Ce webinaire proposé par les VMF a été animé par Mathieu Caron, docteur en histoire de l’art et spécialiste du mobilier ancien et Tristan Desforges, ébéniste-restaurateur au sein de l’atelier Michel Jamet à Paris.
Couvrant à la fois l’aspect technique et historique, cette conférence nous livre les secrets de la menuiserie en siège au XVIIIème siècle. La menuiserie en sièges est une méthode ancienne du XVIIIème siècle. De par sa spécialité, le menuisier en sièges a le savoir-faire pour mener avec efficacité l’ensemble des opérations aboutissant à la réalisation d’un siège, dans tout le répertoire des styles français de mobilier.
Un siège est une carcasse composée de pièces de bois. A partir de bois brut, le menuisier en sièges assemble ces pièces par des tenons mortaises. Il les fixe ensuite à l’aide de colles animales.
Il utilise essentiellement des essences indigènes comme le noyer ou des essences exotiques comme l’acajou pour travailler.
Le sculpteur soigne l’ornementation du siège et la sculpture des frises. Cette partie, délicate, est la plus déterminante puisqu’elle définit le style du siège, variant selon les siècles.
S’en suit la mise en couleur du siège, dont est chargé le peintre-doreur. Le tapissier finalise le travail. Il sangle, garnit et recouvre la carcasse avant de se charger de la livraison finale au client.
Chaque corporation suit ses prérogatives : ainsi, un menuisier ne pourra pas peindre ou dorer son siège et se chargera uniquement du travail du bois.
Sculpteurs et menuisiers n’ont pas le monopole du dessin/de la forme. L’architecte est un également un donneur de modèle important au XVIIIème siècle. Les sièges en question ont été pensés par des ornemanistes et des dessinateurs.
CHANCELLERIE D’ORLÉANS
La chancellerie d’Orléans également connue sous le nom d’« hôtel d’Argenson » est détruite en 1923, lorsque la ville de Paris décide de faire passer une rue sur l’emplacement de l’hôtel. Les décors sont alors démontés, et rangés dans des caisses.
Quelques années plus tard, ces décors remarquables sont remontés à l’initiative de Bertrand du Vignaud.
Le grand salon au décor remarquable, disposait autrefois d’un mobilier exceptionnel. On retient notamment deux sièges effectués par le menuisier Matthieu Debauve, à partir des dessins de l’architecte Charles de Wailly. Ces sièges sont uniques dans l’histoire du mobilier.
La carcasse montre des montants d’accotoirs sculptés en bas-relief. Le menuisier traite le façonnage du bois notamment à l’aide de scies à chantourner et de ciseaux. Le sculpteur traite uniquement la partie décorative du siège, taillée dans la masse du bois. De son côté, le menuisier va laisser du relief au niveau du bois de manière à ce que le sculpteur puisse créer ses décors. La carcasse permet de voir un siège dépourvu de toute sa tapisserie.
BAGATELLE
Le chef d’œuvre architectural de Bagatelle dispose également de sièges d’exception. Réalisé par François-Joseph Bélanger en 1777, ce pavillon de plaisance est destiné au comte d’Artois. Ce monument délabré, jugé peu esthétique au vu des réjouissances que le comte projetait d’organiser, est reconstruit à la suite du défi lancé par Marie-Antoinette, de réhabiliter ce lieu en cent jours.
Le projet promet d’être grandiose. Le grand salon, tout à fait représentatif de l’art de Bagatelle, met en scène un mobilier unique en son genre. Signé George Jacob et Jean-Baptiste Boulard, ébénistes réputés de l’époque, le mobilier du grand salon de Bagatelle comprend notamment huit marquises en noyer. Au centre de la pièce, le « fauteuil du Roi » était strictement réservé à la venue du souverain Louis XVI.
À côté de ce fauteuil, se trouve une causeuse, aujourd’hui conservée au Mobilier national. Elle faisait partie de la collection des huit causeuses qui se tenaient sous les panneaux d’arabesques. Ces sièges font partie des grandes commandes de la fin du XVIIIème siècle, tant par la qualité de leurs sculptures que par leur originalité.
Afin que les commandes soient traitées à temps, les commanditaires font appel à des menuisiers différents (Jacob, Boulard etc.). Ces deux sièges sont l’œuvre du sculpteur Rode. Des archives retrouvées relatent le travail de précision effectué par le menuisier : « Il y’avait quatre fauteuils du modèle carré, les accotoirs en bateau entaillés dans les montants, les pieds portant consoles qui sont singulières et bien renversées, les pieds tournés en gaine et profilés de moulures »
La question du remeublement est « difficile » affirme Mathieu Caron. En effet, le tout est de savoir quelle époque on veut représenter.
Lorsque les informations sont manquantes, il faut alors s’atteler à trouver des équivalences de meubles, qui, par leur style et leur travail, permettent de se rapprocher de l’époque en question. La documentation foisonnante concernant Bagatelle a facilité la tâche, notamment grâce aux nombreux inventaires et aux mémoires d’artisans.
Bien que certaines pièces de Bagatelle ne constituent pas les modèles originaux, ils correspondent néanmoins au style de meubles de l’époque.
Par soucis d’authenticité, l’utilisation de la copie est limitée, soulignent les conférenciers. Elle est cependant très utile pour la transmission des savoirs comme à l’école Boule, qui a d’ailleurs réalisé la copie de l’une des deux causeuses pour le remeublement de 1988. Quant à la conservation, elle est très délicate. Il s’agit de ne pas dénaturer la nature de l’objet tout en assurant sa pérennité
HÔTEL DE BEAUHARNAIS
Tristan Desforges et son atelier Michel Jamet ont entrepris un travail de restauration à l’hôtel de Beauharnais qui constitue également un joyau architectural du début du XIXe siècle.
Classé monument historique depuis 1951, cet hôtel particulier est notamment connu pour son salon finement décoré, que l’on nomme également « salon des quatre saisons ».
Cette pièce historique met en scène deux sièges de style « Empire » délicatement décorés.
L’alternance de palmettes et rosettes témoigne d’une ornementation néo-classique. Ces sièges « Empire » ont un décor très différent des chaises précédentes. Ce type de travail est un mélange entre conservation et restauration, explique Tristan Desforges.
L’atelier Michel Jamet a réalisé les châssis d’une série de seize chaises correspondant chacun à un modèle bien précis de sièges.
Aujourd’hui, ce savoir-faire artisanal, inscrit à l’Inventaire du patrimoine culturel immatériel de France a quasiment disparu. A Paris, on compte moins d’une dizaine de menuisiers en sièges. Néanmoins, la menuiserie en sièges industrielle, aurait, semble-t-il, permis à la France de se tenir à la 10ème place mondiale des pays exportateurs de sièges.