présentes, faiblissent, comme les boulots, les tilleuls ou les chênes, devraient être remplacées par d’autres variétés plus tenaces, comme les chênes cerris, verts ou blancs, les peupliers blancs ou les trembles, les érables, les muriers, les gleditsia, les micocouliers de Provence, les pins parasols ou les marronniers pavia. Lors de la replantation du canal du Midi, on a notamment pris soin de choisir, pour le remplacement des plantes, des essences plus résistantes à la sécheresse. Ces remplacements sont d’autant plus nécessaires car dans des ensembles monospécifiques les risques de déséquilibres sanitaires sont plus élevés. Un ensemble d’arbres fragilisés par la sècheresse est en effet plus susceptible d’être attaqué par des insectes (comme les charançons des chênes) ou d’être victime de maladies.
La diversification, avec l’introduction d’essences plus résistantes provenant par exemple de Turquie ou du Caucase, participe donc à un intérêt écologique. Ainsi, les palettes évoluent et on observe ces arbres apparaître peu à peu en milieu forestier ou même dans le cadre du renouvellement des essences de jardins historiques, comme dans les jardins des Tuileries ou du Luxembourg. En effet, ces questions d’adaptation se posent tout particulièrement en matière d’entretien et de gestion de jardins où, depuis des siècles, on s’efforce de sauvegarder une structure d’origine. Des solutions sont tout à fait possibles. Par exemple, au jardin du Luxembourg, des chênes cerfs, des platanes d’Orient et des merisiers ont diversifié la palette végétale tout en préservant l’échelle et la symétrie de l’aménagement d’origine.
Au jardin du Luxembourg, des centaines de marronniers ont été remplacés par des arbres plus adaptés aux temps secs et chauds, des micocouliers de Provence. Des jeunes pousses exotiques apparaissent dans ce jardin à la française sans le bouleverser : des pagodes (Japon), des érables de Cappadoce (Turquie), des chênes chevelus et des charmes faux houblon (Europe méridionale), ou encore des savonniers (Chine). © Unpetitpoissurdix
Un exemple particulièrement heureux de réhabilitation de jardin historique est celui du château de Picomtal, à Crots, prix VMF 2015. Dans la région des Hautes-Alpes, le climat méditerranéen de montagne se révèle souvent problématique car très froid en hiver et très sec en été, jusqu’à l’automne. Le paysagiste Loïc Pianfetti, grâce à différents documents ainsi qu’à des fouilles archéologiques, a pu reconstruire le jardin tel qu’il l’était au XVIIIe siècle. Recréé en 2006, ce dernier présente aujourd’hui une palette adaptée aux conditions locales, composée essentiellement de graminées qui s’intègrent tout à fait dans son aménagement d’origine.
Le jardin des Tuileries constitue un autre exemple de gestion suivant une politique d’adaptation. Deux tiers des espaces qu’on y a développé depuis le XIXe siècle sont aujourd’hui fragilisées par le tassement des sols (causé par le piétinement continu des visiteurs) et par les sécheresses estivales, touchant en particulier les marronniers d’Inde. Face à ces difficultés, les responsables du jardin agissent en introduisant de la diversité. Le bosquet a ainsi été régénéré avec des espèces d’essences rustiques, comme des merisiers, des charmes, des ormes ou des sureaux. De plus, les plantes horticoles ont été remplacées par un tapis de lavande.
Variété des feuillages et des fleurs : la palette des jardins de Picomtal montre toute sa richesse. © Philippe Perdereau Le parterre nord-est du jardin régulier, où l’on voit se mêler différents types de plantes rustiques. Au premier plan des Kniphofia, appelés aussi « tison de Satan », puis des Melica ciliata et, au fond, des Eremurus, ou « lis des steppes », aux longs épis de petites fleurs jaunes. © Philippe Perdereau
Au château de Chambord, les jardiniers ont essayé de faire face au dépérissement des bordures de buis en les remplaçant par du thym. Les essais ne sont pas toujours faciles, mais la volonté d’innover, même sur un terrain historique, a le mérite de répondre aux enjeux écologiques de notre temps.
À Versailles, le bosquet du Théâtre d’eau, conçu par André Le Nôtre entre 1671 et 1674, a été récemment réhabilité par le paysagiste Louis Benech à travers la plantation d’espèces résistantes, comme des chênes verts et des Phillyrea. Ici des espèces végétales poussant spontanément en France sont associées à d’autres provenant d’autres continents, par exemple d’Asie (Aralia elata, glycine). Des variétés dont les floraisons ont lieu principalement au cours des mois « sans feuilles » complètent le nouveau sous-bois où la promenade sera, à terme, vivante et esthétique à toutes les saisons, y compris en hiver.
Enfin, dernier exemple d’expérimentation sur un terrain historique, le parterre du jardin du Grand Trianon, toujours à Versailles, s’est paré des couleurs de l’Afrique le temps de l’été, et jusqu’au mois d’octobre 2020. Une végétation luxuriante, composée de nombreuses essences exotiques, de plantes et de fleurs originaires d’Océanie, de Chine et d’Asie tropicale, s’est acclimatée dans un jardin historique.
La diversification de la palette végétale des plantes indigènes par le biais de l’acclimatation peut constituer une stratégie de réponse au réchauffement climatique. L’écosystème local peut être enrichi par l’implantation d’espèces lointaines retrouvant des conditions proches ou équivalentes à celles de leurs zones d’origine. De nombreux jardins conçus dans les dix dernières années tiennent compte de ces questions. Par exemple, le célèbre paysagiste Jean Mus, installé à Grasse, insiste sur l’importance de jardiner avec l’existant, tout en essayant de l’enrichir avec des végétaux acclimatés. Dans ses jardins, ancrés dans la tradition des jardins du Midi, des plantes issues de la végétation locale environnante cohabitent avec des plantes exotiques, dont succulentes et cactées.
Le pavillon de Galon à Cucuron, prix Jardin contemporain & patrimoine VMF en 2019, constitue un exemple inspirant. Ce jardin a en effet été réhabilité en puisant dans toutes les ressources des biomes méditerranéens, c’est-à-dire des régions dans le monde où l’on retrouve des conditions équivalentes au climat et aux types de sols de la Méditerranée. Ainsi, dans ce domaine provençal, il a été possible d’acclimater une palette de plantes provenant d’Afrique du Sud. Ce magnifique jardin est ainsi adapté à la sécheresse et n’a besoin d’être arrosé que ponctuellement.
Le pavillon de Galon est un pavillon de chasse du XVIIIe siècle situé dans le Luberon. Ses jardins on été plantés en 2004 et constituent une belle réinterprétation des jardins à la française. Ils ont été classés jardins remarquables en 2010 par le ministère de la Culture et ont reçu en 2019 le Grand prix national VMF de la création et du patrimoine. © Le pavillon de Galon
La sécheresse peut être aussi mise en scène, donnant des résultats très esthétiques. Dans des régions du monde comme l’Australie, la Californie, le Maroc ou la Grèce, les paysagistes travaillent avec les conditions les plus dures qui soient, tout en obtenant des effets tout à fait intéressants et graphiques. En France, Michel Audouy cite le domaine du Rayol, où le paysagiste Gilles Clément a installé ce qu’il appelle « les jardins des méditerranées », recréant des paysages issus du biome méditerranéen ainsi que des paysages à climat plus aride ou subtropical. Cela constitue un véritable « index planétaire » des régions du monde biologiquement semblables et pourtant si éloignées.
Le jardin des migrations du Mucem est un autre jardin remarquable. Ce jardin niché au cœur du fort Saint-Jean, à Marseille, a été lauréat des Victoires du paysage 2014 dans la catégorie « Collectivités – Jardin urbain ». Réalisé par l’agence de paysage APS, avec l’aide du pépiniériste Olivier Filippi et de la botaniste Véronique Mure, ce jardin propose une perspective sur les migrations des plantes, retraçant l’histoire méconnue d’espèces emblématiques ayant une origine plus exotique qu’on ne le croirait. En effet, des plantes considérées identitaires ou patrimoniales ont été en réalité amenées par l’homme, le vent ou les oiseaux, et se sont ensuite lentement intégrées. La garrigue elle-même est moins naturelle qu’on pourrait le croire. L’influence continue des activités humaines sur le paysage fait que l’écosystème noue des liens étroits avec la civilisation. Ainsi l’histoire des plantes et du paysage méditerranéen se confond avec l’histoire de l’homme. Ces jardins, mettant en lumière le lien étroit entre les cultures et les paysages autour de la Méditerranée, invitent à réfléchir aux notions de perméabilité, de migration et d’évolution, participant à la conception de l’environnement naturel de demain.
QUELLES STRATÉGIES ?
La création de jardins adaptés au réchauffement climatique commence par le choix des végétaux le composant, indigènes comme acclimatés. Michel Audouy présente des palettes de végétaux résistants à la fois au froid et à la sécheresse. Toutes les plantes issues du biome méditerranéen en font partie. Les graminées, peut-être parfois surutilisées ces dernières années, ont une remarquable capacité à se developper et à supporter la sécheresse. L’arbuste Philaire angustifolia peut remplacer le buis grâce à sa résistance au froid et à la pyrale. Des plantes vivaces herbacées peuvent être aujourd’hui utilisées dans des plates-bandes particulièrement élaborées, comme ceux du paysagiste américain Cassian Schmidt, inspirés des prairies naturelles d’Amérique du Nord. De même, Olivier Filippi s’est beaucoup inspiré de la nature et tout particulièrement de la garrigue méditerranéenne, qu’il recrée en aboutissant à des compositions très graphiques et à des effets de ton et de couleur très harmonieux. Sa pépinière, créée en 1984, est aujourd’hui une référence en matière de plantes supportant des conditions difficiles.
Une autre piste est celle d’une gestion plus naturelle des jardins, afin de mieux les conduire dans le temps. Une administration plus souple de ces espaces verts peut en effet assister les végétaux qui les composent. Par exemple, plus un sous-bois est géré naturellement, moins les végétaux vont être fragilisés. Ainsi, plutôt que l’ensemble d’un tapis de verdure, il vaut mieux n’en tondre que le passage. Ne faucher que par endroits va contribuer à pallier le sol, à l’enrichir et à prévenir contre les stress hydrique. Aussi, il est évidemment souhaitable de préférer des arbres poussant de façon spontanée. Enfin, le paillage peut aider à éviter le désherbage (le désherbage chimique étant d’ailleurs désormais interdit) et à préserver un peu de fraîcheur à la saison sèche.
Au sujet de la question centrale de l’arrosage, il est important d’arroser copieusement sans pour autant habituer les plantes à un arrosage permanent. Il serait utile de renouer avec les conques, technique qui fait écho à l’irrigation des oasis, et qui est particulièrement adaptée aux plantes ou arbres nouvellement plantés. En créant des creux qui seront remplis d’eau, on peut donner aux plantes toute l’eau dont elles auront besoin, tout en arrosant qu’une fois tous les dix jours. En laissant sécher entre deux apports d’eau conséquents, le système racinaire est encouragé à aller puiser en profondeur dans le sol et à s’y ancrer. Enfin, des tontes moins fréquentes et des tailles moins sévères peuvent préserver les caractéristiques du milieu et rendre le jardin plus résistant à la sécheresse.
Pour conclure, Michel Audouy souligne comment de nombreux milieux naturels peuvent être des sources d’inspiration, et que l’une des façons de s’adapter le plus efficacement au réchauffement climatique consiste à emprunter les palettes végétales d’autres parties du monde. Il insiste également sur l’importance des jardins botaniques, précieux réservoirs dans lesquels il est possible de puiser énormément de plantes qui ne sont pas, ou peu, utilisées aujourd’hui. L’acclimatation et la diversification pourront permettre de préserver des jardins historiques et d’en créer des durables, de sauvegarder des héritages et de créer des jardins novateurs, qui répondent aux enjeux écologiques d’aujourd’hui et de demain.
Michel Audouy est professeur à l’École nationale supérieure de Versailles, secrétaire général de la Fédération française du paysage et président délégué de Val’hor, mais aussi membre du conseil d’administration des VMF et membre du jury du Prix VMF Jardin.