Vercingétorix, reviens : ils sont devenus fous !

Par Jean Huré et Marie-Christine Chanez, présidente du CRECEP

Date de publication : 05/01/2022

Temps de lecture : 7 minute(s)

« C’est vrai que c’est moche » constatait le président Macron dans un article récent. Il ajoutait même : « évitons d’abîmer nos paysages : c’est une part de notre patrimoine, de notre richesse profonde, de notre identité » (Le Monde, 20/10/2021). Et pourtant, les éoliennes menacent une fois de plus le cœur historique de notre pays, de notre identité commune, héritée du métissage gallo-romain.

Nous sommes en Bourgogne, à proximité d’Alésia et de Flavigny-sur-Ozerain (Côte-d’Or), l’un des plus beaux villages de France, qui a participé au « Village préféré des Français » en 2013. De l’autre côté de la colline ? Le château de Bussy-Rabutin, truculent cousin de madame de Sévigné exilé par Louis XIV, une histoire bien connue des Français grâce à Stéphane Bern.

Oubliez ce cadre apaisé, ce plateau bucolique, ces vallées encaissées, ces falaises, ces villages pittoresques et authentiques, ces habitants et ces touristes, à la sensibilité patrimoniale et paysagère affirmée, venus du monde entier. Aujourd’hui, un nouveau siège menace Alésia. 2 000 ans après le combat fameux entre César et Vercingétorix (-52, date de l’histoire de France aussi familière que celle de Marignan, 1515), après les contrevallations et circonvallations romaines, voici les éoliennes germaines !

En novembre 2021, passant outre l’opposition des riverains et de l’État relayée par la voix des préfets successifs de Côte-d’Or et de Bourgogne, les juges de la cour administrative d’appel de Lyon ont annulé les refus d’autorisation d’exploiter. Ils relancent un projet controversé. Déjà en 2018, ils avaient fait de même pour les permis de construire, refusés par l’État en application de l’article R424-2 du Code de l’urbanisme.

C’est donc un phénomène de mitage et de saturation éolienne qui se met progressivement en place autour de ce site historique jusqu’ici préservé, qui n’a pas encore révélé tous ses trésors archéologiques. En 2018, dans l’aire d’étude du projet éolien de Darcey, la commission d’enquête recensait, dans un rayon de 10 kilomètres, 118 éoliennes construites ou envisagées ! Elle avertissait même que le cumul des vues en direction des parcs éoliens atteindrait la limite de densification supportable pour les habitants du secteur, avec une importante saturation, a fortiori si les parcs sont densifiés ultérieurement.

En effet, un projet éolien de 8 machines de 206,86 mètres de haut – réalisé sans appel d’offres (alors que la zone de développement de l’éolien initiale limitait leur hauteur à 150 mètres) – profite de l’absence de tout document d’urbanisme en vigueur ou en cours d’élaboration sur le territoire des communes concernées, celles de Darcey et Corpoyer-la-Chapelle. Contrairement à leurs prestigieuses voisines amplement dotées à cet effet, les deux communes d’implantation des éoliennes ne bénéficient donc d’aucune protection patrimoniale et environnementale spécifique.

Le projet fait suite au démarchage effectué par un promoteur. Il n’y a eu aucune comparaison entre différents porteurs de projets. À l’origine, ni les communes ni les habitants ne sont demandeurs. L’opération – impactant fortement l’avifaune, les sources proches et les eaux souterraines – est engagée depuis 2006, sans aucune concertation avec les habitants. Or, la loi (Codes de l’urbanisme aux articles L103-2 et L300-2, de l’environnement à l’article L122-1) et l’Ademe prévoient une information objective de la population et son implication dès l’initiation du projet ayant une incidence sur l’environnement. Le principe de la Convention d’Aarhus, ratifiée en 2002 par la France, est clair : la concertation doit débuter le plus en amont possible, lorsque « toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence ».

Pourtant, les occasions n’ont pas manqué d’associer les habitants aux études. Il en était encore temps en 2011, lors de l’élaboration de la ZDE. Au lieu de quoi, rien, aucune transparence. L’accès à l’information a été volontairement restreint : présentation à huis clos du projet par le promoteur aux élus, intervention du promoteur en Conseil municipal d’avril 2015 alors que les demandes de permis de construire et d’autorisation d’ICPE étaient déjà en cours d’instruction à la préfecture… Et au moment même où, dans sa séance du 24 avril 2015, le Conseil départemental adoptait un vœu relatif à « un moratoire demandant le gel de toutes les procédures administratives relatives aux projets éoliens (…) afin, d’une part, que les populations concernées soient informées de l’ensemble des projets éoliens existants (études, démarchages, etc.), d’autre part que soit mesuré l’impact des nombreux projets sur le territoire départemental ».

Finalement, le projet a été simplement présenté fin janvier 2018, lors d’une session « exclusivement réservée aux habitants et propriétaires immobiliers des deux communes ». Soit douze ans après son lancement effectif, et à un public volontairement réduit. Ainsi, le commissaire enquêteur notait le caractère restreint de la concertation réalisée en amont de l’enquête publique ainsi que le rejet massif des personnes qui se sont exprimées (716 avis émis, dont 646 défavorables). Sans oublier l’avis défavorable rendu par les services du département de Côte-d’Or en avril 2018 ! Depuis, aucune des 16 réserves soulevées dans le rapport du commissaire enquêteur n’a été levée par le promoteur.

C’est donc, en droit et en fait, un avis négatif qui a été rendu. L’arrêté préfectoral n° 79 du 11 février 2019 portant refus d’autorisation d’exploiter le rappelait.

Depuis, ce projet reste très fortement contesté localement, comme, d’ailleurs, les trois quarts des projets d’implantation d’éoliennes en France (chiffres du ministère de la Transition écologique). En juillet dernier, le Président Macron, alors en déplacement en Polynésie, ne recommandait-il pas de renoncer aux parcs éoliens « là où ils dénaturent, défigurent le paysage, parce que parfois ça arrive » ? Nous en avons ici un exemple criant, un symbole.

Cet article est cosigné par Jean Huré et Marie-Christine Chanez, présidente du Collectif régional d’experts et de citoyens pour l’environnement et le patrimoine (CRECEP), qui a pour objectif la préservation et la défense de l’environnement et du patrimoine de la Bourgogne-Franche-Comté.

Nous apprenons, à l’heure où nous publions cet article, qu’en application du jugement de la cour administrative d’appel de Lyon, le préfet de Côte-d’Or a pris un arrêté d’autorisation d’exploiter, le 28 décembre 2021. Le préfet rappelle toutefois les multiples enjeux du site et souligne à nouveau les nombreuses insuffisances des mesures proposées par le promoteur. Il définit des prescriptions élémentaires que le promoteur devra respecter. De nouveaux rebondissements en perspective ?

Partager sur :