Depuis plusieurs semaines, la presse, généraliste et spécialisée, pointe le patrimoine comme le grand absent des débats sur la culture, dénonçant à la fois le silence des pouvoirs publics et celui des acteurs du secteur. Avec les musées, il compte indéniablement parmi les grands oubliés de la visioconférence qui s’est tenue à l’Élysée le mercredi 6 mai 2020, et au cours de laquelle Emmanuel Macron a annoncé les premières mesures et orientations du plan de relance du secteur culturel.
Le seul défenseur du patrimoine dont la voix s’est fait entendre au-delà de son pré carré est Stéphane Bern. Celui que le chef de l’État a sacré héraut du patrimoine en 2017 déploie en effet toute son énergie à défendre la cause patrimoniale. Multipliant les prises de parole, il appelle de ses vœux un plan de relance digne de ce nom pour le patrimoine. Quelques heures après la conférence élyséenne, et en réaction au silence du président, il déclarait sur BFM TV : « Je compte sur Franck Riester pour relancer le chantier du patrimoine, et proposer un “new deal” » ainsi que sur un « élan collectif ». Le lendemain, lors de son audition devant la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, Stéphane Bern renouvelait sa demande de plan de soutien massif de l’État pour l’ensemble du secteur patrimonial. Exprimant sa crainte de voir le gouvernement réserver son action aux seuls grands monuments nationaux et aux chantiers emblématiques, il a requis « un plan de financement préalable pour avoir une visibilité sur qui va payer quoi ». Et il souhaite par ailleurs que « le patrimoine rural [soit] décrété cause nationale ».
D’autres voix, certes moins médiatisées, plaident également la cause du patrimoine. Quantité de propriétaires ou de responsables de sites, privés ou publics, ont ainsi exprimé leurs craintes et difficultés dans la presse ou sur les réseaux sociaux. N’hésitant pas à interpeler les pouvoirs publics, ni à leur soumettre leurs idées et pistes de réflexion. Et les associations de défense du patrimoine se sont elles aussi fortement mobilisées. « Il est temps aujourd’hui de s’inviter à la table des décideurs, de proposer des mesures au bénéfice de l’intérêt général dans le cadre qui nous est imparti », déclarait le 7 mai la vice-présidente de Patrimoine-Environnement, Christine Bru-Malgras.
Un grand effort collectif devrait être déployé pour sortir le patrimoine de son marasme, certes passager, du moins l’espérons-nous, mais néanmoins profond.
Dominique Masson
Le 11 mai, dans un communiqué de presse intitulé « Nos monuments historiques sont en sursis ! », les Audacieux du patrimoine (le réseau professionnel de propriétaires exploitants de monuments historiques privés émanant de la Demeure historique) tiraient la sonnette d’alarme. « Si les monuments et jardins historiques privés ne bénéficient pas d’une ouverture rapide, de la poursuite des aides de l’État et d’un plan de relance ambitieux, plusieurs centaines d’entre eux fermeront d’abord leurs portes, puis les plus fragiles seront contraints de vendre ce qui constitue, encore aujourd’hui, le patrimoine de la France, le patrimoine des Français. » En plus de faire état de la détresse de nombre de propriétaires-gestionnaires au bord de la faillite, la tribune insiste à juste titre sur la mission d’intérêt général qu’assurent ces sites patrimoniaux privés accueillant chaque année quelque 9 millions de visiteurs.
« Un grand effort collectif devrait être déployé pour sortir le patrimoine de son marasme, certes passager, du moins l’espérons-nous, mais néanmoins profond » s’alarmait le secrétaire général de Patrimoine-Environnement, Dominique Masson, dans son édito du 23 avril. Conscientes qu’elles seront d’autant mieux entendues qu’elles seront unies et agiront de concert, les différentes associations de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine ont multiplié les initiatives collectives. Comme nous nous en étions fait l’écho dans notre précédent édito, « Au chevet du patrimoine », deux associations et deux entreprises ont ainsi fait cause commune pour exiger du ministre de la Culture un véritable soutien aux acteurs du patrimoine (lettre du 25 mars). Leur mobilisation a porté ses fruits puisque Franck Riester, dans sa réponse officielle du 22 avril, entérinait la création d’un fonds de solidarité au bénéfice des artisans d’art ainsi que l’accès pour les propriétaires privés de sites ouverts au public à l’ensemble des dispositifs de soutien instauré par l’État pour les entreprises.
Au vu de la gravité de la situation, de telles avancées ont toutefois été jugées insuffisantes. « C’est un bon premier pas et c’est un vrai signe d’ouverture, a reconnu Olivier de Lorgeril, président de la Demeure historique. Mais si la saison touristique est mauvaise, on devra être accompagnés pour l’entretien de nos monuments. On a besoin d’un plan de relance massif et de mesures fortes pour sauver le patrimoine. » Aussi la Demeure historique, VMF, GMH et Ateliers d’art de France ont renvoyé, le 8 mai, une missive au ministre de la Culture, pour demander une clarification des conditions de reprise des activités post-confinement ainsi qu’un ensemble de mesures complémentaires « fortes et incitatives pour aider les hommes et les femmes engagés dans la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine à se relever de cette crise dont les conséquences sont dramatiques ». Ces mesures tiennent pour l’essentiel à la mobilisation des agents des Drac, à une série d’aménagements fiscaux et au soutien financier renforcé de l’État (incitation au mécénat comprise).
La réponse gouvernementale ne s’est pas fait attendre, puisque le 14 mai, Franck Riester organisait une visioconférence réunissant Stéphane Bern et une vingtaine de représentants du monde associatif. Si des avancées significatives ont encore été entérinées dans l’extension des mesures générales de soutien à l’économie, le détail des règles de réouverture des sites et de reprise des chantiers, l’entrevue a laissé aux participants une impression en demi-teinte. La fragilisation du modèle économique de l’ensemble du secteur patrimonial n’est pas suffisamment prise en compte, et des aménagements fiscaux s’avèrent nécessaires. Philippe Toussaint, le président des VMF, attend maintenant que le gouvernement s’engage pleinement, de manière ferme et définitive, en faveur du patrimoine. « On a vraiment besoin d’un état d’esprit « commando » qui n’est pas suffisamment perceptible rue de Valois, regrette-t-il, à la mesure de celui qui a été à l’œuvre dans la mobilisation ayant suivi la tempête de 1999 ». De fait, la situation est chaque jour plus critique pour nombre de sites et d’acteurs du patrimoine.
Monsieur le président de la République, vous qui affirmiez le 6 mai dernier vouloir « refonder une ambition culturelle pour le pays » et qui déclariez le 22 mai 2018 : « Une nation ne peut pas se construire, dans ces temps de grands changements, sans s’arrimer à un récit collectif et sans faire revivre les traces qui l’ont faite, le socle même de son Histoire par laquelle elle peut avancer et prétendre aller plus loin et sur tout le territoire. Et donc, oui, le patrimoine, c’est une cause nationale », Monsieur le ministre de la Culture, vous qui avez écrit le 22 avril « le patrimoine est essentiel à notre économie et à l’attractivité de nos territoires […]. Il constitue surtout un élément essentiel de notre identité collective. […] Nous devons tout faire pour assurer la survie de ce secteur d’activité » : des mesures urgentes doivent être prises pour éviter que certains acteurs du secteur patrimonial soient dans l’incapacité de surmonter les conséquences de la crise sanitaire. À commencer par les plus vulnérables, que ce soient les propriétaires de sites non protégés, les guides-conférenciers ou les animateurs du patrimoine indépendants, entre autres.
Lecteurs de PAJ, vous aussi, vous pouvez vous mobiliser en faveur du patrimoine : en faisant circuler les informations, en commençant par partager nos articles sur les réseaux sociaux ! Quant à vous, amoureux de vieilles pierres et de paysages, la première manière de soutenir le patrimoine et d’aider ses protagonistes est de vous rendre sur les sites, de les visiter et d’y pratiquer les activités autorisées. Il est plus que jamais nécessaire de découvrir et redécouvrir les innombrables richesses patrimoniales de la France, et ce sans nécessairement attendre l’été. Un nouveau slogan #JeVisiteLaFranceDèsMainenant viendrait d’ailleurs utilement compléter celui #CetÉtéJeVisiteLaFrance, déjà très largement relayé ! La solidarité nationale et la générosité individuelle seront certainement les deux remparts qui permettront au patrimoine de se maintenir, et aux Français de vivre au mieux cette période inédite de déconfinement.