L’arboretum du Manoir aux Loups, à Halluin, constitue un refuge pour la biodiversité à l’heure où la métropole lilloise grignote partout la campagne flamande. À l’origine de ce lieu, Jean Carissimo-Desurmont légua à sa famille une collection botanique raisonnée et passionnée. Le jardin se lit comme un album de famille, chacun de ses arbres livrant une histoire.
« Du bleu, du vert, du doré, du rouge, le monde des conifères est formidable, tant en matière de couleurs que de texture », confie Diane Olivier-Carissimo, qui assure avec son mari l’entretien, l’animation et la communication de l’arboretum. Le mont d’Halluin, 68 mètres d’altitude, domine avec modestie la campagne flamande alentour. Ici, les Français affrontèrent les Britanniques en 1794 avant de les vaincre pendant la bataille de Tourcoing. Puis les Allemands occupèrent les lieux pendant la Seconde Guerre mondiale. Les armes se sont tues depuis.
« La maison, conçue par l’architecte tourquennois Charles Bourgeois au début des années 1930, est construite sur le modèle des grandes fermes flamandes du XVIIe siècle, avec ce clocher qui servait à appeler les ouvriers. En 1950, notre père, Jean Carissimo-Desurmont, racheta la maison à sa tante et commença à planter tout autour. »
Quatorze espèces de coccinelles
Fonctionnaire international issu d’une grande dynastie d’industriels du textile, Jean Carissimo-Desurmont consacra dès lors sa vie à ce site qu’il voua à sa collection botanique d’arbres et d’arbustes provenant du monde entier. Premier jardin de la métropole lilloise à recevoir en 2004 le label Jardin remarquable délivré par le ministère de la Culture, le Manoir aux Loups témoigne de la passion d’un homme pour les conifères. Afin de la seconder dans l’entretien de cet ensemble qui la mobilise beaucoup, Diane Olivier peut compter sur le concours de Fernando Ribeiro, considéré depuis toujours comme le septième fils de la maison, et qui aide la famille depuis 33 ans. « Notre père ne pensait pas réaliser un arboretum en tant que tel mais il s’est pris au jeu au fil des années, explique-t-elle. Il voyageait beaucoup et en a profité pour découvrir de nombreux parcs et jardins. Cela a affûté son goût pour les conifères. » Un paysagiste britannique renommé, Percy Stephen Cane, le conseilla pour remodeler les lignes majeures du parc, redessiner l’étang et intégrer des glacis et des allées engazonnées. L’œuvre de Percy Stephen Cane s’inscrit dans le mouvement Arts & Crafts, dans la filiation de Gertrude Jekyll.
Longtemps pâturage, cette terre argileuse de presque cinq hectares est aujourd’hui une oasis de nature protégée dans une métropole lilloise toujours en expansion. « Je me rappelle, petite, voir le beffroi de Lille depuis ma chambre par beau temps, mais maintenant je ne distingue plus rien », constate Diane Olivier avec une pointe de regret. Des entrepôts logistiques barbouillent le paysage à l’horizon, au-delà des champs de pommes de terre. « La terre traitée et la chasse poussent les animaux à venir se réfugier ici. Nous avons des bécasses, des oies, des hiboux, des lièvres et des faisans. On entend les crapauds croasser, les papillons et les coccinelles reviennent depuis quelques années. Une association en a même répertorié quatorze espèces ! »
Rêver et écouter le silence
Jean Carissimo-Desurmont a transformé un lieu ordinaire en lui insufflant de l’esprit et de la poésie. Des coins aménagés invitent à « rêver, à écouter le silence, les oiseaux, le bruit du vent dans les feuilles », comme dit sa fille. L’accueil est une tradition familiale depuis toujours, les amis des enfants, des scouts, des jardiniers ou des collectionneurs sont passés par là et reviennent volontiers. Autodidacte en matière de jardins, le créateur des lieux associa ici sa passion pour la botanique à celle de l’histoire et de la généalogie. La métaphore foisonnante de l’arbre généalogique était pour lui une évidence. « C’était son jardin, son partage. Il n’était pas imaginable pour lui de demander une participation. Néanmoins nous en demandons une depuis notre affiliation aux Parcs et Jardins du Nord-Pas-de-Calais pour assurer l’entretien des machines et les replantations », raconte Diane Olivier.
« Dès le démarrage du parcours, le visiteur est plongé dans l’atmosphère du lieu avec ce cèdre bleu de l’Atlas pleureur (Cedrus libani atlantica ‘Glauca Pendula’). Avec, juste à côté, ce platane espagnol (Platanus x acerifolia ‘Hispanica’) planté en 1950. Il est magnifique », s’enthousiasme-t-elle. L’architecture de cette honorable ombrelle, pas encore centenaire, impressionne. Non loin de la demeure, la prairie équestre passée, le vénérable sapin des eaux (Metase quoia glyptostroboïdes) fait la fierté de la famille. Cet arbre fossile fut redécouvert en 1941 par un garde forestier chinois. Les premières graines furent plantées en 1948 aux États-Unis. Par la suite, le premier métaséquoia arrivé en Europe vient enrichir la collection impériale de Kew Gardens à Londres. Le second, offert par un ami de Jean Carissimo-Desurmont, coiffe le mont d’Halluin depuis 1950.
Une Vierge dans un tronc d’arbre
« Notre mère est très pieuse. L’écorce du métaséquoia présente de nombreuses cavités et elle y avait glissé une petite Vierge de Lourdes il y a longtemps. Elle a été engloutie au fur et à mesure des années. » Amusé, Ferry Carissimo, le grand frère de Diane, se remémore cette disparition, lui qui vient d’accompagner sa mère, nonagénaire, au pèlerinage de Notre-Dame de la Marlière à Tourcoing. « Un promeneur aurait trouvé une statue de la Vierge dans un arbre fraîchement abattu. On avait crié au miracle. Peut-être qu’un jour si un bûcheron coupe ce métaséquoia on fera de même. » En poursuivant la promenade, un pin blanc pleureur (Pinus strobus pendula) symbolise le lien intrinsèque qui unit les hommes aux arbres. Les Six-Nations Iroquoises qui vivent sur les rives du lac Ontario, en Amérique du Nord, se réunissent au pied d’un pin blanc pour régler pacifiquement leurs différends.
Cet « arbre de la paix » jouxte une pente douce sur laquelle dix genévriers des Rocheuses (Juniperus scopulorum ‘Skyrocket’), alternative aux cyprès italiens qui ne poussent pas dans la région, jettent une touche méditerranéenne dans cet arboretum pittoresque. « Ces genévriers symbolisent les dix enfants de mes parents », explique Diane Olivier. Pour symboliser l’unité familiale, Jean Carissimo-Desurmont avait fait sienne une maxime inspirée par Le Livre de la jungle, de Rudyard Kipling : « La force du loup, c’est le clan, et la force du clan, c’est le loup ». Elle est gravée sur chacune des colonnes encadrant l’entrée du jardin.
L’appel de la forêt
Deux cyprès chauves (Taxodium distichum) donnent des airs de bayou à l’étang. Ces arbres typiques de Louisiane présentent des pneumatophores, des excroissances aériennes de ses racines qui apportent de l’oxygène à l’arbre et améliorent sa fixation dans le sol. Une ingéniosité du règne végétal, une parmi des milliers d’autres, pour répondre à des besoins spécifiques. « L’histoire de la famille s’intègre au jardin. Si un enfant partait étudier aux États-Unis, notre père plantait un arbre originaire de tel ou tel État », se rappelle Diane Olivier. Le feuillage cuivré, voire pourpre, du copalme d’Amérique (Liquidambar styraciflua ‘Worplesdon’) fait écho en automne au flamboyant ginkgo biloba, l’arbre aux mille écus. Ce n’est plus la Lys qui coule près du Manoir aux Loups quand l’été indien embrase l’arboretum, mais le Saint-Laurent.
Plus loin dans l’arboretum, les enfants Carissimo s’exerçaient au tir à l’arc. Cette partie reculée, dénommée depuis l’archerie, abrite une espèce rare, l’épicéa de Brewer (Picea breweriana), placée sur la liste rouge de l’UICN, l’Union internationale pour la conservation de la nature. Découverts en 1863, ces arbres peuplaient à l’origine les monts Siskiyou au sud de l’Oregon, une région arrosée des États-Unis riche en biodiversité. Un arbre aux mouchoirs (Davidia involucrata), autre trésor botanique croisé dans l’archerie, fait patienter pendant des années les amateurs de floraison exceptionnelle. Ses bractées blanches, délicates et fragiles, parent de lumière cet arbre originaire du sud-ouest de la Chine. Diane Olivier et Ferry Carissimo songent déjà à la transmission de ce patrimoine aux jeunes générations. Mais pas question d’imposer la voie à suivre. « Éduquer c’est montrer l’exemple », rappelle Diane Olivier en digne fille de son père, qui a tout fait pour éviter que l’arboretum ne devienne une contrainte. Une philosophie qui laisse à chacun des membres du clan la liberté d’entendre l’appel de la forêt.
© VMF/MAP
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