Situés à Saint-Sigismond-de-Clermont, en Charente-Maritime, les écuries de La Tenaille, son château et son abbaye, superbe ensemble du XVIIIe siècle, tombent en ruine dans l’indifférence de leur propriétaire.
La Tenaille est d’abord une abbaye, fondée au XIIe siècle par Gérard de Salle, religieux de Fontevrault, de l’ordre de saint Benoît. Elle attire de nombreuses donations pendant plusieurs siècles, avant d’être mise à sac au XVIe siècle.
Vendue au XVIIe siècle, elle est confisquée et mise en adjudication lors de la Révolution, puis rachetée en 1831 par Alexis-Jules-Charles Martin de Bonsonge (1806-1880). Après une carrière dans les armes, ce dernier s’installe à La Tenaille avec sa jeune épouse, Catherine-Célestine Baynaud de Langlardie. C’est à lui que l’on doit la transformation du domaine abbatial en un agréable château du début du XIXe siècle et, semble-t-il, une modification des écuries telles qu’elles existent aujourd’hui.
Outre les communs de l’abbaye (comprenant un moulin à eau), la chapelle du XIIe siècle, remaniée au XVIIe, existe toujours. Elle possède encore un remarquable portail roman saintongeais. Le château proprement dit est de style Restauration. « La longue façade sur jardin répond au goût du moment. Constituée de onze travées, elle s’élève sur trois étages séparés par un bandeau, dont un étage attique. Cette façade est animée en son centre par un avant-corps, coiffé d’un fronton triangulaire. Le niveau des fenêtres de cet avant-corps ne correspond pas aux étages du corps de logis, mais aux paliers intermédiaires de l’escalier d’honneur. La porte-fenêtre ouvrant sur le jardin est encadrée de colonnes doriques et surmontée d’un linteau à triglyphes et métopes, formant balcon. Au début du XXe siècle, l’édifice a été maquillé en faux château de style Louis XVI. On le dota d’une toiture à l’italienne, avec balustres, masquant les tuiles. La façade antérieure a été complétée par l’adjonction d’une aile en retour d’équerre et ses baies ont reçu des guirlandes sculptées de style Louis XVI. Le cadastre de 1832 montre que le Tort, petit ruisseau à côté duquel La Tenaille est bâtie, permettait l’alimentation d’un système de bassins qui agrémentaient le jardin. L’ornementation principale consistait en un hémicycle faisant face au château avec un bassin rond, pourvu en son centre d’une petite île[1]. »
Le château passe de mains en mains avant d’être racheté en 2001 par un Américain vivant à Miami, par le biais d’une société immatriculée dans l’État du Delaware (paradis fiscal situé près de Washington). Le nouveau propriétaire possède également le château de Saint-Simon-de-Bordes, près de Jonzac. Ce dernier est en bien meilleur état que la Tenaille, ayant été habité du temps où son propriétaire venait encore dans la région.
Mais depuis plus de 20 ans, aucun entretien n’a été fait au domaine de la Tenaille et l’ensemble tombe en ruine. La raison ? La rumeur raconte qu’en arrivant à Saint-Simon le nouveau propriétaire aurait mis tout le personnel à la porte — sans ménagement. Parallèlement, il aurait acheté La Tenaille pour en faire cadeau à son épouse. Mais voici qu’il se retrouve assigné aux prud’hommes et que sa « moitié » le quitte. Vexé, il aurait délaissé les deux lieux. Et La Tenaille en pâtit tout particulièrement.
Si l’ancienne chapelle romane est classée au titre des Monuments historiques[2], le château et les écuries ne bénéficient que d’une inscription à l’inventaire supplémentaire des MH… une distinction qui est loin d’être anecdotique car, si la première a pu être sauvée par un programme de sauvegarde (uniquement de mise en sécurité, pas de restauration) financé par l’État, c’est au propriétaire que revient d’entretenir les seconds.
« Depuis maintenant 7 ans, explique Bernadette Octeau, maire de Saint-Sigismond-de-Clermont, je me bats en essayant de remuer ciel et terre pour que le domaine de La Tenaille soit au moins sauvegardé s’il ne peut être rénové. Ayant été élue maire en 2014, je me suis intéressée à la sauvegarde de ce patrimoine historique. En frappant à la porte de la sous-préfecture, j’ai été mise en relation avec la Drac de Poitiers. S’en sont suivies de longues procédures administratives pour arriver partiellement à nos fins, à savoir la mise hors d’eau de la chapelle, seul bâtiment classé, les autres étant simplement inscrits. Cette procédure était obligatoire car non sollicitée par ce propriétaire indélicat. En ce qui concerne les autres bâtiments, une telle procédure a été tentée. Il fallait pour cela que ces bâtiments soient classés. Les deux premières étapes ont été franchies sans encombre (avis favorable des commissions du Patrimoine et de l’Architecture, régionale — CRPA, puis nationale —CNPA). Mais dans la mesure où la demande n’émanait pas du propriétaire, il fallait une résolution du Conseil d’État. Or, ce qui devait être une formalité, pour reprendre la formule d’un parlementaire, est devenue une énorme déception pour tous, locaux, parlementaires, Drac, etc. »
En attendant, le château et l’abbaye tombent en ruine. L’urgence dans l’urgence concerne les écuries, immense ouvrage où vivaient encore des chevaux dans les années 1950. Le bâtiment montre de nombreuses traces d’humidité dans et sur les murs, aux trois niveaux de la construction. Et une partie du bâtiment central s’affaisse. Leur charpente, unique en France, en bois massif, semble avoir été bombardée. Si les trous dans la toiture ne sont pas rapidement comblés, le support de couverture en peuplier (un bois qui ne supporte pas l’eau), risque de s’écrouler définitivement et d’entrainer l’effondrement de l’ensemble.
Une situation ubuesque et dramatique car, si d’un côté le propriétaire est aux abonnés absents, « de nombreux acheteurs se sont faits connaître, même tout récemment, avec de solides projets », ajoute madame le maire. « Mais apparemment, le prix proposé par ces derniers serait bien inférieur à ce que vaudrait cet ensemble, dixit la partie étrangère. »
À ce rythme, il n’y aura bientôt plus rien à sauver.
[1] http://www.chateau-fort-manoir-chateau.eu/chateaux-charente-maritime-chateau-a-st-sigismond-la-tenaille.html
[2] De l’abbaye originelle il ne reste qu’une chapelle, des entrepôts datant du XVIIIe siècle et une vaste demeure, ensemble architectural du XIIe, XVIIIe et XIXe siècles.
Merci à Mesdames Billart et Octeau, ainsi qu’à Monsieur Ballanger, pour leur aide dans la rédaction de cet article.