La pédagogie au service du patrimoine

Par Laurence de Livois

Date de publication : 06/01/2022

Temps de lecture : 9 minute(s)

L’association des journalistes du patrimoine a organisé au mois de novembre dernier, sous la houlette d’Évelyne Thomas, historienne de l’art de la première Renaissance française, une visite des châteaux d’Amboise et du Clos-Lucé. Les deux sites s’engagent dans l’appropriation du patrimoine par les plus jeunes. Visite guidée.

Amboise propose une formule inédite d’un chantier ouvert au public et la formation des élèves du collège. Le Clos-Lucé, quant à lui, se lance à la découverte de l’un des plus grands artistes de tous les temps, par le biais des nouvelles technologies. Les deux sites développent un souci pédagogique volontariste, que rejoignent les VMF avec leur programme « Le patrimoine toute une histoire ». L’intention de ces deux démarches, très différentes dans la forme, est de démontrer que le patrimoine est un facteur d’avenir, par sa remise en main aux jeunes générations, et parle le rôle unificateur qu’il apporte à notre société atomisée.

Découverte d’Amboise avec les yeux de Léonard de Vinci et plus…

Amboise, ce nom résonne dans votre mémoire ? Et le heurtoir de Charles VIII ? Léonard ? Les conjurés ?

Six rois s’y succèdent et y inscrivent l’histoire de France, mais gardons en trois. Charles VIII (1483-1498) y est né et mort. C’est lui qui clôt la période médiévale. Il reconstruit la façade nord du château qui subsiste aujourd’hui. Les fossés sont transformés en jeu de paume qui devait lui être funeste. Les fenêtres affirment leur style gothique avec leur gâble triangulaire surmonté d’un pinacle. Louis XII puis François Ier apportent l’influence italienne : les fenêtres du premier étage sont encadrées de pilastres à l’antique et les lucarnes portent un gâble trapézoïdal largement décoré. L’entrée dans la Renaissance est acquise dans un style purement français. Est-ce le premier coup d’œil qu’y lança Léonard de Vinci, lors de son arrivée en 1516 ?

Les deux tours Heurtault et des Minimes comportent des rampes en pente douce qui permettent de monter à cheval jusqu’au premier étage. L’élégance de leurs plafonds et de leurs croisées d’ogives, ainsi que les murs tendus de tapisseries, devaient amadouer Charles Quint en 1539.

La chapelle des Rois ou chapelle Saint-Hubert, un joyau et un chantier ouvert au public

Une église suspendue ? C’est rare, et son équilibre demande réflexion et réfection ! Elle faisait partie du château royal construit par Charles VIII, entre 1493-1498, et se nichait au milieu de la courtine qui se dressait face à la Loire, détruite aujourd’hui. La chapelle est emblématique : réservée à Charles VIII et Anne de Bretagne, elle prend le vocable de Saint-Hubert tardivement et offre une décoration d’une exceptionnelle finesse aux influences flamandes. Elle est sûrement le dernier repos de Léonard de Vinci.

Un chantier d’exception se penche sur sa restauration, dont la visite est menée par Marc Metay, directeur du château d’Amboise.

Déjà restaurée au XIXe siècle à deux reprises, notamment par Eugène Viollet-le-Duc, elle profite de la concomitance des travaux effectués sur Notre-Dame de Paris : même réflexion sur le toit de plomb, même interrogation sur le faîtage, qui sera doré finalement, restitution ou non de la flèche. Les travaux sont confiés à Étienne Barthélémy, architecte en chef des monuments historiques, et à des artisans locaux dans un chantier pharaonique, s’élevant à 2,7 millions d’euros dans le cadre du Plan de relance économique. Il s’agit de la dotation la plus importante accordée à un édifice privé (Fondation Saint-Louis).

Les arbres de la charpente ont été choisis dans la forêt d’Amboise. Des loges sont construites pour les artisans, afin d’accueillir les différents corps de métier qui pourront présenter leur travail au public (outil, façon, techniques). Le chantier est particulièrement ouvert aux étudiants et aux élèves de 3e et 4e afin de leur transmettre les savoir-faire et les amener à choisir ces métiers d’avenir indispensables au maintien de la richesse patrimoniale de leur région. À un moment où les compagnons sont très sollicités, cet enjeu local devient un enjeu national. Le patrimoine : une école au grand jour.

Le pont du Clos-Lucé : entre Renaissance et recherche contemporaine

Léonard de Vinci, peintre, architecte, ingénieur civil et militaire, est un génie absolu de la Renaissance venu tirer sa révérence terrestre dans un manoir de Touraine, à l’ombre du château d’Amboise et de François Ier.

Le manoir, célébrissime, ne se présente plus, entièrement restauré par la famille Saint-Bris, propriétaire des lieux depuis 1855. Il offre aujourd’hui un écrin à l’âme de Léonard, comme l’appelle affectueusement les Tourangeaux. Outre le château transformé en un musée extrêmement raffiné, qui reflète fort bien les trois dernières années de sa vie, assombries par une paralysie du bras droit, le jardin retrace les grandes inventions de ce brillant cerveau, et sert de terreau aux différentes plantes que ce botaniste, toujours en recherche de nouveauté, a pu accumuler. Ses différents ponts sont reconstruits et enjambent alertement l’Amasse, qui serpente paresseusement.

En 2021, François Saint-Bris, après deux années de réflexion et de travail (vive le confinement !), a pu réaliser un nouveau projet révolutionnaire et totalement futuriste. Le Clos-Lucé devient lui-même le pont qui relie deux mondes en les rendant audibles l’un à l’autre, en les faisant vibrer dans l’admiration et l’émotion. L’inauguration d’une friche industrielle, dûe à Armand Moisant (Le Bon Marché, le Grand Palais), jouxtant le parc du Clos, totalement réhabilitée et transformée en galerie d’exposition, permet de présenter les inventions et les œuvres de Léonard en utilisant les richesses du numérique. Il réalise la prouesse architecturale de faire cohabiter un manoir du XVe siècle et une usine du XIXe siècle de deux étages réaménagée en galeries, de créer un ensemble parfaitement harmonieux, sans renier la réalité de chacun, et propose une visite hautement technologique du travail de Vinci.

Au rez-de-chaussée, le visiteur découvre les réflexions mathématiques et physiques de l’artiste, qui l’ont amené à réfléchir sur la perspective, l’urbanisme avec le rêve d’une cité idéale, et sur l’architecture civile militaire. Entre animations 3D, hologrammes, modules multimédias, il avance et se pénètre de cet esprit si inventif, dans un décor où la recherche esthétique est permanente.

Au second étage, il s’intrigue et se passionne pour les jeux vidéo didactiques et appropriés à tous les âges. Puis, il arrive dans le lieu de la contemplation où est révélé le génie pictural de l’artiste. On avait presqu’oublié que ce savant était avant tout un peintre et un contemplateur de la nature et de la beauté humaine. Dans une longue galerie, il admire, émerveillé, les œuvres qui font sa renommée. Grâce à un dispositif de projection immersive et une démultiplication, le mapping vidéo, il découvre les études et les dessins préparatoires des tableaux les plus célèbres, qui font la joie des grands musées du monde. Il observe leurs thèmes récurrents : l’inclination d’un visage, le drapé, la main, les feuillages sont projetés, dispersés, assemblés, enfin réunifiés pour redonner le chef-d’œuvre. Prodigieux ! Prodiges d’émotions esthétiques, prodiges de réalisations techniques où la pointe de la technologie numérique se met au service de l’art.

François Saint-Bris et sa famille signent ici une magnifique réalisation dont rêve tout amateur de patrimoine, le lien entre l’ancien et le contemporain, le pont entre les plus âgés et les plus jeunes. Vous avez dit pédagogie ? Quel que soit votre âge, courez-y vite !

Deux hectares de friche attendent de se voir transformer en un nouveau projet. Quel bonheur en perspective !

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