Châteaux, « campagnes » ou « folies », quelques rares résidences d’été du siècle des Lumières ponctuent çà et là les paysages berrichons. Entretenus avec soin, ces lieux pleins de charme et empreints d’une atmosphère raffinée témoignent d’un art de vivre à la française intemporel.
Le XVIIIe siècle, pas plus que le XVIIe, n’est une grande période de construction dans le Bas-Berry. La noblesse locale est majoritairement pauvre, elle n’a d’ailleurs jamais été riche. Les terres offrent des rendements médiocres, et chez les bourgeois, gens de robe, financiers ou commerçants, l’édification de demeures raffinées se limite à quelques hôtels à Issoudun, Le Blanc ou Châteauroux. Quelques exceptions confirment néanmoins la règle : les châteaux de Bouges et la Moustière, à Vicq-sur-Nahon, et un certain nombre de « campagnes » ou « folies », modestes résidences d’été, mais souvent pleines de charme. Beaucoup ont perdu leur caractère par l’adjonction, à la fin du XIXe siècle, d’ailes ou de pavillons souvent surdimensionnés, mais certaines subsistent néanmoins dans leur état d’origine, pour notre grand plaisir !
Le château de la Moustière
La Moustière et Bouges sont, sans conteste, les deux principaux châteaux XVIIIe de l’Indre. Les départager n’est qu’une question de goût. Moins original que le château de Bouges, la Moustière est mieux intégrée dans le paysage berrichon. Son commanditaire, Edmond Le Prestre de Neubourg, receveur général des finances de la généralité de Caen, n’est pas un parvenu : il a de bonnes alliances, dont certaines berrichonnes, ce qui n’est sans doute pas étranger à son acquisition, en 1746, de la terre de la Moustière, près de Valençay. C’est Joseph-Abel Couture, architecte normand réputé, qui élabore les plans du château, terminé en 1771. Parallèlement, Couture travaille à Valençay où il complète l’aile ouest, et utilise les plans de la Moustière – ou l’inverse – pour le château de Saint-Senoch, près de Loches, en Indre-et-Loire, plus petit mais quasiment identique.
Sa symétrie parfaite autour d’un axe central et sa modénature raffinée sans être écrasante font de la Moustière un parfait exemple de l’architecture de la fin de l’époque Louis XV. La disposition symétrique s’impose dès la longue allée d’honneur dans les bâtiments de service, élevés sur deux niveaux et un comble à la Mansart, comme le corps central sommé d’un fronton triangulaire, et les deux pavillons saillants percés d’œils-de-bœuf accostés de deux pavillons bas. Quelques détails pratiques soulignent l’importance accordée au confort des hôtes : les cuisines, rejetées dans une dépendance afin de limiter les nuisances, étaient reliées au château par un souterrain voûté dont les traces subsistent. Plus spectaculaire est la glacière, probablement la seule subsistant en Bas-Berry dans son état d’origine, chef-d’œuvre d’ingéniosité qui permettait au maître de maison d’offrir en été à ses invités glaces et sorbets, et… d’arroser les jardins par des canaux souterrains alimentés en glace fondue.
Une double rangée de communs précède le château. Contemporains de la demeure, ils s’en distinguent par leur facture simple et des toits pour la plupart en tuile. L’un d’eux abrite une petite chapelle. Le parc de la Moustière conserve une glacière du XVIIIe siècle en très bon état. Un ensemble de corps de ferme s’élève à proximité du château de la Moustière. Un pigeonnier marque l’un des angles de la ferme.
À la succession de Le Prestre de Neubourg, la Moustière fut acquise en 1781 par Alexandre Godeau de La Houssaye, dont le petit-fils, Amédée Godeau d’Entraigues, donna, d’une manière inattendue, un nouveau lustre au château. Jeune officier blessé à Trafalgar, repéré à Valençay par Talleyrand qui favorisa plus tard sa nomination comme préfet de l’Indre-et-Loire, il tomba amoureux d’une pupille de Talleyrand, Anna, princesse Santa Croce, Italienne sans fortune réfugiée à Valençay sous la protection de Mme de Talleyrand. Le ministre dota généreusement la jeune princesse devenue Mme d’Entraigues. Jusqu’à la mort du prince de Bénévent, des relations amicales unirent Valençay et la Moustière. Aujourd’hui, les descendantes d’Anna, la comtesse Alain de Grimoüard et sa fille, Patricia Chatel, veillent avec soin et énergie sur ce très beau domaine dont l’atmosphère raffinée continue d’évoquer ce XVIIIe siècle que regrettait Talleyrand en son temps.
Néoclassicisme à Bouges
Dénommé le « Petit Trianon de l’Indre », le château de Bouges évoque irrésistiblement la « folie » de Marie-Antoinette. Raison pour laquelle cette œuvre néoclassique a longtemps été attribuée à Ange-Jacques Gabriel, sans que l’énigme ait été résolue. Bouges partage néanmoins avec son illustre modèle des lignes épurées, une économie dans la modénature, et une toiture dissimulée derrière une balustrade – autant d’éléments souvent repris, jusque dans les pastiches du XXe siècle.
C’est Charles Claude Leblanc de Marnaval, maître de forges, dont le père, originaire de Lorraine, acquit le bail des forges de Clavière près de Châteauroux, qui décida en 1759 d’acheter la terre de Bouges et d’y implanter cet édifice inattendu qualifié plus tard de « pavillon à l’italienne ». Condamné en 1771 pour prévarication, Marnaval dut toutefois vendre Bouges en 1779 au marquis de Rochedragon, dont la famille conservera le domaine, malgré la Révolution, jusqu’en 1818. Il passera ensuite brièvement entre les mains de Talleyrand, qui n’y résidera pratiquement pas, puis de familles fortunées moins illustres. Son dernier propriétaire privé sera Henry Viguier, directeur du Bazar de l’Hôtel de Ville, entre 1917 et 1967.
Le château a subi peu de modifications depuis l’origine. Seuls les communs, jugés trop modestes, ont été reconstruits vers 1880, dans le style XVIIIe par l’architecte Henry Dauvergne, et agrandis pour créer de somptueuses écuries et héberger la collection de voitures hippomobiles d’Henry Viguier. Le parc, en revanche, a suivi les modes successives. Son aménagement le plus marquant, qui subsiste, est celui du paysagiste Achille Duchêne (1866-1947), qui oeuvre à Bouges entre 1897 et 1909. Il redessine le parc en une savante synthèse entre le jardin classique et le parc à l’anglaise, dont certaines perspectives évoquent les aquarelles du XVIIIe siècle.
On ne peut parler de Bouges sans mentionner Mme Viguier, qui fut véritablement « l’âme » de Bouges jusqu’à son décès, en 1966, à la suite duquel le domaine a été donné à l’Etat par M. Viguier. C’est en effet Mme Viguier qui sut redonner au château son cadre XVIIIe, tel du moins qu’on pouvait le concevoir au milieu du XXe siècle. Avec son époux, elle acquit la quasi-totalité des meubles et objets décoratifs, presque tous contemporains de la demeure. Elle les choisit délibérément simples, sans ostentation, mais de bonne facture, comme elle pouvait imaginer qu’eut été le choix d’une dame de qualité pour sa demeure de campagne : pas de marqueteries, peu de bronzes ou d’or, mais des bois fruitiers ou de l’acajou. Le tout agrémenté de taffetas fleuris et de grands bouquets prélevés dans son jardin floral qui fait encore la fierté de Bouges. Cette tradition a été maintenue par le Centre des monuments nationaux, dont le personnel a su conserver « l’esprit des lieux », rendant si agréable la visite de ce site largement ouvert au public.
Le manoir des Girards
À proximité d’Issoudun et de la forêt domaniale de Choeurs-Bommiers, Les Girards ont été construits entre 1734 et 1753 par François de l’Estang, écuyer, dont la famille posséda le domaine jusqu’en 1788, date à laquelle il fut acquis par Charles Pouillon, directeur des fermes de Provence. Sa fille adoptive, épouse de Cyr-Claude Gaignault, famille déjà bien connue à Issoudun, alors capitale du Bas-Berry, en hérita. Depuis quarante ans, son descendant, Cyr Gaignault, gère ce patrimoine et sait que la relève est assurée. La maison n’est pas trop lourde, c’est au contraire le modèle dont rêveraient bien des familles : un logis très sobre – dans le Sud-Ouest, on le qualifierait de chartreuse – et bien équilibré, constitué d’un corps central de quatre travées. L’étage abrite les chambres légèrement mansardées, il est couvert d’un toit à brisis combinant tuiles pour la partie supérieure et ardoises (autrefois bardeaux de châtaignier) au niveau des lucarnes.
Dans la cour d’honneur, deux ailes de service encadrent le corps principal, chacune porte en son centre une lucarne de pierre. L’aile gauche, très légèrement plus longue, accueille la chapelle, au chœur entièrement lambrissé, dont l’autel est surmonté d’un tableau datable de la construction de l’édifice et représentant saint Joseph, curieusement imberbe : peut-être s’agissait-il de l’effigie du seigneur des lieux… L’aile droite abrite un petit appartement qui passe pour avoir été celui du chapelain. Il a conservé sa cheminée ancienne et ses boiseries XVIIIe. Les dépendances et les bâtiments agricoles, pour la plupart de même époque que le manoir, sont habilement dissimulés derrière les ailes et pratiquement invisibles de la cour d’honneur. Au sud du manoir s’étendent un long jardin à la française et une charmille toujours parfaitement taillée qui participe à l’harmonie de cet ensemble si typique des « campagnes » du XVIIIe siècle.
Le manoir d’Archys
Lorsque, en 1976, Jean-François Appert et son ami Jacques Simeret découvrent Archys, maison d’enfance du poète Henri de Latouche (1785-1851), la propriété est en piteux état. Légués en 1946 avec les terres à l’hôpital-hospice de Châteauroux par la veuve de son dernier propriétaire, le sénateur Émile Forichon, les bâtiments n’avaient fait l’objet d’aucun entretien. Les deux jeunes et enthousiastes acquéreurs défrichèrent ce qui restait du parc, remontèrent murs et charpentes, acquirent des stocks de tuiles anciennes et de carreaux de terre cuite. Le résultat est à la fois spectaculaire et invisible, tant les restaurations ont été effectuées avec goût et soin.
Aujourd’hui, le logis, dont la lucarne centrale porte la date de 1746, et les ailes partiellement XIXe qui l’encadrent, parfaitement intégrées, permettent d’imaginer la vie d’un bourgeois d’Argenton ou de La Châtre dans cette « maison des champs » du siècle des Lumières, dont quelques épis de faîtage évoquent discrètement les valeurs. À l’intérieur, les propriétaires ont su, grâce à des meubles, tableaux et objets d’art acquis avec discernement, donner une ambiance extrêmement raffinée, sans doute plus luxueuse qu’à l’époque de la construction. La vaste cuisine abrite, pour sa part, une étonnante collection de plus de deux cents récipients et ustensiles en cuivre, eux aussi soigneusement entretenus et mis en valeur. À l’extérieur, des plantations judicieuses et un travail minutieux ont permis d’offrir un écrin de verdure évoquant, sur un espace pourtant réduit, les alignements du Grand Siècle ou les jardins des vedute italiennes.
© VMF/MAP

À lire
Arnaud de Montigny a collaboré à de nombreux ouvrages sur le patrimoine de l’Indre :
- Châteaux, manoirs et logis – L’Indre, Patrimoine & Médias, 1999 et 2012
- À la découverte des églises de l’Indre, Patrimoine & Médias, 2004