Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, la Fondation des Sciences du Patrimoine (FSP) organise avec la Commission européenne et en partenariat avec le ministère de la Culture, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ainsi que les universités de Paris-Saclay et Cergy Paris, les 15 et 16 mars, un colloque destiné à mettre en lumière les sciences du patrimoine dans toute leur diversité́, en France et en Europe. Entretien avec Isabelle Pallot-Frossard, nouvelle présidente de la FSP.
Guillaume Henry : Vous avez été élue à la présidence de la Fondation des Sciences du Patrimoine le 1er janvier 2022. Pour débuter notre entretien, pouvez-vous nous préciser quelle est la mission de cette fondation ?
Isabelle Pallot-Frossard : La Fondation des Sciences du Patrimoine est une fondation partenariale placée sous le haut patronage du ministère de la Culture, initialement créée pour assurer la gouvernance du LabEx (Laboratoire d’Excellence) Patrima et de l’ÉquipEx (Équipement d’Excellence) Patrimex.
Elle a pour ambition de structurer et de financer la recherche autour du patrimoine culturel matériel, avec trois axes : la connaissance intime du patrimoine, l’amélioration des procédés de conservation et de restauration (financement en particulier des jeunes chercheurs et des doctorants sur la question des sciences du patrimoine), la diffusion et la communication autour du patrimoine.
La fondation se dirige vers ses 10 ans d’existence. Elle s’est progressivement élargie et rassemble un grand nombre de partenaires des sciences du patrimoine en Ile-de-France, mais aussi en région, comme le CICRP (Centre Interdisciplinaire de Conservation et de Restauration du Patrimoine), à Marseille.
Il s’agit d’une fondation pluridisciplinaire qui inclut 5 fondateurs (CY Cergy-Paris université, l’université de Versailles-Saint-Quentin, celle de Paris-Saclay, le musée du Louvre, le Domaine national de Versailles et la Bibliothèque nationale de France) ainsi que de nombreux partenaires qui contribuent aussi à notre activité, comme l’Institut national du patrimoine, l’Institut national de l’histoire de l’art (INHA), le Centre Pompidou… On a ainsi un certain nombre d’institutions impliquées dans la recherche sur le patrimoine, parce qu’elles conservent des collections, gèrent des sites ou mènent des recherches sur ce sujet. Chaque année, la FSP lance des appels à projets et finance des projets de recherche en essayant de favoriser les échanges entre les institutions. Nous cherchons aussi à créer de nouveaux partenariats, de nouvelles contributions croisées, en essayant de favoriser l’interdisciplinarité, c’est-à-dire la contribution à la fois des sciences humaines et sociales, des sciences physico-chimiques, des sciences expérimentales et celles du numérique au service de la connaissance et de la conservation du patrimoine.
GH : La Fondation des Sciences du Patrimoine existe depuis près de 9 ans (création en 2013). Quel est votre préoccupation maintenant que vous arrivez à sa tête ? Quelle est votre ambition ?
IPF : Je souhaite qu’elle joue et qu’elle continue de jouer un vrai rôle fédérateur entre des acteurs qui n’avaient pas toujours l’habitude de travailler ensemble dans une approche interdisciplinaire. Les historiens d’art et les spécialistes des matériaux ont des formations très différentes. La FSP a pour but de favoriser le montage de projets de recherche autour d’un objet ou d’une collection d’objets auxquels contribuent à la fois des historiens d’art, des physiciens, des chimistes et des informaticiens, qui vont utiliser les données produites pour faire avancer la connaissance des objets étudiés et leur propre discipline.
L’objectif est aussi de mettre en place un environnement favorable à l’accompagnement de jeunes chercheurs.
Il s’agit également de permettre à la fondation d’avoir un rayonnement international, notamment avec l’Initiative de Programmation Conjointe Patrimoine culturel et changement global (JPI-CH). Celle-ci regroupe 18 pays européens qui ont décidé de mettre en commun leurs efforts de programmation de la recherche dans le domaine du Patrimoine. Elle permet de lancer des appels à projets entre pays.
GH : Vous organisez au Louvre et à la Bibliothèque Nationale de France, les 15 et 16 mars 2022, un colloque intitulé « Un patrimoine pour l’avenir, une science pour le patrimoine ». Comment s’installe-t-il dans votre programmation ?
IPF : Ce colloque est labellisé dans le cadre de la présidence française du conseil de l’Union Européenne. Soutenu par la Commission européenne, il vise à mettre en valeur l’apport des sciences du patrimoine sous différents angles. Le colloque s’organise autour de quatre thématiques :
- Un patrimoine réflexif pour une société résiliente : le patrimoine est un concept dynamique dans un monde en constante évolution.
- Une gestion pérenne du patrimoine culturel : les outils, les méthodes et les technologies qui en favorisent la connaissance ainsi que la transmission aux futures générations.
- Le patrimoine culturel dans un contexte changeant : les défis posés par le changement rapide du contexte démographique, social, environnemental, économique, politique et culturel.
- Le patrimoine face aux changements climatiques et environnementaux : les impacts et l’adaptation du patrimoine aux changements climatiques, mais aussi sa capacité à être une ressource pour une société plus durable.
Ce colloque à large audience mettra en lumière l’apport des sciences du patrimoine dans toute leur diversité, en France et en Europe. Il soulignera leur rôle central pour répondre aux grands enjeux contemporains, qu’ils soient sociaux, culturels, environnementaux, économiques ou politiques, à l’échelon national et européen, ainsi que leur articulation avec les grandes initiatives européennes, comme le pacte vert pour l’Europe ou la stratégie numérique de l’Europe.
GH : Il s’agit d’un colloque récurrent ?
IPF : Non, c’est un colloque destiné à mettre en évidence les sciences du patrimoine en Europe dans le cadre de la présidence française du conseil de l’Union européenne. Le patrimoine est un vaste terrain d’investigation dont l’impact peut aller au-delà des conceptions traditionnelles. Par exemple, le domaine des verres anciens : la connaissance de l’altération des verres, plus précisément des vitraux, permet d’évaluer sur une très longue durée le comportement d’un matériau.
Le fait de bien connaitre les matériaux du passé permet de se projeter vers l’avenir et de développer des matériaux innovants aux propriétés inspirées des matériaux anciens. La recherche sur le patrimoine et en particulier sur ses matériaux a donc un impact économique sur les industries culturelles, celles qui développent de nouveaux outils d’analyse ou d’observation, sur les professionnels de la conservation et de la restauration.
GH : Vous mettez en valeur les sciences du patrimoine. Bénéficient-elles d’un regain d’intérêt dans la société ? Ou, au contraire, pensez-vous qu’elles sont menacées ou trop méconnues ?
IPF : « Sciences du patrimoine », cela évoque « sciences expérimentales » dans l’esprit des gens. On pense à toutes les avancées technologiques qu’il y a eu ces dernières années, utilisation des grands instruments (accélérateurs de particules, synchrotron…) pour révéler des techniques anciennes, dater et retrouver l’origine des matériaux. Le public et les médias sont très intéressés par les sujets qui portent sur les sciences au service de l’art. Cet intérêt remonte aux années 1980, avec la grande exposition « La science au service l’art : la vie mystérieuse des chefs d’œuvre ». Cependant, on connait moins bien le caractère interdisciplinaire des sciences du patrimoine et la complémentarité des professions. Cette approche interdisciplinaire mobilise en effet des professionnels qui contribuent à l’évaluation et à la mise au point de techniques de conservation respectueuses de l’objet, durables et éco-responsables.
Instrumentation Xrd/Xrf. Placée sous le haut patronage du ministère de la Culture, la FSP a pour but de structurer et de financer la recherche autour du patrimoine culturel matériel. © MoLab
GH : Où pourront-être consultés les résultats de ce colloque ?
IPF : Ils seront disponibles en ligne.
GH : Comment voyez-vous le travail de la Fondation des Sciences du patrimoine dans la décennie à venir ?
IPF : Le rôle d’une fondation comme la FSP est tout d’abord celui de fédérer. À partir des différentes compétences réunies en son sein, elle doit être suffisamment alerte sur les menaces qui pèsent sur le patrimoine afin de développer une stratégie de recherche prospective. Il est nécessaire aujourd’hui d’assurer la transmission du patrimoine dans un contexte de changement climatique, tout en étant dans une approche vertueuse et éco-responsable.
Il faut adopter une démarche prudente qui prenne en compte la relative résilience des matériaux du patrimoine et les contraintes liées au changement climatique. Celle-ci repose sur une amélioration des connaissances sur le comportement des matériaux dans l’environnement.
GH : Et le numérique ?
IPF : Le numérique est le grand enjeu parce que tout devient numérique. Il permet de faire avancer considérablement la recherche grâce au partage des données mais tout est encore à faire. La chaine de production, le stockage et le partage sont inégalement appréhendés entre disciplines, institutions et pays. Il est nécessaire de fédérer les efforts à la fois au niveau national et international.
C’est ce que doit permettre en France le projet d’ÉquipEx+ ESPADON[1] qui vise à terme à construire un « objet patrimonial augmenté » qui agrège autour d’une œuvre, d’un monument, d’un site, un ensemble d’informations indispensables à sa compréhension, sa conservation et sa transmission. Ce projet s’inscrit dans une dynamique européenne à travers l’association à des projets européens comme l’infrastructure E-RIHS (European Infrastructure for Heritage Science) ou une contribution future à l’European science cloud (EOSC).
[1] « En Sciences du Patrimoine, l’Analyse Dynamique des Objets anciens et Numériques » (PIA4 – 21-ESRE-0050)