Hephata ou « ouvre-toi » en araméen, c’est ainsi que Séverin des Mazery et Charlotte Le Grelle ont baptisé leur entreprise, créée en mars 2017, afin de favoriser le patrimoine et de préserver un joyau national en péril. Hephata ouvre les portes des monuments historiques à de nouveaux usages et de nouveaux publics en accompagnant les propriétaires dans cette démarche. Séverin des Mazery nous explique comment l’équipe d’Hephata œuvre pour rendre ces lieux vivants et empreints de partage.
DM : Pourriez-vous vous présenter, nous raconter votre parcours et nous expliquer pourquoi avoir créé Hephata ?
SM : J’ai eu un parcours classique et pas spécialement lié au patrimoine. J’ai commencé par une école de commerce, l’ESCP, et, une fois diplômé, j’ai travaillé cinq ans dans une grande banque française. Depuis mon enfance, je baigne dans un milieu lié au patrimoine : ma mère, qui travaille aux Archives nationales, est historienne de l’art et mon grand-père était archéologue amateur.
Le point de départ d’Hephata est lié aux échanges que j’ai eus avec Charlotte Le Grelle, lorsqu’en 2016 elle entend le grand appel des associations du patrimoine dont, entre autres, la Demeure historique, la Fondation du patrimoine et les VMF. Cet appel disait que 20 % du patrimoine serait en péril si rien n’était fait dans les dix ans à venir et que ce serait, de ce fait, le cadre de vie des français et l’attractivité de la France à l’international qui seraient altérés à jamais.
L’idée de notre plateforme technologique est une réponse entrepreneuriale à cet appel et pallie trois manques que nous avions identifiés en faisant un tour de piste de tous les acteurs du patrimoine. Nous avons interrogé des associations comme les VMF, des propriétaires de monuments, des artisans mais aussi des exploitants d’espaces. Nous nous sommes rendus compte que les propriétaires privés manquent de connaissances pour gérer leurs sites historiques (gestion d’activité, questions juridiques et financières, entretien courant, etc), que, généralement, ils ne connaissent qu’une petite partie des financements auxquels ils peuvent avoir accès et, enfin, qu’ils ne disposent pas forcément des compétences pour trouver les bons ouvriers et architectes pour la restauration, l’entretien ou le développement de leurs sites.
Sur cette plateforme, nous avons deux outils en libre accès pour tous les propriétaires de sites historiques, publics ou privés : le labo du patrimoine et la banque des financements. Le labo est comme un centre de ressources thématiques autour des grands enjeux que peuvent rencontrer quotidiennement les propriétaires ou les gestionnaires de sites historiques. Par exemple, la diffusion de bonnes pratiques, des fiches techniques ou thématiques autour de la création d’association ou encore l’inscription d’un monument. La banque des financements, quant à elle, est une base de données qui recense tous les financements existants ou innovants auxquels peuvent avoir recours les propriétaires de sites historiques.
Comment travaillez-vous au plus près des propriétaires de sites historiques ?
La mission clé d’Hephata est de valoriser et de financer le patrimoine historique. Aujourd’hui, nous avons deux grandes activités. Tout d’abord, une activité de conseil. Nous accompagnons des propriétaires de sites historiques, publics ou privés, tout au long du développement d’activités et de la recherche de financements. Nous suivons aussi bien des particuliers que des associations, des fondations, des collectivités ou des entreprises qui détiennent un monument. Certaines missions vont du diagnostic préalable au développement d’activités, jusqu’à l’accompagnement opérationnel dans la mise en œuvre de ce développement. Nous accompagnons aussi sur des questions de financement, comme la préparation de levées de fonds ainsi que des stratégies autour du mécénat.
L’autre activité d’Hephata est l’événementiel engagé dans le patrimoine. Nous organisons, pour le compte d’entreprises ou d’organisations, des séminaires, du team building, des soirées, des défilés de mode, des showrooms, etc., dans des sites historiques. Cette activité évènementielle est engagée pour le patrimoine grâce notre mécanisme de redistribution. 25 % des dépenses de l’évènement sont destinées à entretenir le monument qui reçoit. En parallèle, Hephata reverse 10 % des bénéfices sous forme de mécénat de compétences à des sites historiques en péril ou situés dans des zones rurales trop enclavées pour pouvoir accueillir ce genre d’événements. Pour vous donner une idée, notre équipe de 12 personnes basée à Paris travaille sur la partie conseil à 80 % en zone rurale, et à 20 % en Ile-de-France et en zone urbaine. Sur la partie évènementielle, c’est l’inverse : nous travaillons à 80 % en Ile-de-France ou en zone limitrophe de l’Ile-de-France et à 20 % en zone rurale.
Nous ne créons pas d’évènements pour les particuliers et il est important de savoir que l’évènementiel d’affaire est un marché de cadres. Ces derniers sont concentrés à 90 % en Ile-de-France ainsi que dans des grandes villes comme Marseille, Lyon, Toulouse, Bordeaux, Nantes… Ce marché de l’évènementiel est contraint à la proximité géographique avec les grands centres d’affaire et les centres décisionnels. Il est difficile d’emmener ces cadres à plus de deux heures de Paris sauf s’ils passent plusieurs nuits sur place. Dès lors, ces cadres peuvent se déplacer jusqu’à trois heures de Paris et atteindre des zones rurales moins accessibles. Notons que la plupart de nos évènements sont des journées d’études, des séminaires résidentiels de une voire deux nuits ou des soirées et des showrooms.
Comment se fait la sélection des lieux que vous considérez aptes à accueillir un événement ?
Cette sélection est fondée sur notre charte, qui repose sur quatre piliers. Le premier est la beauté du lieu, le caractère esthétique du site. Le deuxième est l’authenticité et l’âme que le lieu détient. Pour nous, il est important d’aller dans des lieux préservés, c’est ce qui fait l’intérêt particulier de ces monuments. Le troisième point est l’intimité, il s’agit plutôt d’un engagement que nous prenons pour les entreprises. L’entreprise doit être seule sur place afin de créer un lien d’intimité avec le site et si possible, avec les personnes qui prennent soin du monument. Le quatrième point est la responsabilité des propriétaires. Nous sélectionnons des lieux dont les propriétaires sont responsables et qui vont utiliser les fonds que nous leur apportons à travers cet évènement pour entretenir et restaurer leur monument. Il s’agit principalement de familles, de particuliers, de collectivités ou d’associations. Lorsque cela est possible, nous choisissons des entreprises responsables et nous évitons d’aller vers des structures, entreprises et particuliers confondus, qui auraient avant tout un but lucratif.
Par rapport aux personnes qui participent aux évènements, ont-elles un lien particulier avec le patrimoine ? Aident-elles les propriétaires en amont d’une certaine manière ?
Nous avons aussi bien des entreprises du CAC 40 et des start-ups, que des PME ; et ce ne sont pas forcément des entreprises qui ont un lien immédiat avec le patrimoine. En revanche, notre mission est de les sensibiliser à la question du patrimoine. Notre but est aussi d’apporter du contenu. Ainsi, nos évènements commencent toujours par un topo historique afin de créer des liens entre les enjeux d’entreprise et la manière dont le lieu y répond par son histoire, ses personnages, son architecture. Nous sensibilisons sur la question du patrimoine aujourd’hui, sa fragilité et la nécessité de prendre conscience que c’est un bien collectif. Nous ouvrons les monuments à de nouveaux usages et de nouveaux publics, d’où le lien avec l’évènementiel et les innovations. Les entreprises que nous emmenons prennent conscience que, finalement, elles sont aussi responsables de la bonne santé de ce patrimoine.
À l’issue des évènements, dans certains cas, des participants nous disent qu’ils vont revenir avec leur famille dans ce lieu s’il y a une chambre d’hôte car ils ont été marqués par la beauté et l’authenticité du site. Il peut aussi s’agir d’entreprises touchées par les besoins de ce monument et le lien avec leur stratégie, leur politique RSE (responsabilité sociétale des entreprises) ou leurs enjeux. Cela peut déboucher sur des actions de mécénat. L’évènementiel est aussi une manière de trouver une solution pour que le patrimoine ne repose pas seulement sur les dons. Nous faisons en sorte d’introduire les monuments dans un tissu économique et social. Toutes les entreprises n’ont pas forcément les moyens de faire du mécénat, en revanche, elles ont des besoins réels de se retrouver et de travailler dans des sites qui sont différents de leurs bureaux. Le but est de servir les besoins de ces entreprises tout en les amenant à le faire pour quelque chose qui va leur faire du bien. Elles le font aussi pour le bien commun que représentent ces monuments à l’échelle du pays.
Vous dites que préserver le patrimoine c’est aussi préserver les alentours, notamment le monde végétal et naturel. Pourriez-vous nous expliquer quels sont les plans d’approche d’Hephata en faveur de l’environnement ?
On a beaucoup réfléchi sur l’environnement en tant que tel à travers notre étude d’impact, afin d’essayer de voir concrètement quels étaient les atouts naturels des domaines historiques qui ont un patrimoine naturel par rapport à d’autres espaces naturels en France. Notre question était : comment, en aidant ces domaines au patrimoine naturel important, peut-on aussi participer à la préservation de la biodiversité ? Qu’est-ce que le patrimoine en général veut dire par rapport à l’environnement ?
Pour le château de Guiry par exemple, nous nous sommes demandé quelle est la biodiversité spécifique au domaine et si elle est plus riche que celle que l’on trouve sur le territoire aux alentours ? Ce qui est intéressant dans les parcs et jardins de ces domaines là, qui sont généralement très grands, c’est qu’il y a une grande variété d’essences d’arbres et de plantes, qui sont le support de variétés d’oiseaux, d’insectes et de petit mammifères. Finalement, ce sont de véritables réserves de biodiversité. La LPO (Ligue pour la protection des oiseaux) vient régulièrement faire des recensements de populations dans le domaine du château de Guiry parce qu’elle y a constaté une richesse particulière. De ce fait découle une offre spécifique au château de Guiry. Pour les participants de séminaires, nous proposons, avec la LPO, un parcours pour observer la nature ou avoir un rapport direct avec cet environnement naturel. Dès lors que cette activité s’insère dans le développement économique sur place, nous n’altérons pas cette biodiversité et c’est un engagement vertueux en participant à la préservation de ces réserves de biodiversité qui deviennent de plus en plus rares aujourd’hui.
En parallèle, dans la partie évènementielle, nous faisons très attention à l’aspect bilan carbone. Par exemple, nous utilisons des récipients que nous pouvons laver directement, sinon des matériaux parfaitement recyclables comme du bambou. Zéro plastique.
Qui sont vos concurrents et comment vous différenciez-vous ?
Pour notre activité de conseil et l’activité évènementielle, nous avons deux types de concurrents. Néanmoins, personne ne réunit ces activités tel que nous le faisons.
Sur la partie conseil, nos concurrents seraient d’abord de très grands cabinets de conseil uniquement pour de très grosses typologies de sites comme Versailles, Chambord, Fontainebleau, Le Louvre…Pour les collectivités publiques, nous pouvons être en concurrence avec des cabinets qui se positionnent sur plusieurs enjeux très différents du patrimoine et quelques personnes dans leurs équipes sont plus spécialisées sur la question du tourisme et touchant au patrimoine. Il y en a pas mal, néanmoins ces cabinets ont une approche différente de la nôtre, moins centrée sur le patrimoine et plus axée sur le tourisme, l’hôtellerie ou les loisirs.
En ce qui concerne les particuliers, les associations, les petites collectivités, nos concurrents peuvent être des indépendants. Je pense à Catherine Bonamy, qui a créé CBC XII et que nous rencontrons parfois dans le cadre d’appels d’offres de communes ou de particuliers. Ensuite, nous avons quelques concurrents sur des grands lieux qui sont spécialistes de certains secteurs, par exemple des cabinets de conseil spécialisés dans l’hôtellerie, comme In Extenso.
Sur la partie évènement, il y a beaucoup d’agences en France. Elles sont très nombreuses à organiser des séminaires, des soirées, des teambuildings, etc. Elles peuvent être nos concurrentes à plusieurs niveaux car elles font les mêmes métiers que nous mais pas dans les mêmes endroits. Nous sommes les seuls qui organisons ces activités dans des lieux au patrimoine historique authentique, préservé, avec la responsabilité des propriétaires et l’impact de notre redistribution pour le site et le patrimoine en péril.