Au XVIIIe siècle, Jacques-Philippe Mareschal relève le défi d’aménager à Nîmes l’un des premiers jardins publics d’Europe, les jardins de la Fontaine. Il doit composer avec le cahier des charges suivant : intégrer au projet une source dédiée à Nemausus et les vestiges archéologiques qu’elle révèle, tout en améliorant l’alimentation de la ville en eau. Récit d’un projet d’assainissement et d’embellissement, à la source des origines.
L’abbé d’Expilly, dans son Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France publié dans les années 1760, s’étonne devant « le quartier de la Fontaine, ville naissante avec toutes ses beautés dont Nismes que l’on découvre et d’où l’on sort ne paraît être que le fauxbourg. » Au XVIIIe siècle, Nîmes est une ville qui « explose ». Son économie, qui repose entièrement sur l’industrie textile, est florissante et connaît son apogée pendant la période 1730-1780. Quant à sa population, elle ne cesse d’augmenter et passe de 20 000 à 50 000 habitants en l’espace d’un siècle. La cité, spécialisée depuis les années 1650 dans la fabrique de soierie et de bonneterie, se métamorphose en une ville nouvelle, façonnée au gré de son essor manufacturier et commercial.
Dès le XVIIe siècle, l’espace urbain est remodelé selon les nécessités économiques et la croissance démographique. À partir de 1730, les faubourgs se développent très rapidement et sont occupés par les ateliers et la main d’œuvre des manufactures. Parmi ces nouveaux quartiers, celui de la Fontaine, à l’ouest de la ville, occupe une place particulièrement importante. Il naît de l’aménagement de la source de la Fontaine, à laquelle la municipalité s’intéresse à l’origine pour une seule raison : comment remédier au manque d’eau ?
Une découverte archéologique déterminante
Nîmes est née de l’eau. L’eau décide du sort de la cité et dessine la ville. Les jardins de la Fontaine, sur le point d’être aménagés, seront le témoin de la maîtrise de l’élément. Pourtant, en ce début de siècle des Lumières, l’eau manque. L’accroissement de la population, les sécheresses répétées, les maladies épidémiologiques et, surtout, la consommation en eau croissante d’une industrie en plein essor – qui plus est très gourmande pour le traitement des laines, cotons et soies – aboutissent à des pénuries d’eau en été. L’Agau, ce canal qui sort de la source de la Fontaine et traverse toute la ville, n’est plus suffisamment alimenté. Les installations en place se révèlent désormais trop archaïques et, dès 1725, des conflits surviennent à ce sujet. Sous la pression des habitants et des corps de métiers, la municipalité finit par chercher une solution. À partir de 1730, on prévoit donc des aménagements utilitaires autour de la source antique de la Fontaine.
Le temple de Diane servit au Moyen Âge de monastère, ce qui lui évita de disparaître. Lors de l’aménagement des jardins, il fut conservé dans son état quasi originel.
Les travaux de déblaiement et de terrassement débutent en 1738 mais sont très vite interrompus. En effet, tout ce remue-ménage a mis au jour un trésor antique unique : les vestiges d’un ensemble cultuel de l’époque romaine. Il s’agit d’un ensemble monumental composé du bassin de la source, d’un système de portiques et du temple de Diane. Il semble que ce site fut dédié au culte impérial d’Auguste, comme l’était la Maison Carrée, ainsi qu’au dieu Nemausus – qui donna son nom à la cité –, à Venus, aux nymphes et à Apollon guérisseur. Ces vestiges révélés par la source imposent une nouvelle orientation au projet qui doit à présent concilier utilité et esthétique. Il donne lieu à de nombreux rapports techniques et propositions infructueuses. La municipalité finit donc par se tourner vers le roi Louis XV qui charge l’ingénieur Pierre-Philippe Mareschal du dossier. Avec cette découverte archéologique, puis l’intervention du roi, le projet d’aménagement de la source de la Fontaine prend une ampleur considérable.
Le chef-d’œuvre de Jacques-Philippe Mareschal
L’arrivée de Jacques-Philippe Mareschal (1689-1778) dans la province de Languedoc en 1739 est liée à la commande des jardins de la Fontaine. Nommé ingénieur du roi en 1707, c’est dans le nord-est de la France, où il accomplit de grands travaux d’embellissement, d’agrandissement et de défense, qu’il démarre sa carrière. Distingué grâce à ses connaissances en hydraulique, il est ensuite nommé directeur des fortifications des provinces de Languedoc et participe alors à l’embellissement des villes de Montpellier et de Nîmes. Une tâche particulière lui incombe : réaliser à Nîmes l’un des premiers jardins publics créés en Europe. Manquant de moyens pour achever son projet, il n’est l’auteur que de la partie basse des jardins de la Fontaine, le mont Cavalier n’étant aménagé qu’au XIXe siècle. Véritable mise en scène paysagère, cette promenade architecturée, alliant l’utile à l’agréable, est inaugurée en 1760.
Deux volées d’escalier monumentales s’élèvent sur le flanc du mont Cavalier.
Rigoureux, l’ingénieur militaire commence par constater l’état des vestiges hydrauliques romains, afin de les intégrer dans son projet d’ensemble. Autour de la source, dotée d’un système hydraulique révisé, il prévoit un ensemble architectural et ornemental, mêlant éléments antiques et modernes. Le bassin de la source est prétexte à un jeu d’escaliers semi-circulaires, de portiques, de ponts qui conduisent aux terrasses, parterres et canaux en contrebas. La composition générale est inspirée des jardins à la française avec des allées symétriques et des alignements d’arbres, le tout ponctué de balustres, statues et vases de marbre.
Au centre du nymphée, La Nymphe de la source, groupe sculpté de Dominique Raché. Vases et angelots sculptés par Pierre-Hubert Larchevêque.
Le groupe central de La Nymphe de la source, qui détermine l’axe de la composition, est l’œuvre du sculpteur Dominique Raché. Cette réalisation, allégorie de la source antique, ne comblera pas les attentes de Mareschal, ni celles des Nîmois. En 1747, on acquiert un important groupe de marbres (statues, termes, vases, bancs) provenant du château de la Mosson, à côté de Montpellier. Enfin, c’est à Pierre-Hubert Larchevêque (1721-1778), sculpteur lauréat du prix de Rome en 1745, qu’est confié l’achèvement de la partie centrale des jardins.
Renouer avec la beauté de la ville antique
Le défi est relevé par le directeur des fortifications des provinces de Languedoc. L’alimentation en eau est assurée et les jardins embellissent considérablement la ville, offrant à ses habitants un nouveau lieu de détente. Bien que la mise en valeur des vestiges antiques, remaniés pour l’occasion, soit sujet à polémique, le rayonnement artistique autour de ces jardins est important. Au même titre que les jardins du Peyrou à Montpellier, les jardins de la Fontaine sont considérés comme un modèle pour les jardins publics créés au XIXe siècle dans le sud de la France.
Le groupe sculpté du nymphée (au centre) détermine un axe prolongé par l’actuelle avenue Jean-Jaurès, créant une perspective jusqu’à l’horizon vers le sud.
Mais il ne s’agit pas seulement ici de jardins, car ce qu’entreprend Jacques-Philippe Mareschal est un véritable projet d’urbanisme. Ce qu’offrent les jardins de la Fontaine à Nîmes, c’est un axe pour développer les nouveaux quartiers que la démographie galopante et une industrie florissante imposent à la ville. C’est la possibilité de créer des perspectives. Ils posent les bases des futurs développements urbains. Si le maintien des fortifications a limité l’œuvre de Mareschal, avec la destruction des remparts à partir de 1786, les contraintes sont levées. D’ailleurs, à cette période, Nîmes est soumise à un vaste programme d’embellissement et de mise en valeur des antiquités, dans un souci archéologique sans précédent. Les jardins de la Fontaine ont montré ce désir de renouer avec la beauté de la ville antique et l’on souhaite désormais que les nouveaux aménagements soient à la mesure de l’urbanisme ostentatoire déployé dans l’Antiquité.
Les grilles des jardins ont été réalisées par le serrurier Pierre Leclerc. Au fond, la tour Magne, perchée au sommet du mont Cavalier.
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