Le numéro 296 du magazine VMF, sorti en kiosque le 2 mars 2021, vous emmène à la découverte des plus beaux jardins de France. Vous souhaitez en découvrir davantage ? Après sa ronde des jardins d’inspiration médiévale, PAJ vous propose une nouvelle promenade dans les jardins de l’abbaye de Noirlac.
L’abbaye cistercienne de Noirlac, dans le Cher, possède de nouveaux jardins, dont la mise en œuvre fut un véritable défi. Dessinés par le paysagiste Gilles Clément et réalisés par l’agence Tout se transforme, les différents espaces, magnifiques, mettent subtilement en lien le site, son histoire et son territoire.
Il se dégage de l’abbaye de Noirlac une sorte de sérénité intemporelle. Adossée à un coteau, sa longue abbatiale de pierre claire date du XIIe siècle. À l’époque de sa construction, les cisterciens avaient trouvé leur bout du monde en ce versant de collines reculé, lieu idéal où rechercher la compagnie de Dieu dans l’isolement, au creux d’une nature cultivée. Mais si l’architecture cistercienne a résisté au passage du temps, les jardins édifiés par les moines avaient depuis longtemps disparu…
À l’aube des années 2010, Paul Fournier, l’actuel directeur du lieu, demande au paysagiste Gilles Clément de revisiter la longue suite monotone de cours et de pelouses. Entreprise délicate que de verdir pareil site : « Noirlac, déclarait alors le paysagiste, est un tout, du sommet de la colline aux rives du Cher. Dans ces conditions, faire un jardin relève du défi. Tout est déjà là, il ne peut s’agir que d’un ajout modeste, d’un accompagnement. » Dans le respect du cadre si particulier du monastère, le théoricien du jardin planétaire esquisse, à l’intuition, du cloître au coteau, une série d’aménagements minimalistes. Du jardin « des roses changeantes » à celui du « reflet du ciel », dans les parterres bleutés égayant sans trahir le quadrilatère strict du cloître, cette suite d’espaces ambitionne de retisser des liens entre l’abbaye, son histoire et le paysage alentour.
Restait à mettre en œuvre ce dessein dans un monument classé au passé complexe. Un défi délicat car, à l’image de nombreux autres édifices religieux, l’abbaye a eu plusieurs vies : confisquée à la Révolution, elle se transforme en manufacture de porcelaine au XIXe siècle, en campement de l’armée américaine en 1918, puis en camp de réfugiés espagnols en 1936, avant d’abriter l’hospice de Saint-Amand-Montrond, la ville voisine.
Une collaboration étroite débute entre l’agence Tout se transforme, formée par l’architecte du patrimoine Mirabelle Croizier et le paysagiste Antoine Quenardel, et les services de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac). « Concrètement, nous avons accompagné la mise en œuvre du projet de Gilles Clément de A à Z, afin que celui-ci se coule au mieux dans les prescriptions archéologiques », précise Mirabelle Croizier. Avec l’aide de l’historienne de l’agence RL&A Frédérique Malotaux, du paysagiste Philippe Raguin, de l’économiste Thierry Montagne et du bureau d’études Bios, l’équipe réalise d’abord un diagnostic patrimonial, en traquant les rares archives existantes. Cette analyse, suivie d’un diagnostic archéologique global assorti de fouilles « sur mesure », aboutit à une série d’ajustements, espace par espace, du projet initial de Gilles Clément.
La pièce « des roses changeantes » est par exemple réorientée et surélevée pour révéler l’emprise du bâtiment disparu du réfectoire des convers. « Grâce aux résultats du diagnostic et des fouilles, nous savions que, très vite, nous tombions sur les fondations de ce bâtiment, analyse le paysagiste Antoine Quenardel. Pour ne pas les altérer, nous avons donc réalisé un jardin hors sol en créant des jardinières à plus de 50 centimètres de hauteur, dans lesquelles nous avons planté des rosiers anciens Mutabilis dont les fleurs passent du jaune au rose au fil des saisons… » Ces différents aménagements s’accompagnent par ailleurs de la refonte des espaces d’accueil des visiteurs. Sous les hautes voûtes immaculées du cloître – labellisé Centre culturel de rencontre sur le thème des recherches sonores e 2008 – ne résonnent en effet plus les chœurs religieux, mais les arias ou les impros endiablées des quintettes de jazz.
L’abbaye gagne une entrée digne de ce nom, tisanerie, boutique et billetterie étant désormais mises en scène à travers un clos d’arbres de Judée et une allée de miscanthus, un parvis herbacé marquant par son foisonnement l’un des axes de l’abbatiale. Des jardins, certes, mais surtout une approche paysagère sensible afin de relier l’ancienne abbaye au reste du territoire, au moyen de gestes fins, réalisés à l’économie : « Gilles Clément réussit à mettre en tension à la fois le bocage et le coteau à travers une mise en perspective très simple, déclare Antoine Quenardel, un axe enherbé et une percée ouverte à travers les arbres au-dessus du ruisseau. » Les abords du site se fondent dans le paysage pour faire venir le bocage jusqu’aux portes de l’abbaye. Haies bocagères, prairies pâturées, et même recréation d’une mare « qui permettra d’évacuer et d’infiltrer les eaux de pluie des toitures récemment restaurées, tout en s’insérant plus tard dans le chapelet de points d’eau répartis dans le bocage de Noirlac, classé Espace naturel sensible. »
Au final, les délicats réglages effectués sous la surveillance des services archéologiques s’étendent bien au-delà de l’enceinte de l’enclos abbatial, notamment dans la prairie à l’ouest du monastère : « Nous avions initialement prévu d’y planter un verger de fruitiers, analyse Mirabelle Croizier, mais les archéologues ont découvert entre-temps les vestiges d’un chantier métallurgique, contemporain de la construction de l’abbaye. Nous avons donc décidé de décaler les plantations d’arbres plus au sud et de mettre en place sur les vestiges archéologiques une simple prairie qui sera pâturée par des races locales de moutons. » Un futur jardin en mouvement, signé Gilles Clément, sera aussi créé face à l’abbaye : à partir du printemps 2021, la pâture existante sera valorisée grâce une gestion par soustraction, afin de révéler la flore d’intérêt déjà présente dans les prés.
La première phase de ces travaux d’ampleur, qui se sont achevés fin 2020, s’accompagne par ailleurs de la création d’un poste de jardinier : « Cela tenait à cœur à l’ensemble de l’équipe, concluent Mirabelle Croizier et Antoine Quenardel. Jonathan Champion est en poste depuis le début de l’automne et a passé un trimestre à finir le chantier avec nous, ce qui a permis une vraie passation d’informations. » Reste, dans un deuxième temps, à rénover les terrasses à l’est du monument, sous la superbe allée de tilleuls remarquables. Et, ultime rappel au temps des moines, à implanter un vignoble sur la colline avoisinante…
Pour découvrir l’intégralité de notre dossier Jardins, procurez-vous le magazine VMF n° 296 de mars 2021 ici.