« J’aurai vécu cela. J’ai vu tomber de mes yeux la flèche de Notre-Dame de Paris », écrit Adrien Goetz au début du petit opuscule qu’il a rédigé d’une seule traite le dimanche de Pâques, six jours après l’incendie de la cathédrale parisienne. La sidération a fait place à la réflexion. « Ce qui émeut à Notre-Dame, c’est la conscience collective de la fragilité de notre rapport au passé. C’est ce qui a parlé à toute l’humanité », affirme-t-il, en prenant garde de ne pas dissocier le patrimoine de l’émotion et de la sensibilité ?
La réflexion après la sidération
Spécialiste du XIXe siècle, l’historien de l’art livre là une brillante interprétation de la cathédrale parisienne et de son image, où « chaque génération a laissé des traces d’elle-même, des strates visibles. » Si le XIIIe siècle a vu éclore l’édifice, pour lui, c’est le XIXe siècle qui en a fait le chef-d’œuvre monumental autour duquel les visiteurs du monde entier se pressent chaque jour. Il s’attarde sur l’action croisée de Victor Hugo et d’Eugène Viollet-le-Duc. Hugo le visionnaire « au sujet de la définition des monuments susceptibles d’être protégés, le premier à défendre l’idée d’un bâtiment intéressant parce qu’il est composite ». Pour lui, le romancier est l’alchimiste qui a permis à l’architecte restaurateur d’imaginer le monument néo-médiéval comme un tout harmonieux et cohérent.
La flèche est pour Goetz l’emblème moderne du monument, son « identité visuelle », autour de laquelle s’est cristallisé le débat relatif à la réparation de l’ensemble de l’édifice. Devenue « en une semaine le point d’impact d’un orage médiatique, ridicule combat des anciens et des modernes », elle n’en est pas moins porteuse de sens. « Elle parle le langage, commun à tous, de l’architecture. Elle est […] ce qui donne son sens à l’édifice et le rend intelligible. » Raison pour laquelle il faut, selon lui, la rétablir à l’identique.
Plaidoyer pour l’art du XIXe siècle
Ce précieux petit livre s’attache aussi à rappeler l’importance de l’art du XIXe siècle et de sa restauration, urgente. « Le XIXe siècle est pour notre génération ce que le Moyen Âge a été du temps de Hugo : une masse d’édifices indistincts et mal aimés, qu’on laisse abattre parce qu’on ne sait plus les voir. La responsabilité de notre génération vis-à-vis de celles qui viennent est considérable. » Un grand chantier intellectuel est à lancer, car « la restauration d’une cathédrale doit être la restauration de son sens. » On ne peut restaurer un lieu de culte, qui est un édifice vivant, comme on le ferait pour un musée, expliquait déjà Proust en 1904. Et Goetz de plaider en faveur du défi proustien posé aux savants de « retrouver la signification perdue des cathédrales », de manière à pouvoir recouvrer l’aura et l’âme de Notre-Dame de Paris. Pour cela, il appelle de ses vœux la création d’un musée dédié, pourquoi pas dans les anciens bâtiments de l’Hôtel-Dieu – autour desquels gronde une nouvelle polémique politico-financière.
Pour vous procurer le livre :
Adrien Goetz, Notre-Dame de l’Humanité, Grasset, 80 pages, 5 € (droits versés à la Fondation du patrimoine)