Avec quatre cents communes touchées par les combats, et des milliers d’hectares ravagés, dont la fameuse zone rouge autour de Verdun, le département de la Meuse a payé un lourd tribut à la Première Guerre mondiale. Dès la fin du conflit, le gouvernement met en place les bases de la Reconstruction, qui se traduit par la mise en place d’un urbanisme concerté jusqu’alors inédit. Dans ce cadre, la reconstruction du village d’Hattonchâtel, fruit d’une initiative individuelle, fait figure d’exception.
Vers 860, Hatton, évêque de Verdun, choisit un promontoire des côtes de Meuse, surplombant la plaine de la Woëvre, pour y bâtir un château. À proximité de cette résidence se développe un village fortifié – Hattonchâtel –, qui forme le centre administratif d’une seigneurie possédant sa cour de justice et son hôtel des monnaies. Un chapitre de chanoines dessert la collégiale qui a subsisté, ainsi qu’une partie de son cloître datant du XIVe siècle. Cédée en 1546 aux ducs de Lorraine, la seigneurie est érigée en marquisat pour la branche des Lorraine-Vaudémont. Le château, pillé et ravagé par les Suédois pendant la guerre de Trente Ans, est démantelé peu après sur ordre de Richelieu et seule une partie en sera restaurée au XVIIIe siècle.
La cité deviendra définitivement française en 1648, lorsque les traités de Westphalie confirment la cession des Trois Évêchés à la France. En septembre 1918, les combats menés par l’armée américaine se traduisent par de très importantes destructions, qui n’épargnent pas Hattonchâtel. L’année suivante, une Américaine, Belle Skinner, retourne dans ce village, qu’elle avait découvert avant la guerre, alors qu’elle parcourt les contrées dévastées pour y distribuer secours et vêtements.
Désireuse de rendre hommage à l’héroïsme de ses compatriotes qui ont donné leur vie pour libérer la France, elle décide de le faire restaurer à ses frais. À la même époque, elle prend la présidence de l’American Committee of Villages Libérés, qui incite les riches Américains à s’investir dans l’aide aux villages sinistrés.
De talentueux architectes donnent à Hattonchâtel son nouveau visage
Si Miss Skinner consacre un million et demi de dollars pour aider à relever Hattonchâtel, son choix n’est pas de faire table rase de l’existant mais au contraire de conserver ce qui peut l’être, tout en équipant le village de nouveaux bâtiments publics et d’infrastructures modernes (réseaux électriques et lavoir). Édifiés sur les plans de l’architecte américain John Sanford, de Boston, la mairie-école et le lavoir constituent une interprétation très réussie du style roman.
Le lavoir (1921) vue depuis la rue principale. L’arrière est ajouré d’arcades retombant sur des colonnes ornées de chapiteaux. Depuis le porche néo-roman de la mairie-école (1923), on aperçoit, dominant l’ancien chemin de ronde, l’esplanade qui ouvre sur la Woëvre et les côtes de Meuse. À l’instar du lavoir, le bâtiment de la mairie-école a été conçu par l’architecte américain John Sanford, de Boston.
Du château ne subsistent que quelques éléments, réincorporés par l’architecte Henri Jacquelin, d’Évreux, dans la nouvelle construction. Celle-ci se compose de deux corps de bâtiments en équerre, dont le plus court est prolongé par un châtelet d’entrée surmonté de bretèches à mâchicoulis et flanqué d’une tour. L’ensemble, étonnante synthèse des influences médiévale et gothique, se teinte de discrets accents Arts and Craft.
Caché par une poterne à la sévérité toute médiévale, le corps principal du château est éclairé, au rez-de-chaussée, par des fenêtres à meneaux. À l’étage, une longue balustrade ajourée de style gothique dessert la façade sur jardin. À la base du toit courent des lucarnes à crochets et pinacles. La salle des Burgrave occupe la partie ouest du corps central du château. Elle fait partie des éléments subsistants de l’époque des évêques. Son sol est recouvert de carreaux de céramique rouge alternant avec des dalles en marbre noir.
Il doit sans doute aux origines normandes de son concepteur l’appareil en damier brique et pierre présent sur l’une des tourelles d’angle et sur les pignons couronnant les lucarnes du corps principal. Cette architecture savante et éclectique reflète les goûts d’une commanditaire passionnée par les arts. Elle contribue à faire d’Hattonchâtel un exemple à part dans l’histoire de la Reconstruction.