Sur la commune de Buthiers, dans le splendide isolement d’un parc qui se fond avec la forêt environnante, l’architecte Georges Johannet a conçu en 1962 et 1963 une villa « moderne ». Tout en pierre massive, cette maison à la silhouette de fortin s’ouvre généreusement sur l’extérieur.
C’est à Buthiers que Robert Doisneau (1912- 1994) passa ses vacances et ses week-ends en famille depuis les années 1950 jusqu’à sa mort. Le célèbre photographe, qui adorait pêcher et se liait volontiers, s’était laissé charmer par le cadre pittoresque de cette petite commune du parc naturel régional du Gâtinais français, résurgence de la forêt de Fontainebleau, en lisière du Loiret. Dans le village, où les rues butent sur la forêt et les champs de tournesol, les fermes et les maisons de village en pierre massive donnent le ton.
Doisneau vivait par ailleurs à Montrouge, dans un immeuble d’ateliers d’artistes où habitaient aussi, entre autres, l’architecte Georges Johannet, le peintre Fernand Léger et le sculpteur Étienne Hadju. Unies par une belle amitié, les familles Johannet et Doisneau passaient leurs vacances ensemble. C’est ainsi que l’architecte découvrit Buthiers. Par un curieux concours de circonstance, Monsieur Morphy, l’une de ses connaissances, lui demanda d’y construire sa villa sur un grand terrain en prise directe avec la forêt.
Une villa au creux des bois
On les imagine arpenter à pied le kilomètre de campagne qui sépare le village du lieu-dit « le Guichet », où cette belle maison ne se laisse guère deviner depuis la route. Il faut avancer sous le couvert des grands chênes pour découvrir cette villa moderne, solitaire et puissante, ancrée dans sa clairière arborée. Pour l’architecte qui avait déjà construit les maisons-ateliers de ses amis Hadju, Vieira da Silva et Zao Wou-Ki, ce projet était une belle aventure. Son client cherchait une retraite au creux des bois pour se reposer et recevoir ses amis et lui laissait carte blanche pour construire dans un cadre de rêve. À charge pour lui de concevoir une villa de week-end où vivre au rythme de la nature, avec un espace convivial à partager et des zones plus intimes où chacun disposerait de son autonomie.
De formation classique, Georges Johannet s’intéressait aussi bien à l’architecture fonctionnelle et aux maisons modernes des pays nordiques qu’aux constructions de pierre comme on en trouve en Languedoc. Pour la villa Morphy, il mobilise son sens aigu du détail et joue avec talent des contrastes entre l’écriture moderne et une mise en oeuvre en résonance avec l’architecture vernaculaire.
Noblesse et simplicité de la pierre
La modernité de cette réalisation tient à sa volumétrie, à son plan en éventail comme à l’imbrication étroite entre l’intérieur, le jardin, la terrasse et le bassin circulaire d’où jaillit la cheminée en brique de la chaufferie. Les épais murs de pierre massive renvoient quant à eux à l’architecture plus protectrice des constructions traditionnelles.
Bien campé sur son terrain en pente légère, l’édifice, austère en apparence, s’affirme dans la dynamique paradoxale de ses murailles opaques contredites par les hautes baies verticales du séjour et les cadrages plus ponctuels des fenêtres carrées, qui font entrer visuellement la forêt dans la maison. La notion de façade disparaît au profit de la mise en scène d’une volumétrie minérale, étagée au rythme de la pente et des décrochements offerts par les volumes des chambres. La toiture plate en béton bordée d’une lisière de cuivre s’achève par l’émergence de la cheminée du séjour, dressée en bec d’oiseau comme pour se confronter aux chouettes qui hululent dans la forêt.
Montés à bain de mortier de chaux, les murs structurels forment l’enveloppe et la peau intérieure qui donnent aux pièces à vivre leur atmosphère. Pour les bâtir et leur donner une patine, les faire vibrer et anticiper leur vieillissement, l’architecte a des idées précises qu’il réussi à partager avec le commanditaire et l’entreprise chargée de la réalisation. Il tient à utiliser des pierres irrégulières avec des variations de couleurs. Devenu lui aussi architecte, son fils Jean-Jacques, qui l’a souvent accompagné sur le chantier, s’en souvient : « Mon père, le chef de chantier et les maçons ont fait le tour de la région pour observer des murs d’églises et de maisons anciennes et ils ont choisi trois types de pierres de textures différentes, dans les carrières de Souppes-sur-Loing entre autres. Mon père a ensuite dirigé des essais sur un prototype de mur grandeur nature et quand les maçons ont bien eu leur mur en main, le chantier a commencé avec tout le soin nécessaire pour la mise en oeuvre du mur courbe de la galerie notamment. » Les pierres ont été taillées sur place au fur et à mesure de l’avancement des travaux.
Des trésors d’aménagement
Dans l’harmonie des espaces intérieurs, la rugosité de la pierre brute s’adoucit sous la chaleur d’un plafond lisse en lame de châtaignier. La salle de séjour, le hall circulaire, le coin repas proche du garage et la terrasse dessinent une promenade continue qu’unifie le calepinage irrégulier du sol de marbre noir gris foncé, gris pâle et blanc. La hauteur des volumes suivant le crescendo des toitures, le plafond culmine dans la salle de séjour à plus de quatre mètres de hauteur. Cette pièce amicale déployée de plain-pied face à la terrasse profite de la cheminée du coin de feu qu’agrémentent une banquette en céramique rouge et la vue de la forêt cadrée par une fenêtre carrée.
Selon les envies, une porte pliante sépare ou réunit cet espace et la galerie du hall curviligne. Éclairée en partie basse par une baie vitrée donnant sur le bassin, celle-ci dessert la cuisine, le coin repas et l’éventail plus intime des chambres. Chacune d’elles s’apparente à un petit appartement, avec ses accès et ses vues sur jardin, sa salle de bain et son sanitaire, un dégagement, un accès indépendant et d’ingénieux rangements intégrés.
De petites ouvertures en bandeau ont été pratiquées dans le mur courbe de la galerie qui épouse les contours du bassin. Ainsi la lumière pénètre dans le couloir, accentuée par le miroitement de l’eau selon les heures de la journée. Le plan de l’architecte met en lumière la distribution singulière des pièces : une longue salle de séjour ouvrant sur une terrasse puis, se déployant à la manière d’un éventail, trois chambres, une cuisine et un coin repas desservis par une galerie. © Dossier Georges Johannet. Fonds DAU. SIAF/Cité de l’architecture et du patrimoine/Archives d’architecture du XXe siècle.
Qu’il s’agisse des luminaires, d’un radiateur au nu de la pierre du séjour, d’un second, courbe, dans la galerie, ou encore d’astucieux placards dont l’effet agrandit la surface des chambres, tout est dessiné et parfaitement réalisé, toujours de manière artisanale. La porte pliante est à elle seule une petite prouesse. En partie haute, une vitre qui favorise la transparence et la continuité du plafond entre le séjour et la galerie a remplacé l’imposte. Elle repose sur un caisson de bois qui masque un autre radiateur haut perché. Au sous-sol, la chaufferie, deux caves, une galerie technique et un entresol contribuent à la maintenance et au confort de la maison.
La maison Morphy, qui a eu les honneurs de plusieurs revues de l’époque, dont Maison française, en avril 1966, a été l’une des dernières œuvres de Georges Johannet, disparu prématurément peu de temps après sa construction. Après la vente de la maison, voici une vingtaine d’années, une autre famille l’a investie, avec une entière conscience de la valeur du lieu. L’actuelle propriétaire a le sentiment de vivre « au cœur de la forêt dans une œuvre d’art ». Lorsqu’elle accueille sa petite-fille, elles s’assoient ensemble sur une marche, dans la courbe de la galerie. À hauteur d’enfant, à travers les baies rasantes, la nature et le reflet des étoiles dans le bassin se dévoilent…
PARCOURS D’UN ARCHITECTE
Né à Tunis, Georges Johannet (1925-1968), après un diplôme de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, parachève sa formation en travaillant avec Jean Dubuisson sur le grand ensemble de Croix, puis avec Guillaume Gillet pour l’église de Royan. Pour l’Exposition universelle de Bruxelles (1958), il réalise le restaurant du pavillon de Paris. Il est ensuite cofondateur de l’Union des architectes urbanistes, agence collective notamment lauréate du concours pour la ville nouvelle d’Hérouville-Saint-Clair, près de Caen, où il dessine le château d’eau. Enseignant et chef d’atelier à l’École des Beaux-Arts avec Guillaume Gillet, il est membre du Cercle d’études architecturales.
Parmi ses réalisations, les maisons-ateliers d’Étienne Hajdu, Maria Helena Vieira da Silva, Árpád Szenes et Zao Wou-Ki, des aménagements pour Jan Arp à Meudon, un projet de de musée pour Sonia Delaunay, des bureaux pour la librairie Hermann et la galerie Jeanne Bucher, un ensemble de logements et un centre commercial à Évry-Petit-Bourg (avec Jean Thierrart) et des missions d’urbaniste réalisées en son nom propre ou comme architecte conseil sur les ZUP de Biscarosse et Bayonne, à Parentis, Agen, Barcelone-du-Gers et au Cameroun. Lors du concours international du musée d’Alep, en Syrie, dans les années 1960, il fait partie de l’équipe qui remporte le second prix.
© VMF/MAP
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