Lieu emblématique parisien, l’atelier-hôtel Jean-Jacques Henner, situé au 43 avenue de Villiers, est un lieu où l’architecture est mise au service de l’art et témoigne de la vie mondaine sous le Second Empire.
En 1878, le peintre Guillaume Dubufe (1853-1909) acquiert l’hôtel particulier bâti à partir de 1876 par l’architecte Nicolas Félix Escalier pour le peintre Roger Jourdain (1845-1918). Situé près du parc Monceau, l’atelier-hôtel est construit dans un quartier qui se densifie entre 1880 et 1900. L’acquisition de ce lieu par Guillaume Dubufe survient alors que le quartier de la Plaine-Monceau gagne en attractivité, notamment en raison de la construction de plusieurs lotissements par les frères Pereire, entre 1870 et 1880, qui attirent la bourgeoisie. Pourtant excentrée des quartiers d’artistes habituels — alors principalement rue de Saints-Pères, rue d’Assas, le quartier de Notre-Dame-des-Champs et le boulevard Saint-Michel pour la rive gauche, ainsi que la « Nouvelle Athènes »[1], rive droite, la Plaine-Monceau attire rapidement bourgeois et artistes, comme en témoigne la construction d’ateliers-hôtels et d’immeubles bourgeois. De plus en plus fréquenté, le quartier accueille de grands artistes français et étrangers, tels que le peintre hongrois Mihály Munkácsy (1844-1900), au 53 avenue de Villiers.
La façade du 43 avenue de Villiers a été surélevée de deux étages en 1935, sous la direction de l’architecte André Arfvidson. © Jean-Yves Lacote/Musée Jean-Jacques Henner
À partir des années 1870, la bourgeoisie ne craint plus la proximité avec les artistes, considérés encore sous la Monarchie de Juillet (27, 28 et 29 juillet 1830) comme « une école de mauvaises mœurs »[2]. Le quartier Monceau en est l’exemple même. L’écrivain et journaliste Albert Wolff (1835-1891) écrit à cette époque que « dans toutes les maisons du quartier Monceau, il y a un atelier comme l’eau et le gaz se trouvent dans toutes les constructions nouvelles »[3]. Cette réalité reflète la nouvelle place des artistes dans la société bourgeoise parisienne du XIXe siècle, où « l’artiste devient législateur — qui détermine les règles du jeu de la mode —, prescripteur — qui influence les choix — et vecteur de modèles […] et objets »[4]. Lors de son acquisition en 1878, Dubufe est alors déjà reconnu en tant que peintre d’œuvres sur toile et de décors, notamment pour La Vérité un miroir à la main, au milieu de sujets ailés, le Drame, la Poésie, la Tragédie et la Comédie, son esquisse pour le plafond du foyer de la Comédie-Française.
Les ateliers-hôtels sont alors des lieux de mondanités qui forgent le goût du public et influencent même sa façon de concevoir la décoration de son propre intérieur.
Le salon aux colonnes, ouvrant sur le patio. © Hartl-Meyer/Musée Jean-Jacques Henner Éclairage zénithal pour les galeries de la cage d’escalier. © Jean-Yves Lacote/Musée Jean-Jacques Henner
Lieux de réception, ils répondent à un cahier des charges bien particulier. À partir de 1880, des architectes se spécialisent dans leur construction, à l’instar de Nicolas Félix Escalier (1843-1920), pour l’hôtel Dubufe. L’architecte réalise aussi celui de l’actrice Sarah Bernhardt (1844-1923), également peintre et sculptrice, que Jean Cocteau surnommera « monstre sacré ». Ces lieux ont pour ambition de mettre en valeur l’artiste tout autant que de lui offrir un espace de travail adapté. Monceau est un véritable marché pour les artistes qui s’exposent à une forte demande de la bourgeoise parmi laquelle chacun veut avoir son peintre, à tel point que les biens immobiliers du quartier sont de plus en plus chers.
Si aujourd’hui les objets et meubles d’origine ne sont plus présents dans l’hôtel particulier, une grande partie de sa décoration subsiste et a été restaurée. L’ensemble a la particularité de mélanger les styles et les références à des époques et à des civilisations diverses (Renaissance française, Empire ottoman, Andalousie, Afrique du Nord, Chine).
Le salon aux colonnes. © Hartl-Meyer/Musée Jean-Jacques Henner Dans le grand atelier d’apparat. © Jean-Yves Lacote/Musée Jean-Jacques Henner
Au premier étage, un patio ouvre sur l’atelier d’apparat, aux murs peints en rouge, où l’artiste avait placé des moucharabiehs égyptiens, dont une partie provient de la collection Goupil, vendue en 1888.
Moucharabieh ouvrant sur le vaste espace de l’atelier et salon d’apparat aux murs rouges. © Jean-Yves Lacote/Musée Jean-Jacques Henner
L’atelier d’apparat joue le rôle de salon de réception autant que d’atelier. Une grande importance est donnée à la captation de la lumière, l’un des éléments récurrents de ces constructions[5].
Après le décès de Guillaume Dubufe, ses descendants ont vendu la propriété en 1921 à Marie Henner, nièce du peintre Jean-Jacques Henner (1829-1905), qui souhaite y exposer les oeuvres de son oncle.
L’hôtel particulier Jean-Jacques Henner, ouvert au public depuis 1924, reflète les préoccupations et usages de la bourgeoisie au Second Empire et son intérêt croissant pour l’univers des peintres. Son architecture et sa décoration intérieure ont fait l’objet d’une restauration de 2002 à 2008 afin de lui restituer son éclat d’origine. Les œuvres du peintre Jean-Jacques Henner, contemporain de Guillaume Dubufe, y sont aujourd’hui exposées.
L’ancien atelier-hôtel du peintre Guillaume Dubufe abrite aujourd’hui les œuvres de Jean-Jacques Henner. © Jean-Yves Lacote/Musée Jean-Jacques Henner
Quelques dates clés :
1876-1878 : L’architecte Nicolas Félix Escalier construit pour le peintre Roger Jourdain (1845-1918) un hôtel particulier, au 43 avenue de Villiers, racheté par Guillaume Dubufe en 1878.
1924 : Inauguration du Musée Jean-Jacques Henner par le ministre de l’Instruction publique Léon Bérard.
1926 : Loi du 27 août qui accepte la donation et confère au musée le statut d’Établissement public administratif.
1945 : Le décret du 31 août place le musée sous le contrôle de la Direction des Musées de Paris.
[1] Le quartier Saint-Georges et notamment les rues Frochot, Duperré, Fontaine et Chaptal, le nord du quartier de la Chaussée-d’Antin, le nord du square Montholon et le quartier Rochechouart.
[2] Manuel Charpy, « Les ateliers d’artistes et leurs voisinages. Espaces et scènes urbaines des modes bourgeoises à Paris entre 1830-1914. », Histoire urbaine, n° 26, Société française d’histoire urbaine, décembre 2009, p. 52.
[3] Manuel Charpy, « Quartiers à la mode et attraction des marges. Législateurs du goût et conquêtes urbaines après 1860. », Agrandir Paris (1860-1970), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2012, 20 p.
[4] Manuel Charpy, « Les ateliers d’artistes et leurs voisinages. Espaces et scènes urbaines des modes bourgeoises à Paris entre 1830-1914. », Histoire urbaine, Société française d’histoire urbaine, n° 26, décembre 2009, p. 44.
[5] Jean-Claude Delorme, Anne-Marie Dubois, Ateliers d’artistes à Paris, Paris, Parigramme, p. 17.