Deuxième découverte de notre série « Cet été, racontez-nous la France ! ». Clair nous emmène découvrir un petit village du Lot-et-Garonne dont il est originaire. Un lieu qui, au rythme des évolutions de son abbaye, a connu une histoire tout sauf banale. Et accueilli quelques illustres personnages … En route pour Clairac !
Quiconque descend la vallée du Lot ne peut que tomber sous le charme du dernier village qui le borde avant qu’il ne se jette dans la Garonne. Juché sur un escarpement dominant un voluptueux coude de la rivière, voici le bien nommé Clairac ! Du latin « Clara luce » qui signifie littéralement « claire lumière », le village bénéficie en effet d’un emplacement qui frappe ceux qui sont assez curieux pour s’en approcher… Allant assiéger Agen, Charlemagne livra un terrible combat à quelques kilomètres en aval. Un épisode raconté par la légendaire Chronique de Turpin (milieu du XIIe siècle) : « Or, pendant la bataille, le soleil s’étant arrêté à la prière de Charlemagne, ce prince, en mémoire de ce miracle, fonda l’abbaye de Clairac, ainsi nommée parce que le Seigneur avait allongé et éclairci le jour. »
Première curiosité : au sommet du site, une imposante tour carrée hésite à dire son nom… Édifice défensif ou clocher ? Elle est l’emblème d’une abbaye bénédictine, dédiée à saint Pierre, qui fut l’une des plus riches de l’Agenais. Aujourd’hui cachée par les frondaisons de la rive, partiellement abandonnée et proposée à la vente, elle abrite les vestiges de deux cloîtres où la nature a désormais repris ses droits, une tour fortifiée qui accueillit Calvin, d’importantes caves voûtées, et même un vivier où les abbés surveillaient les poissons du Lot qui allaient venir agrémenter leur table…
Inscrite au titre des Monuments historiques en 1996, cette abbaye a pourtant une histoire tout sauf banale : une tradition la voulait fondée au VIIIe siècle par Pépin le Bref, mais l’on ne connaît ses abbés que depuis le XIe siècle. Son statut lui permet d’accueillir les évêques d’Agen dont un certain Bertrand de Goth… natif de Guyenne et futur Clément V, premier pape installé en Avignon ! Curiosité encore quand, en 1568, l’abbé en titre, Geoffroy de Caumont, épouse dans l’église abbatiale la très belle et très riche veuve Marguerite de Lustrac, adoptant de ce fait le parti de la Réforme, comme l’ensemble de ses moines aussitôt défroqués. Clairac est alors l’un des plus ardents foyers du protestantisme en Aquitaine.
Curiosité toujours : en 1604, Henri IV décide d’offrir au chapitre de Saint-Jean-de-Latran, à Rome, les revenus fort importants de l’abbaye, comme un hommage de ce « nouveau converti » à la toute-puissance de Rome. C’est en raison de ce don qu’aujourd’hui encore le président de la République reçoit le titre, certes anachronique, de « chanoine d’honneur de Saint-Jean-de-Latran » qui lui est remis par l’actuel abbé de Clairac !
Outre cette abbaye, Clairac est aussi un beau village aux ruelles pittoresques et aux antiques maisons à pans de bois. Celles-ci ont survécu au violent siège mené par Louis XIII en 1621, et rappellent l’époque où la cité vivait richement du commerce de la fameuse « prune d’ente », qui donna naissance au pruneau, implantée dans les vergers de l’abbaye ! Un moine de Clairac y introduisit même la culture du tabac dans les années 1630. Au milieu du XXe siècle, la vallée des environs de Clairac était encore le cœur vivant de la culture du tabac en France ! Outre ces savoureuses productions, l’abbaye exploitait des vignobles qui produisaient un vin doux renommé dont la réputation le disputait au sauternes, et qui n’est plus qu’un souvenir, emporté par le phylloxéra…
Ce petit village à la grande histoire compta parmi ses habitants d’illustres personnages comme le chevalier de Vivens, homme des Lumières qui invita le physicien Jacques de Romas, originaire de Nérac, à réaliser dans son domaine de Barry les premières démonstrations de son invention : le paratonnerre. Et cela, au moment même où Benjamin Franklin faisait les mêmes expériences par-delà l’Atlantique ! Clin d’œil de l’histoire, devenu ambassadeur des jeunes États-Unis d’Amérique à Paris, ce dernier vint à Clairac 30 ans plus tard pour visiter l’un de ses amis qui l’avait soutenu durant la guerre d’Indépendance.
Bref, un coin de France à découvrir d’urgence, comme le fit d’ailleurs Montesquieu – encore un grand nom ! – quand il épousa en 1715 une riche héritière qui y possédait d’abondants vignobles ! La douceur de vivre de Clairac aura sans doute inspiré l’écrivain puisqu’il y écrivit certaines de ses pages. En 1745, il décidait même d’y marier sa fille chérie, Denise…
Le coup de cœur de Clair
Je suis très attaché à ce village de par mes racines familiales. C’est la raison de mon vif attachement pour l’histoire et le patrimoine de Clairac. En 2018, avec quelques autres passionnés, j’ai créé la Société des amis de Clairac, dont le but est d’en faire découvrir le riche passé… Deux colloques ont récemment réuni de nombreux universitaires sur les thèmes de l’abbaye (2016) et de la Réforme (2018) dont les actes ont été édités par la Société académique d’Agen.
Clair Morizet