Un peu plus d’un an déjà que Notre-Dame de Paris a brûlé. Une année qui s’est apparentée à une folle course contre la montre pour tous ceux et celles qui se sont démenés, sans compter ni leur force ni leur temps, pour sécuriser l’édifice meurtri et empêcher un effondrement fatal. Ce ne fut pourtant pas sans embûches, ni sans rebondissements. Aux imprévisibles fléaux climatiques estivaux, tempête Miguel puis canicule, ont succédé les complications induites par la pollution au plomb et l’application du principe de précaution. Une série de réglementations sanitaires est venue freiner considérablement le chantier, avant que celui-ci ne soit définitivement paralysé par le confinement décrété en raison de la pandémie du coronavirus Covid-19. Il est à l’arrêt depuis le 16 mars 2020.
Inimaginable, le terrible incendie s’est néanmoins assorti de conséquences positives et bienfaitrices, à commencer par la prise de conscience de la vulnérabilité du patrimoine et du piètre état de conservation de nombre d’édifices, y compris parmi les plus insignes de notre pays. Sans oublier le formidable élan d’empathie et de générosité qui s’est manifesté, immédiatement et spontanément. Preuve de l’attachement viscéral des Français à leur patrimoine commun et au patrimoine en général.
Depuis plusieurs semaines, nous vivons un autre épisode inédit, plus inimaginable encore que l’embrasement de la cathédrale parisienne : celui d’un virus, virulent et incontrôlable, qui terrasse et paralyse l’ensemble de la planète. Avec son lot de dégâts collatéraux, en France comme ailleurs… Dans le domaine du patrimoine, différents niveaux de difficultés se combinent. La fermeture de milliers de lieux patrimoniaux a en effet induit de facto l’arrêt de toute activité ainsi que de tout chantier de restauration ou d’entretien, avec des conséquences néfastes tant au niveau de la conservation des sites eux-mêmes que des activités humaines et économiques qui leur sont liées.
Soucieuses du fait que le ministre de la Culture n’ait dit mot des protagonistes du patrimoine lors de son annonce des premières mesures en soutien au secteur culturel le 18 mars 2020, deux associations et deux entreprises reconnues du secteur patrimonial (les VMF et la Demeure historique ; GMH et Ateliers d’art de France) ont envoyé une lettre à Franck Riester le 25 mars. Dans cette missive, elles lui ont fait part de leurs craintes à l’égard des propriétaires de monuments ouverts à la visite, des artisans d’art et des entreprises de restauration des monuments historiques, l’incitant à engager, en concertation avec le ministre de l’Économie et des Finances, des dispositions à même d’assurer la pérennité de la politique du patrimoine.
Échafaudage sur l’une des tours du château de Villegongis (Indre), que les propriétaires s’attachent à restaurer depuis plusieurs années. © Bernard Galéron Olivier Galand, formateur pour Tiez Breiz, lors d’un stage de construction en bauge, en 2012, en Bretagne. © Tiez Breiz
Leurs inquiétudes semblent avoir été entendues, et leurs demandes comprises. Des dispositions viennent en effet d’être prises afin que les entreprises, les propriétaires de monuments historiques ouverts au public et les artisans puissent bénéficier des mesures d’accompagnement et de soutien prévues dans le dispositif général engagé par le gouvernement pour soutenir l’activité et l’emploi, dans le cadre du plan d’urgence. Dans une lettre officielle du 22 avril 2020, Franck Riester, s’est dit pleinement mobilisé aux côtés des professionnels de l’architecture et du patrimoine. « Le patrimoine est essentiel à notre économie et à l’attractivité de nos territoires : il représentait, avant la crise, en chiffres d’affaires cumulés, près de 8 milliards d’euros. Il constitue, surtout, un élément essentiel de notre identité collective. En nous privant de nos monuments, ce virus nous coupe d’une part de nous-même, de notre histoire. Nous devons donc tout faire pour assurer la survie de ce secteur d’activité. »
En nous privant de nos monuments, ce virus nous coupe d’une part de nous-même, de notre histoire.
Franck Riester
Le ministre de la culture annonce que les accès aux mécanismes d’aide ont été élargis aux divers acteurs du secteur patrimonial. En particulier, les propriétaires privés de monuments historiques ouverts au public et exploités en noms propres ou en sociétés civiles immobilières (SCI) pourront bénéficier de l’ensemble des dispositifs de soutien instaurés par l’État pour les entreprises. Les propriétaires d’un monument historique ouvert au public en SCI sont en outre désormais éligibles au fonds de solidarité mis en place par l’État et les régions pour aider les petites entreprises les plus touchées par la crise.
« L’ouverture au public sera considérée comme un critère d’activité économique et la perte du chiffre d’affaire appréciée en déduction des subventions notamment versées au titre de financement de travaux d’entretien et de restauration des immeubles protégés au titre des Monuments historiques. ». Les SCI seront en outre éligibles au bénéfice du report de paiement de certaines factures du fait de l’accès au fonds de solidarité. Et le dispositif de garantie des prêts par l’État (DGE) sera étendu aux propriétaires de monuments historiques ouverts au public.
Restauration des peintures de la chambre de Diane, au château d’Ancy-le-Franc (Yonne), en 2007. Les restauratrices ôtent les restes d’un ancien papier peint collé au XIXe siècle par dessus les peintures . © Château d’Ancy-le-Franc
Un fonds de solidarité en faveur des artisans d’art en entreprises individuelles sera également créé, et géré par l’Institut national des métiers d’art. D’une manière générale, le ministre assure que « la direction générale des patrimoines est intervenue depuis le début de la crise pour soutenir les demandes des professionnels et de leurs fédérations tendant à l’assouplissement des critères d’accès aux aides gouvernementales. Ces démarches ont permis notamment la simplification des critères d’accès au fond de solidarité, afin que personne ne soit laissé de côté. »
Quant aux professionnels du bâtiment, en particulier ceux spécialisés dans le bâti ancien et ceux habilités à travailler sur des édifices protégés, il se sont mobilisés afin de préparer, au mieux et au plus vite, la reprise des chantiers. Un Guide de préconisations de sécurité sanitaire pour la continuité des activités de la construction en période d’épidémie de Covid-19 a été publié à cet effet, le 10 avril 2020, tandis que les différentes directions régionales des affaires culturelles (Drac) travaillent d’arrache-pied pour organiser la réouverture des chantiers en secteurs protégés, dans les meilleurs délais.
Enfin, s’agissant du déconfinement et de la réouverture des sites patrimoniaux, Franck Riester assure que sa « priorité sera de rendre possible, pour l’ensemble des gestionnaires des monuments historiques, la réouverture de leurs lieux au public, dans le strict respect des impératifs sanitaires. Nous y travaillons activement, parallèlement aux modalités de relance des chantiers ou des opérations de fouilles, en lien avec le ministère chargé du tourisme, et naturellement celui de la santé. »
« Ma conviction est que le patrimoine est amené à jouer un rôle central dans notre reconstruction collective, termine le ministre de la culture évoquant la relance du secteur au sortir du confinement. Après la crise nous aurons besoin, davantage encore qu’auparavant, de nous inscrire dans le temps long, de nous ancrer dans l’histoire de nos territoires : ces repères, dans un monde plus incertain que jamais, deviendront indispensables. Je crois donc à l’avenir du patrimoine. »
Comme PAJ s’en fait l’écho au quotidien par le biais de brèves d’actualité, une multitude d’initiatives formidables sont prises chaque jour, partout en France, pour rendre le patrimoine accessible en cette période d’enfermement inédite. Acteurs professionnels ou amateurs, spécialistes ou néophytes sont plus mobilisés que jamais. Non seulement ils continuent à faire vivre le patrimoine de mille et une manières, mais ils anticipent la fin du confinement et préparent l’après. Rivalisant d’ingéniosité et d’intelligence, d’optimisme et de détermination pour des lendemains qui s’annoncent d’ores et déjà compliqués, avec l’espoir qu’ils puissent malgré tout s’avérer des lendemains qui chantent.