Cas unique parmi les ensembles ruraux abrités dans les monts de la Margeride, la ferme Torrette se distingue par la teneur des aménagements intérieurs raffinés de son logis de maître. Construit au début du XVIIIe siècle, ce dernier renferme un décor élaboré combinant boiseries à moulures, dessus-de-porte et même un très rare papier peint panoramique en grisaille illustrant Les Métamorphoses d’Ovide.
Située dans les monts de la Margeride, non loin de Saint-Flour, la commune de Loubaresse (aujourd’hui réunie à Faverolles, Saint-Just et Saint-Marc sous le nom de Val-d’Arcomie) est riche en patrimoine bâti et possède plusieurs monuments historiques. Outre deux châteaux, elle s’honore en effet de deux édifices ruraux inscrits : la ferme de Pierre Allègre et la ferme Torrette, appelée la « Vieille Maison ». Toutes deux remarquablement conservées, à l’instar de la ferme voisine d’Estrémiac, sont en outre toujours dotées de l’ensemble des éléments bâtis et non bâtis liés à une exploitation agricole dans cette région autrefois dédiée à la culture du seigle et à l’élevage bovin. Si les intérieurs du bâtiment d’habitation de la ferme Allègre reflètent parfaitement le mode de vie paysan, ceux de la ferme Torrette sont en revanche bien différents.
Les bâtiments eux-mêmes sont élevés peu à peu entre la fin du XVIIe et le XIXe siècle : la grange-étable en 1690, le logis en 1717, le four à pain en 1756, la ferme en 1774 et le porche en 1808. Conformément au modèle de la ferme à cour fermée, l’ensemble est disposé autour d’une cour revêtue d’un cailloutis qui donne accès par un petit porche au jardin, jadis cultivé en potager et verger. Couverts de lauzes ou d’ardoises, les bâtiments sont construits en sombres et rudes moellons de basalte sur lesquels contrastent d’épais encadrements de baies en granit clair. Par-delà le grand portail d’entrée, s’agencent une grange-étable, le logis du fermier accompagné d’une seconde grange-étable, la maison de maître, ainsi qu’une fontaine, des abreuvoirs et des latrines.
Par son aspect extérieur, le logis de maître se distingue peu des bâtiments agricoles, si ce n’est par le nombre, la taille et la régularité des percements. Le seuil franchi, l’on pénètre pourtant dans un intérieur très policé. Certes, la cuisine offre toutes les caractéristiques de la salle commune des fermes cantaliennes, avec sa large cheminée, ses lits clos (transformés aujourd’hui en placards), son potager et son prie-Dieu intégré aux boiseries. Mais les autres pièces adoptent les aménagements et décors que l’on trouve d’ordinaire dans les intérieurs bourgeois ou même dans de petits châteaux.
Dans l’une des chambres, les dessus-de-porte sont peints de scènes de genre de facture naïve. Ici, berger avec ses moutons. Scène de genre peinte sur le dessus-de-porte de l’une des chambres. L’une des chambres, avec son alcôve, au premier étage. Fermière avec ses volailles. Scène de genre peinte sur le dessus-de-porte de l’une des chambres.
Chaque pièce est parée de boiseries à moulures droites ou chantournées, intégrant placards, cheminées, horloge ou alcôves. Une chambre présente même des dessus-de-porte peints sur bois de scènes de genre, d’une facture naïve mais charmante : fermière avec ses volailles, berger avec ses moutons, chasse au sanglier… Le plus étonnant tient néanmoins au décor du salon, dont les murs sont revêtus d’un papier peint panoramique en grisaille figurant Les Métamorphoses d’Ovide. Ce modèle, dont on ignore la manufacture productrice et dont la première édition date des années 1790-1800, illustre l’édition en français et en latin publiée en 1767-1771 par l’abbé Banier, accompagnée de gravures de plusieurs dessinateurs, dont principalement Charles Monnet. Cinq rares autres exemplaires en sont connus, réalisés en grisaille ou en camaïeu vert et sépia.
Adoptée dans les intérieurs nobles et bourgeois à partir du début du XIXe siècle, la mode des papiers peints panoramiques permet de se doter d’un décor moins coûteux que des tapisseries ou des toiles peintes et néanmoins spectaculaire. L’exotisme s’affiche sur les murs du lieu principal de réception, tout comme les références à la culture savante classique, déclinée sous forme monumentale ou littéraire. Ici, les différents épisodes des Métamorphoses se déploient dans une mise en scène romantique, où se déroulent des scènes tragiques entre héros antiques, au milieu d’une nature exubérante parsemée de ruines élégantes. Si l’on trouve en Auvergne d’autres exemples de ces revêtements muraux dans des châteaux et parfois même dans des demeures urbaines ou rurales relativement simples, on ne connaît semble-t-il aucun autre cas où ils se cachent, comme dans la ferme Torrette, à l’intérieur de ce qui paraît être le logis d’un fermier aisé, au milieu de bâtiments d’exploitation ! On ne peut que remercier les propriétaires d’avoir conservé dans son authenticité et remarquablement entretenu cet ensemble attachant, à l’écorce rustique et au contenu savoureux.