Le Combray de Marcel Proust ne vivra pas à l’ombre des éoliennes en fleur

Par Diane Margerit Magistrat à la Cour administrative d'appel de Versailles Rapporteur public à la 2e chambre

Date de publication : 07/07/2022

Temps de lecture : 9 minute(s)

Face aux éoliennes, la Cour administrative d’appel de Versailles a fait le choix d’une protection accrue des paysages marqués par une œuvre artistique. Elle a décidé de préserver le paysage du village d’Illiers-Combray (Eure-et-Loir), en raison de son importance dans l’œuvre de Marcel Proust mais aussi de sa matérialisation par des parcours et des aménagements dans un périmètre défini. Décryptage de l’arrêt du 11 avril 2022.

« Comme la promenade du côté de Méséglise était la moins longue des deux que nous faisions autour de Combray et qu’à cause de cela on la réservait pour les temps incertains, le climat du côté de Méséglise était assez pluvieux et nous ne perdions jamais de vue la lisière des bois de Roussainville dans l’épaisseur desquels nous pourrions nous mettre à couvert ». Cet extrait de Du Côté de chez Swann décrit avec une merveille de délicatesse le paysage subtil de la campagne d’Illiers-Combray (Eure-et-Loir), si présente dans l’œuvre de Marcel Proust.

Or, c’est sur un terrain tout proche qu’a été envisagée la création d’un parc de douze éoliennes. La préfète d’Eure-et-Loir a refusé d’autoriser le projet en se fondant sur l’atteinte aux paysages et au patrimoine culturel protégé. La Cour administrative d’appel de Versailles a validé sa décision dans un arrêt qui présente un intérêt pour les propriétaires de biens historiques et les porteurs de projet patrimoniaux, qu’ils soient particuliers ou institutionnels.

Sont ici exposés le contexte de cette décision, son contenu précis, ses implications pour les porteurs de projet et ses développements possibles.

Des juridictions globalement favorables aux éoliennes

Créer un parc éolien impose de solliciter auprès du préfet une autorisation environnementale unique, régie par le code de l’environnement. Le projet doit respecter des dispositions dont la rédaction très générale doit en théorie permettre d’assurer une protection efficace des paysages et des bâtiments qui s’y insèrent. Le premier est l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme1. Le préfet doit examiner la conformité du projet à cet article d’ordre public, destiné à garantir que le projet ne porte atteinte ni au paysage, ni aux sites environnants. Le deuxième est l’article L. 511-1 du code de l’environnement, qui permet d’interdire un projet en raison des dangers ou des inconvénients, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour la conservation des sites et des monuments.

Mais la jurisprudence est globalement favorable aux projets d’éoliennes, et la barre de la qualité paysagère est mise très haut pour qu’une censure soit possible. N’est pas retenue l’atteinte paysagère pour un projet situé « à seulement 5 kilomètres du château magistral de La Rochefoucauld2 ». Quand le site compte des bâtiments historiques, la jurisprudence exige une covisibilité (c’est-à-dire que lorsqu’on regarde le bâtiment, on doit également voir l’éolienne) pour que cela soit retenu en défaveur des éoliennes. Sans cela, la proximité d’un voire deux monuments, même classés, est sans impact. Y échappent soit un paysage aux caractéristiques marquées, comme l’Aubrac3, soit les sites très touristiques comme la cité de Carcassonne4.

A seul été censuré un projet d’éoliennes eu égard à son caractère industriel, à sa situation de covisibilité avec plusieurs sites mémoriels liés aux champs de bataille de Verdun et au risque de voir remis en cause leur classement au patrimoine mondial de l’Unesco « paysage et sites de mémoires de la Grande guerre5 ».

La jurisprudence ne s’est jamais prononcée sur l’atteinte portée par des éoliennes à un paysage littéraire, car aucun opposant n’a pensé à invoquer une telle atteinte. Ainsi, l’association Bien vivre en pays d’Urfé6 avait seulement invoqué l’atteinte au paysage de moyenne montagne des Monts de la Madeleine abritant le château d’Urfé, du nom de l’auteur du premier roman français. L’occasion avait également été manquée par l’association Vivre en Boischaut7, qui avait argué d’une atteinte aux demeures de George Sand à Gargilesse, labellisé « Plus beau village de France » et Nohant, mais seulement dans leur dimension architecturale, et non dans leur lien avec l’œuvre de l’écrivain.

Un arrêt qui classe à part les paysages littéraires

Saisie par la Société des amis de Marcel Proust et des amis de Combray, la Cour, consciente de ce que le sujet de l’atteinte à un paysage évoqué par un auteur n’avait jamais été posé, a choisi de protéger le paysage du village de Marcel Proust, Illiers-Combray, en raison de son importance dans l’œuvre du romancier mais aussi de la matérialisation de ce patrimoine littéraire par des parcours et des aménagements dans un périmètre emprunté par les visiteurs. C’est une première.

Le site d’Illiers-Combray est entouré des terres agricoles de la plaine de la Beauce. La campagne est opulente et soignée, le village est préservé, avec un classement en site patrimonial remarquable, et le fameux clocher apparait comme au milieu d’une carte postale. Mais le site n’a pas de caractéristiques naturelles marquées, il n’est ni touristique, ni ne regorge de bâtiments classés en raison de leur architecture ou de leur histoire. Mais des aménagements, ici des sentiers pédestres équipés de signalétique resituant les lieux dans l’œuvre et la vie de Proust, ont été créés pour les visiteurs.

Ce qui a au final compté pour la Cour, c’est que le projet d’éoliennes serait visible tant depuis la périphérie du périmètre du site patrimonial remarquable (situé en plein bourg), alors qu’il a été institué pour préserver l’esthétique du bourg et de son clocher et notamment de l’entrée du village, que des circuits pédestres, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur du site patrimonial remarquable. Enfin, les éoliennes étaient appelées à dominer la végétation et les constructions agricoles, et seraient visibles dans le prolongement du clocher en certains points.

L’apport pour les porteurs de projet

Cet arrêt protège des paysages que ni la nature ni la qualité du bâti ne distinguent particulièrement, du moment qu’ils sont placés sous l’égide d’un artiste qui les a évoqués dans son œuvre et que des aménagements concrets de l’espace soient faits pour permettre la découverte de l’œuvre et de l’artiste.

Cela signifie que tout particulier ou toute collectivité propriétaire d’un bien inscrit dans un paysage de ce type peut arguer d’une atteinte par des projets d’éoliennes s’il y a covisibilité avec son bien et si des aménagements concrets et visibles dans l’espace et reliés à une œuvre peuvent être mis en avant. Est ainsi créée une « niche » protégeant des paysages peu remarquables en apparence mais pouvant être reliés à un écrivain.

La Cour a ainsi posé les jalons d’une protection qui pourra être étendue aux paysages évoqués par d’autres écrivains mais aussi des musiciens et des peintres. De plus, elle pourra être aisément transposée à des projets d’urbanisme soumis à permis de construire, notamment dans le cas de projets situés à proximité de bâtiments classés MH ou ISMH. Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat aura l’occasion de préciser la portée qu’il entend donner à cet arrêt.

Cet article a été élaboré sur la base des conclusions de Mme Diane Margerit, rapporteur public à la Cour administrative d’appel de Versailles, prononcées à l’audience du 17 mars 2022, C+, n°20VE03265.


1 Depuis la création des autorisations uniques, le Conseil a eu l’occasion de préciser l’articulation entre le code de l’environnement et celui de l’urbanisme. Un avis du 9 juillet 2021, Société Les Pâtis Longs, 6ème et 5ème chambres réunies, N° 450859, précise que les articles d’ordre public du code de l’urbanisme, dont fait partie l’article R. 111-27, s’appliquent toujours.
2 CAA de Bordeaux, 19 octobre 2021, ASSOCIATION CHARENTE LIMOUSINE ENVIRONNEMENT, 19BX02071.
3 CAA de Marseille, 3 décembre 2021, TERRE DE PEYRE, 19MA01159.
4 CAA de Marseille, SOCIÉTÉ PARC ÉOLIEN DES TROIS COMMUNES, 19MA00029.
5 CAA de Nancy, 20 juillet 2017, SOCIÉTÉ QUADRAN, 16NC02160.
6 CAA de Lyon du 26 janvier 2022, ASSOCIATION BIEN VIVRE EN PAYS D’URFÉ et autres, 19LY02840.
7 CAA de Bordeaux du 9 février 2021, ASSOCIATION VIVRE EN BOISCHAUT, 18BX04160.

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