À deux pas de Pont-de-Briques, devenu au XVIIIe siècle un faubourg résidentiel de Boulogne-sur-Mer, le petit château d’Audisque, construit par un officier des armées de Louis XV, en contrebas de la colline d’Écault, forme un tout avec son jardin. Tracé au XVIIIe siècle, celui-ci marie l’eau, le végétal et le minéral en une composition d’une grande justesse, manifestement plus guidée par l’intuition et la connaissance de la nature que par les modèles savants tirés des livres.
C’est une grande maison, solidement construite en pierre du pays, avec un corps central et deux pavillons en légère saillie, soit sept travées percées de fenêtres à petits carreaux légèrement cintrées et coiffé d’un toit d’ardoise sur lequel se détachent des lucarnes et de hautes souches de cheminées. Sur l’un des pignons, le millésime 1749 permet de dater cette demeure de gentilhomme, édifiée pour un lieutenant-colonel du génie, François de La Fitte, dont le père, ingénieur des armées du roi originaire du Béarn, était devenu propriétaire de la terre d’Audisque dans les dernières années du règne de Louis XIV. Des militaires, donc, vagabonds par nécessité, toujours par monts et par vaux mais en quête d’une retraite paisible, loin des rudesses d’une vie nomade, périodiquement exposée au risque.
Petit domaine rural comptant pâtures, labours et vergers exploités sur place par un fermier, Audisque fut ce havre. Rien d’ostentatoire en ce lieu, où de rustiques dépendances bordent la cour d’entrée, à l’ouest, ennoblie toutefois d’une chapelle particulière, mais un ensemble bien pensé, judicieusement agencé. Avec un souci d’élégance et de commodité dont témoignent la cage d’escalier centrale, baignée de lumière, et les pièces du piano nobile. D’aimables dimensions, parquetées, habillées de boiseries, chauffées par des cheminées de marbre, elles sont largement ouvertes sur le jardin où des trouées laissent deviner au loin, vers l’est, les collines du Boulonnais et même le sommet du pays, le mont Lambert, culminant modestement à 189 mètres d’altitude.
Savamment composé
Le jardin, justement, ce jardin qui accompagne et magnifie la demeure, on se plaît à imaginer que c’est le colonel du génie qui, au soir de sa vie, fort de sa science des terrassements, des canaux et des mouvements de terrain, occupa ses loisirs à le tracer. Une vue cavalière au dessin assez naïf, datant du XVIIIe siècle, montre son ordonnancement en plans successifs, coupés par trois axes transversaux et par une allée centrale depuis la maison jusqu’à une grande pièce d’eau ovale, dans laquelle, par un délicieux effet d’optique, on a aujourd’hui encore la surprise de voir se refléter la façade. Une allée d’arbres, sur la droite en regardant la maison, isole une cour de ferme, dont il ne reste aujourd’hui que des fondations. À gauche, une allée d’ifs, depuis longtemps remplacée par des tilleuls, mène à la route de Boulogne, interposant une frontière visuelle entre la propriété et les lotissements voisins.
Car le temps a passé ici, rabotant les limites du domaine tandis que le noyau primitif de Saint-Étienne-au-Mont, le minuscule village d’Écault, autrefois sur les hauteurs où une vieille église défie les siècles, s’est étendu sur les pentes jusqu’à rejoindre Pont-de-Briques. Il y eut ici un maire de Boulogne, qui, à l’été 1805, alors que Napoléon préparait depuis la côte l’invasion de la Grande-Bretagne, mit sa demeure à la disposition de Murat et de son épouse Caroline. Ils y accueillirent l’espace de quelques nuitées Hortense de Beauharnais, l’épouse de Louis Bonaparte, puis une succession de propriétaires et parfois de locataires comme cette famille britannique dont les fils, en pension avec le jeune Sainte-Beuve, reçurent souvent leur condisciple à Audisque.
En marge du temps
Comment le jardin a-t-il traversé les siècles ? Les structures, le plan d’ensemble sont toujours lisibles, donnant à cet îlot de verdure cerné par l’urbanisation, à deux pas d’une route nationale très passante, le charme qui s’attache aux lieux restés en marge du temps. Ce charme, Dominique et Pascale Ficheux, devenus propriétaires des lieux en 2006, le ressentent tous les jours et s’attachent à le conserver. La maison réclamait de gros travaux de couverture, le jardin des soins patients et quelques interventions d’envergure.
Il a fallu se résoudre à abattre le gros hêtre pourpre, devenu dangereux, qui ombrageait la façade ; mettre en place un système destiné à recueillir les eaux de pluie et les canaliser vers les bassins, afin de suppléer les sources qui alimentaient jadis le domaine ; supprimer la pièce d’eau aux courbes romantiques de la première terrasse, pour restituer le petit bassin rond figurant sur la fameuse vue cavalière. Et aussi créer des bordures de buis délimitant des carrés peuplés d’acanthes, de rhubarbes et d’artichauts sur la deuxième terrasse où une glycine, s’arrondissant sur une pergola, enjambe l’allée centrale, laisser grandir des charmilles formant autant d’écrans visuels sur les côtés.
Contrainte et liberté
S’étendant sur un hectare seulement, ce jardin qui cultive l’art des lignes et des perspectives tout en donnant une impression d’intimité, est conduit avec beaucoup de liberté. Repères d’une nature domestiquée, les ifs en cône qui escortent le bassin rond, la taille impeccable des haies, des bordures et des charmilles s’inscrivent certes, avec la géométrie des axes directeurs, dans la grammaire des jardins à la française, mais l’on sent bien qu’il ne s’est pas agi ici de s’improviser en émule provincial de Le Nôtre.
À l’extrémité de la première terrasse, un élégant escalier, dont les volées convergent vers un belvédère bordé d’une balustrade, permet d’accéder à la partie basse du jardin. La porte, dans le soubassement, donne accès au système qui commandait autrefois l’irrigation du jardin. Des poules, des paons et des paonnes s’ébattent librement dans le jardin.
Les rhododendrons, les hydrangeas et les cognassiers du Japon qui s’épanouissent dans les bosquets latéraux, les hampes des lupins violets doucement secouées par le vent, en contrebas du bel escalier de pierre à deux volées, pris d’assaut par les rosiers grimpants et, descendant vers la deuxième terrasse, les frondaisons aux couleurs changeantes entourant le grand bassin ovale colonisé par les nénuphars et les roseaux sauvages disent assez la subtilité, la délicatesse avec lesquelles on veille sur ce coin de nature très raffiné, où jamais la religion du plan ne l’emporte sur la créativité.
Les jardins d’Audisque, judicieusement protégés depuis 2016 par une inscription au titre des Monuments historiques, tiennent cet équilibre, qui suppose l’indifférence aux étiquettes. En somme, l’art de composer un monde esthétique et harmonieux, pour le délassement d’un gentilhomme…
© VMF/MAP
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