Construites en 1741 pour 17 montures et pour affirmer le statut et le pouvoir du maître des lieux, refaites au XIXe siècle par le célèbre général de Contades, écuyer en chef du Manège de Saumur (aujourd’hui Cadre noir), les monumentales écuries de Gizeux accueillirent de tout temps des hommes et des femmes épris de chevaux et de chasse à courre.
Situé sur la commune de Gizeux, au sein du Parc naturel régional Loire-Anjou-Touraine, le château de Gizeux date du Moyen-âge. Il a été remanié à la Renaissance, puis au XVIIIe siècle, quand René Grandhomme, nouvellement anobli par sa charge de Secrétaire du Roi, achète Gizeux, après avoir fait fortune à Saint-Domingue. En 1741, avec son fils Simon-René Grandhomme de Gizeux, Maître des Cérémonies à la Cour, il agrandit la demeure en construisant des communs. En 1743, il fait ajouter de grandes écuries pouvant recevoir jusqu’à 17 chevaux, afin de faire de Gizeux « un haut lieu de la chasse, bon moyen pour lui de s’intégrer à la noblesse locale et faire ainsi de belles alliances matrimoniales1 ».
L’aile des écuries – et celle des remises en retour – forment un L et sont disposées latéralement par rapport à l’axe d’entrée au château, ce qui confère à l’ensemble un caractère imposant. Elles donnent sur une cour ouverte sur le château et l’extérieur (le vieux mur d’enceinte crénelé ayant été arasé). « Cet espace de très grandes dimensions double quasiment l’emprise au sol de la demeure seigneuriale et l’inscrit majestueusement dans le paysage, entre la vaste esplanade engazonnée par laquelle on accède, et le coteau boisé auquel elle est adossée. En consacrant d’importantes sommes à cet aménagement, René Grandhomme ne dotait pas seulement son château d’un équipement moderne et rationnel mais sacrifiait à la mode des écuries monumentales et imprimait sa marque au territoire dont il était le maître2. » L’aile des écuries est percée en son centre d’un passage vouté en berceau, donnant sur une arrière-cour. L’aile en retour est occupée par les remises et les granges.
On pénètre dans les lieux par un portail cintré, architecture prisée des écuries du XVIIIe siècle que l’on retrouve dans nombre d’autres châteaux comme Bizy, La Roche-Guyon, Liancourt ou Le Plessis-de-Vair. Sous ce porche, un escalier permet de monter à l’étage, où une grande pièce à vivre est prolongée par un long couloir desservant les chambres du personnel. La taille des chambres varie selon la position hiérarchique de l’occupant. Dans la première chambre, l’une des plus grandes, est logé le responsable des écuries. Dans la dernière, tout aussi grande, se trouve la cuisinière. Entre les deux, les pièces se rétrécissent petit à petit en fonction de l’emploi : au milieu, les petits nouveaux, souvent les plus jeunes, à surveiller !
Au XIXe siècle, les écuries sont réaménagées par le marquis Érasme de Contades-Gizeux3 (1858-1926), futur général de division, écuyer remarquable dont la particularité est non seulement d’avoir été écuyer en chef du Manège de Saumur (aujourd’hui Cadre noir), mais qui plus est à deux reprises (1898-1899 et 1901-1903), fait unique dans l’histoire de la célèbre institution4. Les écuries comportent alors trois ensembles : quatre stalles ouvertes et deux boxes pour les chevaux de selle et de chasse à courre, trois boxes de poulinières et un ensemble de stalles très rustiques pour les chevaux de labeurs.
De ces trois ensembles, seul le premier est encore intact. On y voit de belles stalles en fontes, équipées de mangeoires et de râteliers individuels. «Le sol en béton à rainures draine les flux vers un égout couvert. Le mur sur lequel sont inscrits les noms des chevaux est encadré de bandes décoratives de couleur selon une pratique assez répandue dans les écuries de luxe5.» La sellerie, toujours existante bien qu’à restaurer, est entièrement tapissée de pin de Norvège.
Passionné de courses et de steeple, qu’il a longtemps pratiqué (ce qui lui sera d’ailleurs reproché par le général commandant l’École de Cavalerie de Saumur6), le général de Contades7 aime tout particulièrement chasser à courre dans l’équipage du Rallye Gizeux, créé en 1927 par son frère René (1864-1919), qui vit alors au château du Bellay. L’équipage chasse le lièvre, le renard, puis le chevreuil à partir de 1929, dans la forêt de Château-la-Vallière (Indre-et-Loire) et les celles du Baugeois (Maine-et-Loire). Il compte plusieurs associés célèbres, comme le lieutenant-colonel Xavier Bizard8, ancien chef de l’équipe internationale hippique de Saumur, qui remporta de grands succès dans les concours hippiques, et le comte Guillaume de Beaumont de Noyant-Méon.
« L’hallali en façade du château de Gizeux ». L’aquarelle gouachée de Karl Reille (1886-1975) met en scène devant la demeure le marquis de Contades, le comte Guillaume de Beaumont et le colonel Bizard, tous trois membres du Rallye Gizeux. © Rouillac Commissaires-Priseurs, vente du 11 juin 2006 au Château de Cheverny – rouillac.com
La meute, située au château de Gizeux, est composée d’une trentaine de Beagle et de Briquet. Brillant cavalier, très bonne trompe, le maître d’équipage sert ses chiens lui-même. Il prend environ trente à quarante animaux par saison et découple deux fois par semaine.
Au début du XXe siècle, Érasme de Contades-Gizeux (1900-1989), grand-père de Géraud de Laffon, l’actuel propriétaire, en créera l’habit rouge à parements noirs.
L’équipage est maintenu jusqu’en 1940. « Après la guerre, le marquis de Contades-Gizeux ayant perdu son fils (Érasme, 1924-1945), tué devant Colmar en janvier 1945, ne remonta plus son équipage au grand regret de ses amis. Il continua de chasser à courre régulièrement (à partir de 1948) comme bouton à l’équipage Champchevrier et en invitant le Rallye Araize à venir chaque saison prendre quelques chevreuils dans son merveilleux territoire de Gizeux9. »
Aujourd’hui cet équipage continue de venir à Gizeux qui accueille également deux autres meutes, celle du Rallye Parence et celle du Rallye Teillay, tous chassant sur la voie du chevreuil. Le Rallye Teillay y fait sa St Hubert depuis de nombreuses années au son de ses superbes trompes.
Depuis leur création, ces écuries ont toujours abrité des chevaux, et ce jusqu’en 2012. Le château en a souvent eu besoin pour son activité : les uns pour le déplacement, les voitures à cheval et la chasse à courre ; les autres pour les labours et le débardage du bois. Lutteur B (1955-1968), future médaille d’or en individuel et, sous la selle du grand Pierre Jonquères d’Oriola (1920-2011), médaille d’argent en équipe lors des Jeux Olympiques de Tokyo en 1964, est sans doute l’un des chevaux les plus célèbres à y avoir séjourné. Anglo-normand, fils du célèbre Furioso et de Bellone, Lutteur B est né au printemps 1955, au domaine de la Foucaudière à Camembert (Orne), chez la famille Martin. Il est d’abord acheté par le marchand de chevaux Alfred Lefèvre, qui le propose comme étalon reproducteur à la station des haras nationaux de Falaise (Calvados)10. Non retenu à cause de l’évolution de son modèle et des origines de sa mère, il est castré par le marchand et revendu au marquis de Contades, fin 1955. En 1958, ce dernier le confie au débourrage au lieutenant Pierre Durand (1931-2016), alors sous-écuyer au Manège de Saumur (Cadre noir), futur cavalier olympique (médaille de bronze au concours complet d’équitation aux Jeux Olympiques de Rome avec Gulliano, en 1960), futur écuyer en chef du Cadre noir (1975-1984) et futur directeur militaire de l’École nationale d’Équitation (1984-1988). C’est sous la selle du général Durand que ce cheval remportera ses premières victoires en CSO (concours de saut d’obstacles) à Saumur et sa région, puis à Fontainebleau (Seine-et-Marne). « Toujours embouché en filet, c’était un cheval agréable, avec lequel il suffisait de ne pas faire de mauvais travail. », dira-t-il de cette monture réputée très délicate.
Les écuries de Gizeux disposent aujourd’hui encore en permanence de paille et de foin, et servent de halte aux cavaliers randonneurs. Le public y accède librement mais il est vivement recommandé de visiter l’ensemble du site… qui regorge de merveilles ! Citons, par exemple, dans le château, la grande galerie des Châteaux du Roy, soit 400 m² de peintures murales (1680-1685) représentant Chambord, Vincennes, Fontainebleau et Versailles, ainsi que des scènes champêtres et des décors de faux marbres. Ce décor a été entièrement restauré entre 2013 et 2019 : une salle majestueuse, tout comme les écuries et le reste du château !
Renseignements : https://www.chateaudegizeux.com/accueil.htm
Un grand merci à Géraud et Stéphanie de Laffon pour leur généreuse contribution à la bonne élaboration de cet article.
1https://www.chateaudegizeux.com/Decouvrez_Communs_XVIIIe_Chateau_Gizeux.htm
2 Les Écuries des châteaux français, Pascal Liévaux, William Curtis Rolf, Éditions des monuments historiques, 2005.
3 https://gw.geneanet.org/pierfit?lang=fr&n=de+contades+gizeux&oc=2&p=erasme
4 https://www.paj-mag.fr/2021/12/15/patrimoine-equestre-a-decouvrir-les-ecuries-et-la-sellerie-du-chateau-de-montgeoffroy/
5 Les Écuries des châteaux français, Pascal Liévaux, William Curtis Rolf, Éditions des monuments historiques, 2005.
6 https://www.paj-mag.fr/2021/12/15/patrimoine-equestre-a-decouvrir-les-ecuries-et-la-sellerie-du-chateau-de-montgeoffroy/
7 Lire à ce sujet : http://venerie.documalis.com/?DocID=%7B42923921-438A-4AA9-83D6-8A27535B01B5%7D
8 Lire à ce sujet : http://venerie.documalis.com/?DocID=%7BA31FA1A3-0A40-488F-BEC1-CBFE96FCA486%7D
9 http://venerie.documalis.com/?DocID=%7B42923921-438A-4AA9-83D6-8A27535B01B5%7D
10 https://fr.wikipedia.org/wiki/Lutteur_B