En novembre dernier, l’association VMF proposait un webinaire sur la place de la sculpture dans les jardins au fil du temps. Michel Audouy, architecte-paysagiste et enseignant à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles, a animé cette conférence.
Les sculptures ont toujours eu une place importante dans les jardins. Ce véritable élément de décor accompagne les différents jardins et parcs tout en témoignant de l’histoire et de la richesse des lieux. De l’Antiquité à nos jours, elles ont été plus ou moins mises en avant, permettant de structurer les différents espaces des jardins et se mêlant à la nature.
Nombreuses dans les jardins français tels que celui du Luxembourg à Paris ou les jardins du château de Versailles, les sculptures reflètent l’histoire d’une époque ou d’une personnalité. Michel Audouy nous raconte la place de la sculpture au jardin sur six périodes, de l’Antiquité à nos jours.
Dans l’Antiquité, ce sont de véritables éléments de décor des jardins et elles font partie intégrante de l’architecture générale des sites. Elles représentent principalement les divinités associées au pouvoir et à la richesse. La présence de statues dans les jardins est un signe extérieur d’appartenance à une élite. Les jardins sont associés au pouvoir par leurs propriétaires qui peuvent se représenter dans la sculpture, comme on pouvait le voir dans le jardin d’Hadrien.
On retrouve cette notion de pouvoir au XVIIe siècle, à Versailles, où l’iconographie est un rappel permanent de la puissance du roi et de son omniprésence. Par exemple, l’Apollon servi par les nymphes, de François Girardon, réalisé entre 1667 et 1675. Ce groupe sculpté (qui sera déplacé trois fois) est un véritable symbole de richesse, de pouvoir et de culture à la gloire du jeune Roi Soleil.
La Renaissance voit la redécouverte de l’art antique, avec une large collection d’œuvres de style gréco-romain. C’est aussi l’époque des « grottes », qui abritent des groupes sculptés : celle du palais Pitti par exemple, résidence des Médicis à Florence, dans les jardins de Boboli, qui abritait les esclaves de Michel-Ange (les Prisonniers sont aujourd’hui conservés à la Galerie de l’Académie, à Florence).
Au XVIIe siècle, les jardins classiques reflètent l’influence italienne exercée par les nombreux artistes venus en France. L’atelier d’André Le Nôtre en est un exemple, puisqu’il comprenait un ensemble d’œuvres de maîtres italiens dont il s’est inspiré. Louis XIV fonde l’Académie de France à Rome pour y envoyer de jeunes artistes se former et rapporter sculptures et décors sculptés, sources d’inspiration. Les jardins du château de Versailles sont pensés avec des éléments sculptés, afin de construire un décor harmonieux en fonction de l’espace donné.
Chacun fait corps avec le dessin du jardin. Les maquettes sont réalisées à l’échelle, pour évaluer les distances et les proportions et ainsi équilibrer le décor. Cette précision revêt une certaine importance dans l’ensemble statuaire intégré dans le paysage, de près comme de loin. À Versailles par exemple, les bosquets sont jalonnés d’éléments sculptés.
À l’époque des Lumières, les jardins se veulent une sorte de « musée historique » et mettent en scène un passé prestigieux. Dans sa conférence, Michel Audouy présente ainsi plusieurs tableaux de jardins classiques à thème de ruines, évoquant les vestiges d’un passé prestigieux.
Au XVIIIe siècle, en France comme en Angleterre, la sculpture est véritablement mise en scène dans le paysage, comme on peut le voir dans le jardin champêtre du Petit Trianon, avec son temple de l’Amour. Le décor sculpté est associé à ce que l’on appelle des « fabriques », petites constructions qui donnent des perspectives dans le paysage, et autant de points qui focalisent l’attention du promeneur.
Le XIXe siècle marque une rupture par rapport aux époques précédentes. Les sculptures ont une nouvelle fonction plus commémorative. On cherche alors à célébrer les grandes figures de l’Histoire : rois, écrivains, députés, héros de guerre. Le jardin du Luxembourg en est un bon exemple, puisqu’il comprend une quarantaine de statues de célébrités, dont toute une série sur les reines de France. Les éléments sculptés, d’inspiration pittoresque, sont mis en scène pour évoquer des scènes champêtres. On fabrique par exemple des oratoires, des croix de calvaire, pour donner une autre dimension aux jardins. Les jardins se peuplent aussi d’autres types de statues, qui ne sont plus de style antique mais représentent plutôt des animaux ou des personnes célèbres.
Famille de cervidés. Cette œuvre due au sculpteur Georges Gardet (1863-1939) fait face au bassin de l’Octogone et au grand escalier d’eau du parc du château de Sceaux (Hauts-de-Seine). © gmouret92 Statue d’Anne-Marie-Louise d’Orléans, dite la Grande Mademoiselle, cousine germaine de Louis XIV. Exécutées entre 1843 et 1846, des statues des Reines et femmes illustres ayant marqué l’histoire de France sont disposées sur de hauts socles, autour du jardin central. © Annie Dalbera
Le début du XXe siècle est très riche et éclectique. On invente de nouvelles formes de sculptures mais on renoue aussi avec les modèles classique et de la Renaissance, en les revisitant.
Après les deux guerres mondiales, les parcs sont souvent laissés à l’abandon, la nature reprend ses droits. On invente alors de nouvelles sources en revisitant les styles anciens, tout en conservant un aspect « nature ». À partir de la seconde moitié du XXe siècle, la sculpture se déplace hors du champ de paysage vers « l’installation », avec le « land art ».
En 2013, Jean-Michel Othoniel, artiste sculpteur, crée un ensemble de sculptures et fontaines contemporaines lors du réaménagement de l’ancien bosquet du Théâtre d’eau à Versailles, bosquet dont l’état dessiné par André Le Nôtre avait disparu dès le XVIIIe siècle. Jean-Michel Othoniel s’est inspiré de l’écriture en arabesque des pas de danse baroque, comme un hommage à l’histoire du lieu au XVIIe siècle. Il a recréé des œuvres mais a aussi choisi de trouver un nouvel équilibre entre la nature et l’art. Les socles sans statues restant ont été laissé ainsi et l’idée a été de travailler avec le végétal. On a donc planté des glycines à la place des sculptures. Ainsi les jardins ne sont plus structurés par des œuvres en pierre mais par des œuvres végétales.
L’équilibre trouvé au XVIIe siècle entre jardins et sculptures est parfois aujourd’hui délibérément rompu, au profit d’une autre manière de percevoir les choses. On cherche désormais à implanter dans les parcs et jardins des œuvres au matériau brut, de taille disproportionnée.