Longtemps passée sous silence dans l’étude des processus d’industrialisation des Hautes-Pyrénées au tournant du XXe siècle, alors que la littérature technique nationale faisait régulièrement l’éloge de ses productions et relevait sa capacité à innover et à s’adapter, l’usine de céramique Oustau, située à Aureilhan, dans la banlieue de Tarbes, fut à l’origine de la diffusion d’une large gamme de produits céramiques dans le grand Sud-Ouest.
L’histoire de ce site industriel se confond en grande partie avec la figure de son fondateur, Laurence Oustau, né en 1835 dans le village de Burg, à une trentaine de kilomètres au sud-est de Tarbes. Après plusieurs séjours en Algérie comme conducteur de travaux dans l’administration des Ponts et Chaussées qu’il finit par quitter après plusieurs années de disponibilité, il fonde en 1873 à Aureilhan, avec l’apport financier initial de trois amis – MM. Danos, Latapie et Duffau-Pauillac –, une usine de céramique qu’il dirigera sans discontinuer jusqu’à sa mort, en 1929.
Un industriel avant-gardiste
Industriel éclairé, il se dote des techniques les plus modernes et adopte dès l’origine un four continu Hoffmann, le plus performant de l’époque, encore peu répandu en France, pour la cuisson de briques, de tuiles et de tuyaux en terre cuite. Il l’agrandit en 1876 et le complète en 1881 par un autre four plus grand du même type, parallèle au précédent, pour répondre au marché en expansion. À ces activités vient ensuite s’ajouter une fabrique de tuyaux de grès cérame installée à l’arrière en 1888, dans l’usine rouge.
Réalisée en 1881, la façade prestigieuse de ce bâtiment, orientée à l’ouest, offre au regard depuis la route ou la voie ferrée un décor théâtral d’envergure sur fond de brique rouge nourri d’un répertoire décoratif aux motifs géométriques polychromes foisonnants où la fonction industrielle des bâtiments s’affiche clairement, aujourd’hui encore, par les inscriptions noires : « FOURS ».
Une volonté constante de diversification
Parallèlement à la fabrication de la brique et de la tuile, se développe vers 1878 une unité « de poterie de bâtiment et de ménage » installée en bordure de la rue de la Tuilerie qui se diversifie par la suite et intègre vers 1900 la production de pièces émaillées, grâce à une batterie de quatre fours. À l’ouest de l’usine rouge, l’usine blanche est la dernière à avoir été construite, en 1887 ; plus sobre que celui de l’usine rouge, le motif losangé de briques blanches et rouges ponctuées de briques émaillées noires reprend les couleurs des pavés et tomettes de grès produits en ces lieux. Une fabrique de carrelages en marbre des Pyrénées, vers 1890 et en 1910, sur la rive droite de l’Adour, et une fabrique de pierre artificielle et d’agglomérés viendront compléter cette usine.
Cet ensemble industriel céramique connaît son âge d’or de la fin des années 1880 jusqu’aux années 1920, dont témoignent notamment de prestigieuses distinctions aux expositions nationales et universelle de Paris. Les commandes dépassent le cadre régional du grand Sud-Ouest, destinées à équiper édifices publics et privés et participant à la vulgarisation de l’industrie céramique.
En 1970, le dernier four s’éteint…
La Seconde Guerre mondiale vient mettre un terme à ce qui faisait la spécificité régionale de cette usine de céramique. Après la guerre, l’usine est gérée par la Société des tuileries de Narbonne ; désormais, la production est adaptée aux besoins de la reconstruction (briques et tuiles). La dernière cuisson remonte à avril 1970. Ainsi prenait fin un siècle de céramique à Aureilhan. Entre-temps, en 1964, une unité de fabrication de poutres en béton s’était installée à la place de l’usine blanche. Elle cessa son activité en 1975. Le site servit ensuite de dépôt de matériaux de construction jusqu’au début des années 1990, entretenant l’illusion d’une usine toujours active.
À Tarbes et dans son agglomération, partout la « griffe » Oustau
Les produits de l’usine Oustau, à la diffusion internationale, ont aussi imprégné le tissu urbain de Tarbes et son agglomération des années 1870 aux années 1930. Nul besoin de dépouiller les registres de commandes de l’usine pour prendre la mesure de la part jouée dans la construction de la ville. Les façades en témoignent amplement dans une région où les matériaux de construction « naturels » sont la pierre, le galet et l’ardoise. Dès les premières années de la mise en route de l’usine, la moitié des produits, essentiellement des briques et des tuiles mécaniques, est captée par la ville de Tarbes et sa future agglomération en pleine expansion, à laquelle se joignent rapidement d’autres productions développées par l’industriel. Céramique décorative, pavés en grès cérame et carrelages en ciment aggloméré et mosaïque en marbre des Pyrénées pour les sols, tuyaux de grès pour les conduites et pierres creuses artificielles vont s’intégrer dans « l’aspect » urbain de Tarbes et se lire sur les nombreuses façades de ses quartiers.
Le fait le plus prégnant est la fabrication de la brique de Bourgogne, jusque-là étrangère à la région, employée dans les ouvertures des façades, seule ou associée à la fausse pierre blanche en ciment aggloméré, en rupture avec les traditionnels encadrements en pierre. Bandeaux, modillons corniches font également partie de ce répertoire faisant appel à la terre cuite blanche ou rouge. Les toitures sont recouvertes de tuiles plates mécaniques remplaçant parfois l’ardoise et les souches de cheminée plus ou moins architecturées arborent la brique. Parfois abondants, les décors céramiques (briques et tuiles émaillées, frises, cabochons) viennent ponctuer quelques façades de leur éclat. À partir de 1910, les blocs en fausse pierre concurrencent la pierre locale. Témoignages s’il en est d’un renouveau architectural de Tarbes et de ses environs et de l’empreinte laissée dans le paysage urbain par l’usine de céramique Oustau.
La villa Oustau : maison-vitrine, maison-catalogue
Œuvre de l’architecte Paul-Louis-Joseph Gély, la maison de la famille Oustau, appelée « villa Oustau » et que certains nomment « château Oustau », édifiée à partir de 1911 dans un parc à l’anglaise s’étendant sur un hectare, se situe dans la mouvance Art nouveau, comme en témoigne en particulier la verrière de la grande cage d’escalier.
D’une sobre modernité, l’édifice se développe autour du thème végétal et paysager ; la terre cuite est largement employée mais la structure porteuse est en béton armé. La façade est enduite jusqu’à hauteur du rez-de-chaussée de ciment et d’un mortier de chaux. Au-dessus s’élève la maçonnerie de brique rouge et de brique silico calcaire à façon de panneaux. Le décor céramique, vitrine des productions de l’usine alors en plein essor, s’offre sur les façades festonnées, toitures, et souches des cheminées.
À l’intérieur, la demeure propose une disposition audacieuse autour d’un vaste hall orné de paysages pyrénéens en compositions de céramique de l’artiste Lucien Gros, datant de 1913. Les pièces de jour du rez-de-chaussée et les appartements privés de l’étage donnent sur ce hall carrelé en marbre des Pyrénées aux tons mouchetés et offrent une grande variété de motifs céramiques.
Aujourd’hui séparée de l’usine par le développement de l’urbanisation, tout comme les écuries qui la jouxtent, la villa a été vendue à la municipalité d’Aureilhan en 1992. Intervenue en 1994, la protection au titre des Monuments historiques, jumelle de celle dont a bénéficié l’usine, a permis, sans restauration ni réhabilitation à proprement parler, de mener à bien le projet d’implantation par la municipalité d’un centre culturel (Espace culture et loisirs d’Aureilhan) dans la demeure avec école de musique, auditorium et bibliothèque en concevant des aménagements respectueux du caractère de l’édifice.
Après la réhabilitation exemplaire de la villa patronale, l’usine, unique en France, tant par ses façades que par la richesse des fours conservés, est depuis de nombreuses années en quête d’une nouvelle affectation.
© VMF/MAP
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