Face au vieillissement des congrégations, comment redonner du sens aux édifices, souvent immenses, et parfois classés, qu’elles ont construits.
Au couvent de Saint-Jean-de-Bassel, au nord-est de la Moselle, les sœurs de la Divine Providence n’ont pas attendu la COP26 pour s’intéresser à la biodiversité et se préoccuper de transition énergétique. Voilà déjà un bon moment qu’elles chantent les louanges de la création en cultivant un vaste potager et un grand verger qui les nourrissent en partie, elles et leurs hôtes, le reste de leur alimentation provenant, le plus possible, de circuits courts. Bien décidées à regarder la réalité en face, elles ont affronté les questions qui minent beaucoup de congrégations apostoliques depuis ces vingt dernières années. Face à la crise des vocations en France et la sécularisation de la population, que faire du patrimoine bâti inutilisé, avant qu’il devienne inutilisable, faute de moyens humains et financiers pour l’entretenir ? Comment le faire vivre et continuer à lui donner du sens ? Cela implique d’accepter que la communauté vieillit et de préparer, dans ces lieux chargés de son histoire, un avenir où elle ne sera peut-être plus là. C’est courageux.
Dans cette ancienne commanderie où avaient vécu les chevaliers de l’ordre de Malte jusqu’à la Révolution, les sœurs, installées en 1827 pour se mettre au service des plus pauvres, et des soldats pendant les guerres qui ont ravagé cette région frontalière, ont transformé les bâtiments tout au long des XIXe et XXe siècles. Aujourd’hui, si la communauté vit surtout au Congo, à Madagascar, en Équateur… une cinquantaine de sœurs vivent encore à Saint-Jean-de-Bassel, organisent des séjours spirituels, reçoivent des groupes. Pourtant, avant l’été, elles ont lancé un appel : elles sont prêtes à accueillir des projets qui permettent de vivre selon les encycliques du pape François Laudate Si et Fratteli Tutti, c’est à dire des projets écologiques et fraternels.
Si on leur propose un projet porteur de sens et pérenne, tous les espaces, sauf ceux réservés à la vie religieuse, pourront être loués.
François-Xavier Choutet, directeur fondateur de Karism Conseil
« Si on leur propose un projet porteur de sens et pérenne, tous les espaces, sauf ceux réservés à la vie religieuse – soient près de 9 000 mètres carrés – pourront être loués, ou vendus, le parc de 5,3 hectares restant un espace ouvert à tous » précise François-Xavier Choutet, qui les accompagne dans cette démarche. Après huit ans passés à la Croix-Rouge, cet ingénieur de formation s’est spécialisé depuis 2014 dans le conseil aux institutions chrétiennes et a créé le cabinet Karism Conseil, dédié à l’accompagnement des institutions chrétiennes.
« À côté des quelque 3 000 moniales vivant dans les monastères, il y a environ 30 000 sœurs apostoliques, qui s’occupaient d’éducation, d’hôpitaux, de maisons de retraites… explique-t-il. Il faut accepter l’idée que beaucoup de ces congrégations vont mourir en France. Elles sont en train de vivre une transition profonde. Elles doivent passer le relais vers les pays du Sud et transmettre leur charisme à des laïcs. Nous les aidons à discerner ce qu’elles souhaitent faire de leur patrimoine bâti, quels sont les enjeux, leurs rêves, leurs attentes, les fragilités et les atouts des lieux. Mais nous ne sommes en aucun cas agents immobiliers. Nous ne nous occupons pas des ventes, s’il y en a. »
La fondation « Les projets de Saint-Joseph » a été lancée pour créer des liens entre les congrégations qui cherchent des projets pour faire vivre leur patrimoine, les associations et les particuliers. À Saint-Jean-de-Bassel, un premier projet d’insertion par le maraichage se met en place avec l’association Assajuco-Emmaüs. Au Cantaous, dans les Pyrénées, les sœurs de Saint-Joseph de Tarbes qui ne souhaitaient pas vendre leur patrimoine mais ne pouvaient plus le faire vivre seules, ont mis 8 000 mètres carrés et 10 hectares de terrain à disposition des porteurs de projets. Une véritable dynamique s’est créée autour de cinq projets : il y aura bientôt, en plus de l’école, de l’Ehpad, du musée, du chantier d’insertion, une colocation entre personnes âgées.
Il faut accepter l’idée que beaucoup de ces congrégations vont mourir en France. Elles sont en train de vivre une transition profonde.
François-Xavier Choutet, directeur fondateur de Karism Conseil
De la même manière, après le départ des dernières religieuses en 2016, un couvent de Douai a pu être racheté et transformé avec l’aide de subventions et l’implication de bénévoles, par l’association « Habitat et Humanisme », créée en 1985 par le père Bernard Devert. Grâce à ce mouvement, le vieux Carmel, adapté en habitat social, est sur le point de revivre. Les travaux, commencés à l’automne dernier, devraient s’achever au printemps. Vingt-six appartements de deux pièces et onze de trois pièces, dans lesquels seront logés des personnes âgées à revenus modestes, des familles monoparentales avec un ou deux enfants, des jeunes qui démarrent leur vie active, des étudiants…L’architecte a conservé beaucoup de murs anciens, la cloche, véritable patrimoine sonore du quartier, et les vitraux, restaurés par le maître verrier Judith Debruyn. Le cloître restera un lieu de passage où tous pourront se retrouver. Des associations seront présentes pour aider ceux qui en ont besoin. L’ancien jardin des carmélites, ou l’association « Les croqueurs de pommes » prévoit de planter un verger qui sera ouvert à tous les habitants de Douai.
Deux nouveaux appels à projets viennent d’être lancés. L’abbaye Saint-Colomban, à Luxeuil-les-Bains, en Haute-Saône, en partie classée, est propriété du diocèse de Besançon. Elle fut abbaye bénédictine jusqu’en 1792, puis petit séminaire jusqu’en 1985. Aujourd’hui, les magnifiques bâtiments sont occupés par un centre pastoral et culturel et par un collège. Le diocèse, qui souhaite préserver l’esprit de ces lieux, ouvrir ce patrimoine sur la ville et y intéresser les habitants de Luxeuil-les-Bains, doit trouver un modèle économique qui permette de financer l’entretien de l’abbaye.
Les Pères du Sacré-Cœur, eux, cherchent des repreneurs pour le château de Graves dans l’Aveyron. Ces derniers devront savoir préserver le château classé du XVIe siècle aux allures de forteresse avec sa cour carrée et ses tours flanquées à chaque coin, et faire vivre les autres bâtiments : chapelle, maison communautaire, ancien internat, à moins que les lieux inspirent plusieurs projets différents…
Leurs centres de décisions ne sont plus en Europe mais là ou l’Église recrute, c’est à dire en Asie, en Afrique…
Benoit de Sagazan, directeur de l’Institut pèlerin du patrimoine
« Aujourd’hui, les congrégations font face à deux défis, reconnait Benoit de Sagazan, directeur de l’Institut pèlerin du patrimoine, rédacteur en chef du Monde de la Bible, et fin connaisseur du patrimoine religieux. Face au vieillissement de leurs frères et sœurs, elles sont contraintes de médicaliser les édifices où elles vivent. Surtout, leurs centres de décisions ne sont plus en Europe mais là ou l’Église recrute, c’est à dire en Asie, en Afrique… »
Des pays, où la préservation du patrimoine français, et on peut le comprendre, n’est pas une priorité.