Situé sur la commune de Saint-Gilles-du-Gard, dans le département du Gard, en Occitanie (anciennement en Languedoc-Roussillon), non loin d’Arles et des Saintes-Maries-de-la-Mer, le château d’Espeyran fut, à partir du XIXe siècle, un véritable « temple » dédié au cheval. De cette époque est encore visible un important patrimoine équestre composé d’une sellerie, entièrement garnie, d’écuries, d’un bain pour les chevaux et de cinq voitures d’attelage.
Le château d’Espeyran témoigne d’une longue histoire liée, dès le Moyen Âge, à la célèbre abbaye bénédictine de Saint-Gilles, avant d’être vendu comme Bien national après la Révolution. Le domaine est acquis aux enchères en 1791 par Guillaume Sabatier, un banquier d’affaire résidant à Paris, originaire de Montpellier. À sa mort en 1808, sa sœur Marie en hérite et le gère avec son neveu, Jean-Baptiste Félix. Quand ils décèdent en 1818, Frédéric Sabatier (1813-1864) en hérite à son tour. C’est lui qui en fera un domaine agricole prospère autant qu’un lieu de villégiature dédié à la chasse et au cheval.
Grand amateur de chevaux, anglophile (comme en témoignent les nombreux livres en anglais de la bibliothèque), Frédéric Sabatier étudie, connaît, dresse et monte ses propres chevaux, tout en étant adepte de l’anglomanie, cette nouvelle forme d’équitation importée d’Angleterre au début du XIXesiècle, qui ajoute au plaisir de la chasse en terrain varié celui de franchir des obstacles naturels.
Amateur de sports de plein air, de chasse, de courses et de driving, il entreprend dès 1840 de moderniser et de décorer le château ainsi que de réaménager le parc pour en faire un lieu de réunion de la bonne société. Il adapte aussi le domaine pour qu’il devienne un modèle en matière d’élevage de chevaux et d’ovins. De nombreux communs et bâtiments agricoles voient le jour, tels que la bergerie, les écuries, la maison du jardinier, le manège et le bain des chevaux (restauré récemment).
Passionné de courses, il encourage la création d’une société hippique de Camargue. Il construit un haras et un hippodrome en bois aux abords du parc — hippodrome qui accueille ses premières courses de Steeple-chase le 2 septembre 1837 — et crée un élevage de Pur-sang Anglais, peut-être aussi d’Anglo-Arabe, dont nombre de produits s’illustreront rapidement en courses : Pompier, Grenadier, Surprenant, Lyrique, Mon-premier, Défenseur, Flavio, Lutin II, Onze-mars, etc.
Comme en témoignent les nombreuses gravures exposées dans la sellerie, Frédéric Sabatier nourrit aussi une passion pour le Pur-sang Arabe. Il aurait rapporté des spécimens d’un voyage à Alger, en plus de chiens lévriers dont on connaît les talents pour la chasse.
Il aurait aussi eu des chevaux Camargue.
L’hippodrome et le haras disparaissent à sa mort, en 1864, mais le bâtiment – aujourd’hui les communs – dédié à ses chevaux personnels est encore visible aujourd’hui. Situé dans la cour du château, ces communs abritent une sellerie d’apparat, une écurie de dix stalles disposées en deux rangs pour ses chevaux de chasse, une remise à voitures hippomobiles et trois boxes pour les juments.
La sellerie d’apparat, entièrement lambrissée, est encore garnie de tous ses objets : selles de cavaliers et d’officiers, brides d’officiers, harnais d’attelage armoriés pour un, deux ou quatre chevaux avec licols et grelottières signés Lénè (un des selliers les plus réputés du Second Empire), les deux selles de postillons de la voiture à la d’Aumont (ou Daumont), etc. Une vitrine murale abrite un ensemble de mors, deux porte-fouets, dont un monumental, en buis tourné, présentant des cravaches et des fouets.
La sellerie, au centre de laquelle triomphe le squelette d’Actif. Au premier plan, un ensemble de fouets de cocher. © DR
Au centre de la sellerie, témoin du goût du propriétaire pour cette race de chevaux, se dresse le squelette d’un pur-sang arabe nommé « Actif ». Acheté aux enchères par la famille d’Espeyran, l’animal aurait connu l’épreuve du feu ; en effet, lors de sa restauration en 2016, une petite perforation qui semblerait avoir été faite par une balle a été découverte sur une de ses côtes ; mais la forme de l’os indique qu’il n’en serait pas mort.
Frédéric Sabatier d’Espeyran possédait dix voitures à son décès en 1864, qui furent malheureusement utilisées lors de la débâcle de 1944 par les troupes allemandes qui occupaient le domaine, puis abandonnées. Seules cinq purent être sauvées, puis restaurées au milieu des années 1980 avec l’aide du Haras d’Uzès : un break de chasse grand modèle, un mail-phaéton, un break d’écurie, un coupé de ville et une berline de voyage.
En 1967, le château est devenu la propriété des Archives de France en vue d’y installer, dès 1973, le dépôt central des microfilms, aujourd’hui appelé le Centre national du microfilm et de la numérisation. Inscrit au titre des Monuments Historiques en 2009, détenteur du label Maisons des Illustres en 2013, le château est ouvert à la visite, uniquement sur réservation, pour les scolaires et les groupes d’individuels, ainsi que lors des Journées Européennes du Patrimoine, au mois de septembre. Un bon moyen de découvrir cet ensemble magnifiquement conservé.
Pédiluve pour les chevaux. Sur la droite, en bas, on aperçoit la rainure dans laquelle s’insérait le système de blocage de la piscine. © DR Noria alimentant le pédiluve (ou piscine). © DR
Contact : https://chateaudespeyran.fr
Un grand merci à Julien Catala pour son aide, sa documentation et sa bienveillance dans la rédaction de cet article.