Imaginé en 1769 par le grand architecte Claude-Nicolas Ledoux qui ne s’y rendit lui-même qu’une seule fois, en 1774, le château de Bénouville était destiné aux réceptions fastueuses du marquis et de la marquise de Livry. Première œuvre du grand architecte des Lumières à avoir été édifiée « à la grecque », la demeure, conçue autour d’un escalier monumental, a été restaurée à plusieurs reprises. Visite guidée.
Le château de Bénouville est l’un des rares exemples subsistant des demeures privées construites par le grand architecte Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806). La commande lui fut passée en 1769 par François Hippolyte Sanguin, marquis de Livry, et son épouse, Thérèse-Bonne Gillain de Bénouville. Celle-ci était propriétaire du domaine en tant que seule enfant survivante du marquis de Bénouville.
François de Livry était âgé de 55 ans. Son père, qui avait été un fidèle serviteur de Louis XIV, conseiller d’État, avait disparu en 1741 et son frère aîné était décédé en 1758. Chef d’escadre de la marine royale, François Sanguin était alors devenu marquis et avait épousé Thérèse-Bonne de Bénouville en 1760. Le père de celle-ci était également militaire et sa mère, Bonne-Charlotte Hue de Langrune, avait publié en 1758 Pensées errantes, avec quelques lettres d’un Indien, un livre plein d’humour et d’intelligence dans lequel elle questionnait sa foi. Après le décès du marquis de Bénouville, le marquis et la marquise de Livry firent démolir la forteresse médiévale normande, n’en gardant que la chapelle du XVe siècle. Ils trouvèrent l’argent en vendant leur château du Raincy à Philippe d’Orléans, et sollicitèrent Nicolas Ledoux pour la construction au bord de l’Orne de leur « petit château », ainsi qu’ils le qualifiaient.
À la grecque
Entre 1763 et 1767, Ledoux avait construit plusieurs hôtels et châteaux, pour la plupart détruits depuis. Bénouville marqua un changement : ce fut le premier bâtiment de cette importance qu’il imagina « à la grecque ». Le centre de la façade est souligné, côté nord, par un avant-corps scandé par six pilastres ioniques d’ordre colossal qui relient le rez-de-chaussée, l’étage noble et un entresol. Au-dessus, un haut attique surmonté d’un parapet dissimule le toit. Six trophées et rostres sculptés entre les fenêtres de l’attique prolongent les pilastres. Au sud, la façade principale ouverte sur la cour d’honneur présente deux travées supplémentaires mais elle est dotée d’un portique colossal en avant-corps à colonnes ioniques qui, combiné aux ressauts du bâtiment, en gomme la largeur. Ce portique est surmonté d’armoiries et de figures en ronde-bosse évoquant visuellement un fronton. Impressionnant, le bâtiment mesure 41 mètres de longueur pour 18 de hauteur et compte plus de cent pièces réparties dans une surface habitable de 4 800 mètres carrés.
La construction fut lancée en avril 1770, début d’une décennie faste pour l’architecte. Occupé à d’autres réalisations, notamment pour madame du Barry et la danseuse Marie-Madeleine Guimard, Ledoux confia le chantier à ses collaborateurs (dont l’architecte Angibault). Il était alors à la tête d’une véritable « agence ». Il ne vint, semble-t-il, qu’une seule fois à Bénouville, en 1774, pour arbitrer un litige portant sur des malfaçons de menuiserie. L’aménagement intérieur fut conduit par l’architecte Joseph Devilliers de Maison-Rouge et la décoration intérieure placée sous la direction du Normand Jean-François-Etienne Gilet. Le tout fut achevé en 1780, après des interruptions dues au manque d’argent. Enfin, une chapelle fut construite en 1786 ou 1787.
Dans le prolongement d’un grand vestibule orné de bas-reliefs, la pièce maîtresse du château est un escalier monumental se déployant sur toute la hauteur du bâtiment. Il mène aux chambres privées de la marquise, à l’est, et à celles de son époux, à l’ouest. Ce dernier disposait d’un grand bureau attenant où il avait établi son cabinet de curiosités tandis que la marquise possédait son boudoir meublé d’une commode et de fauteuils, encoignures et tables à écrire. Quatre pièces, destinées aux valets et femmes de chambre, étaient situées côté nord et plusieurs petits escaliers, donnant dans les garde-robes ou corridors, desservaient l’entresol où logeait le reste des domestiques. Au-dessus, l’étage attique accueillait les chambres des enfants et des amis.
L’escalier d’honneur est établi sur toute la hauteur du bâtiment mais ne dessert que l’étage noble. L’oculus de sa coupole à caissons, peint en trompe-l’œil, bénéficie d’un éclairage indirect. L’escalier d’honneur est orné d’écussons de feuilles de chêne et de lauriers couronnés. Les tournants de la rampe portent les initiales entrecroisées des Bénouville et des Livry.
La décoration se concentrait essentiellement dans l’antichambre – chauffée par des poêles et ornée de fontaines –, l’escalier et les pièces de réception du rez-de-chaussée : salons, dont l’un se signalait par quinze tableaux, salle à manger ornée de papier peint chinois, salon de jeu et chambre d’apparat. Ledoux n’avait pas prévu de cuisine à l’intérieur même du château et il semble que l’une des deux autres petites chambres du rez-de-chaussée ait été dévolue à cet usage.
Caprice des Lumières
En réalité, ce grand bâtiment n’était pas destiné à être durablement habité. Dans son étude sur l’ameublement, dont l’inventaire a été établi lors de la vente de 1792, Dominique Pain note que les pièces de réception contenaient pas moins de cent vingt sièges. Dans cette grande maison de campagne, les invités pouvaient être logés. Outre la promenade dans le parc, ils se distrayaient grâce à la musique, la conversation et les jeux de cartes. À en croire le témoignage de Dufort de Cheverny, le marquis était un gros joueur. Bénouville était une folie des Lumières, mot dérivé de feuillée signifiant abri de feuillage ou cabane, qui désignait alors une maison de campagne.
Ce caprice somptueux ruina les Livry. À son décès, le 9 janvier 1789, le marquis avait vendu une grande partie de ses biens et sa veuve dut se résigner à céder Bénouville en 1792. Le canal de Caen à la mer, qui longe la façade est, fut creusé entre 1844 et 1857. En 1927, le conseil général du Calvados acquit le domaine et le château qui menaçait de tomber en ruine. Les élus en firent une maternité et, ayant accepté son classement au titre des Monuments historiques en 1930, construisirent les bâtiments hospitaliers dans le jardin pour éviter de porter atteinte à l’édifice. Lorsqu’il fallut diviser des pièces, les travaux furent réalisés sans toucher aux murs d’origine.
Si la bataille de Normandie occasionna des dégâts, ceux-ci purent être réparés. Après la fermeture de la maternité, à la fin des années 1970, il fallut trouver une autre destination au château. La chambre régionale des comptes s’y installa en novembre 1986 à la suite d’une campagne de restauration. Débarrassé des constructions adventices, le jardin fut alors confié au paysagiste Gilles Clément. Les espaces du rez-de-chaussée sont désormais conservés par le conseil général pour ses réceptions et des expositions y sont régulièrement organisées.
« Avec son péristyle de colonnes, son toit en plateforme, il produit un assez bel effet quand on le voit de la rivière […] ou mieux encore de la rive droite du fleuve », écrivait Arcisse de Caumont dans Statistique monumentale du Calvados (1847) à propos du château de Bénouville. Aujourd’hui, on peut l’admirer du canal, longé par une piste piétonne et cyclable, ou en assistant à l’une des conférences programmées par l’Institut européen des jardins et paysages qu’il abrite.
© VMF/MAP
À lire
Le château de Bénouville
Éditions Cahiers du Temps, 2007