À Reims, au 44 rue Ponsardin, à quelques rues de la cathédrale, l’atelier Simon-Marq, installé dans une maison d’habitation construite dans les années 1920, poursuit depuis 380 ans la même activité : créer et restaurer des vitraux. Acteur de la reconstruction rémoise, il a été l’un des protagonistes de l’avènement de l’Art déco avant de se lancer dans la création contemporaine.
À Reims, l’art du vitrail est indissociable du nom de Simon-Marq. Les signatures figurant sur les vitraux de la cathédrale et d’autres édifices religieux de la cité des sacres en témoignent. L’histoire de cette lignée de maîtres verriers commence en 1640, sous le règne de Louis XIII, avec Pierre Simon, dont le chef-d’œuvre de corporation est toujours conservé précieusement par la douzième génération de ses descendants directs, représentée aujourd’hui par Benoît Marq.
C’est le grand-père de ce dernier, Jacques Simon, qui donna de nouvelles lettres de noblesse à l’atelier rémois durant la Première Guerre mondiale. Lors de l’incendie de la cathédrale de Reims, en septembre 1914, il en déposa tous les vitraux avec l’aide des pompiers de Paris. Par bonheur, grâce aux milliers de frottis aquarellés exécutés par son ancêtre Pierre-Paul Simon, il put réaliser, avec le concours d’une trentaine de compagnons, une restauration à l’identique de ces magnifiques verrières médiévales. Cette entreprise titanesque dura jusqu’en 1938. Outre cette grande œuvre de restauration, Jacques Simon créa de nombreux vitraux pour des maisons privées, dans le style Art déco alors très en vogue.
Ouverture à la création contemporaine
Dans les années 1950, Brigitte Simon prend la suite de son père Jacques, avec son mari, Charles Marq, venu au vitrail après des études de philosophie à la Sorbonne. En 1957, Robert Renard, architecte en chef de la cathédrale Saint-Étienne de Metz, propose à Charles Marq de travailler avec un artiste contemporain, en l’occurrence Jacques Villon, frère de Marcel Duchamp. « Mon père connaissait l’œuvre de ce magnifique graveur et une complicité immédiate est née entre eux », raconte Benoît Marq. Cette rencontre marque un tournant décisif pour l’atelier : l’ouverture à la création contemporaine.
L’année suivante, Charles Marq rencontre Chagall, et c’est le début d’une longue et fructueuse collaboration. « La quasi-totalité des vitraux dessinés par Chagall a été conçue dans notre atelier », confirme Benoît Marq. Le peintre franco-russe a notamment réalisé trois verrières dans la chapelle d’axe de la cathédrale de Reims, en remplacement de celles restaurées au XIXe siècle par Coffetier et Steinheil.
Au dernier étage, la partie gauche de la maison abrite le grand atelier. Son imposante hauteur sous plafond permet d’y accrocher les dessins grandeur nature. Au fond, cette échelle a été conçue par Jacques Simon, grand-père maternel de Benoît Marq, au moment où la construction de la maison a été achevée (1928). Toujours dans le grand atelier, le bureau rassemble des objets hétéroclites qui racontent l’histoire d’une entreprise dont les origines remontent à 1640. À gauche, une série de photos représente des membres de la famille et des artistes venus travailler à l’atelier, comme Marc Chagall.
L’atelier Simon-Marq s’est associé à nombre d’autres artistes de renom tels Georges Braque, Joan Miró, Serge Poliakoff, Raoul Ubac, ou encore Joseph Sima et Maria Helena Vieira da Silva pour l’église Saint-Jacques de Reims. Benoît Marq a pris la relève avec son épouse Stéphanie et poursuit ce mouvement en travaillant avec des artistes comme François Rouan ou David Tremlett.
Un atelier-maison
C’est Jacques Simon qui fit construire l’imposante maison où se trouve actuellement l’atelier. L’édifice, dont la construction fut entreprise en 1913 sous la direction de l’architecte Max Sainsaulieu, fut d’abord pensé comme un outil de travail – les deux premiers étages sont toujours dédiés à l’atelier – avant d’être agrandi au début des années 1920 par Louis Sainsaulieu, fils de Max, pour intégrer une partie destinée au logement des propriétaires. Au deuxième étage, deux immenses pièces impressionnent par la hauteur de leurs plafonds (environ six mètres) et par la présence d’une verrière de taille équivalente.
À gauche de l’étroit escalier central, la salle de dessin. C’est dans cette pièce, dont les murs sont tapissés d’affiches d’expositions et de photographies anciennes évoquant la vie de l’atelier et de la famille, que sont réalisés ce que l’on appelle les cartons, c’est-à-dire la représentation grandeur réelle de la maquette donnée par l’artiste où sont indiqués l’ensemble du tracé des plombs ainsi que les couleurs. Ce dessin, conservé tout au long de la fabrication du vitrail, sert au calibrage des pièces de verre.
À droite, la pièce dédiée à l’accrochage. Ici sont assemblées les différentes parties du vitrail, ensuite positionnées sur un portoir en bois devant la grande verrière. Cette opération permet de découvrir le vitrail à la lumière naturelle avant sa pose définitive. Entre ces deux étapes importantes, il en existe de nombreuses autres. Les compagnons de l’atelier s’affairent ainsi au premier étage.
Un art toujours vivant
Chef d’atelier depuis 1985, Bruno Paupette utilise les mêmes techniques traditionnelles que ses prédécesseurs, à quelques détails près. Le diamant, utilisé autrefois pour la découpe du verre, a été remplacé par la roulette. De nouveaux savoir-faire comme le sablage (procédé de dépolissage et de gravure obtenu par projection d’un jet de sable très puissant sur une surface en verre) et les émaux permettent d’obtenir des effets et des motifs originaux.
Mais la seule et unique préoccupation du vitrailliste reste la couleur. L’atelier possède plus d’un millier de teintes différentes, patrimoine exceptionnel constitué au fil des collaborations. À partir des feuilles de verre, fabriquées dans la Loire par la Verrerie de Saint-Just et en Allemagne par la Verrerie Lamberts et conservées dans les pièces dédiées à la fabrication et dans la cave, l’atelier a confectionné des palettes d’échantillons par nuance de couleur.
« Nous les baptisons nous-mêmes d’un chiffre et d’une lettre : le J correspond par exemple au vert, le G au bleu, le R au rouge… », explique Bruno Paupette. Malgré l’étendue du choix, il arrive parfois que certains tons aient disparu. Ce cas de figure s’est présenté lors de la réparation des vitraux dessinés par Mordicai Ardon et fabriqués par l’atelier, dans les années 1980, pour la Bibliothèque nationale d’Israël à Jérusalem. L’œil expérimenté du maître verrier part alors en quête du ton le plus proche de la couleur initiale.
Benoît Marq, ancien propriétaire des ateliers, devant un vitrail de François Rouan en cours de réalisation, destiné à la chapelle du château de Bonaguil. Bruno Paupette découpe le verre d’un vitrail destiné à la chapelle du château de Bonaguil (Lot-et-Garonne). Comme en couture, la coupe est faite à partir d’un patron. Les morceaux constitutifs de chaque œuvre sont choisis en fonction des nuances souhaitées, puis découpés à la main.
Cet exercice particulier, Benoît Marq l’a longtemps pratiqué. Et même après avoir laissé les rênes de l’atelier, il a continué à pratiquer sa passion du vitrail, intacte. Au début des années 2010, il a ainsi travaillé sur des créations destinées au château de Bonaguil, dans le Lot-et-Garonne, et au château d’Hautefort, près de Périgueux. À la suite de son départ à la retraite, en 2011, l’atelier labellisé Entreprise du patrimoine vivant est entré dans le giron du groupe Fort Royal, déjà propriétaire de plusieurs entreprises artisanales d’exception. Racheté en novembre 2019 par les Champenois Pierre-Emmanuel Taittinger et Philippe Varin après avoir été placé en liquidation judiciaire, l’atelier Simon-Marq n’en finit pas de réinventer le verre coloré.
© VMF/MAP
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