Après les écuries du Louvre (construites par Lefuel), les aménagements des anciennes écuries d’Artois (par l’architecte François-Joseph Bellanger entre 1780 et 1788) et de la rue Montaigne (réaménagées par Eugène Lacroix, architecte de l’Élysée), puis l’installation d’une partie de l’escadron des Cent-Gardes à Versailles à partir de 1854, Napoléon III souhaitait regrouper, non loin du nouveau Louvre, l’ensemble de ses services équestres. Ainsi naquirent les écuries de l’Alma.
Le 20 juin 1860, après de nombreuses et difficiles négociations, la Ville de Paris cédait enfin à la Couronne le terrain de l’ancienne île des Cygnes, une vaste parcelle irrégulière de 18 600 mètres carrés s’étendant en bordure de Seine et rattachée à la rive gauche à la fin du XVIIIe siècle. Elle s’engageait à y construire de nouvelles écuries impériales, jusqu’à concurrence de deux millions de francs (le coût total avoisinera les deux millions sept, hors coût des fondations1), en échange des parcelles et bâtiments des écuries d’Artois et de la rue Montaigne, démolies par la suite.
Napoléon III souhaitait que ce nouvel établissement accueille 300 chevaux, dont 100 réservés à Son Altesse impériale, des remises à voitures, selleries, forges, un magasin, un manège, une infirmerie, et quelque 130 personnes (30 pour le service de la Selle, 55 pour le service de l’Attelage et de la Poste, 45 divers), ainsi que les premiers écuyers, le prince impérial et l’écuyer commandant les écuries.
L’architecte en charge du projet fut Jacques-Martin Tétaz, Premier grand prix de Rome en 1843, qui signera là sa plus belle œuvre. À l’origine des premières études soumises à l’approbation de l’Empereur et de son Premier Écuyer, le général Fleury, Tétaz imagina un ensemble construit autour d’un axe marqué par le bâtiment administratif coté quai (à l’époque, le quai d’Orsay, aujourd’hui le quai Branly) et le manège, sur la rue de l’Université. Les écuries et logements se déployaient de part et d’autre.
En 1866, Tétaz nous en donne une description précise dans la Revue générale de l’architecture et des travaux publics : « la cour d’honneur, plus longue que large, forme le centre et comme le nœud de toute la composition. Cette cour est séparée du quai d’Orsay par le bâtiment de l’Administration, habité par les quatre écuyers de la Maison impériale ; elle est flanquée par les deux corps d’écuries principales, et elle est fermée au fond par les deux selleries et l’entrée du Manège. Ces selleries, en se courbant à droite et à gauche suivant deux arcs de cercle, rattachent les deux corps d’écuries au Manège. (…) À droite et à gauche des écuries et du Manège, il y a trois cours de service en enfilade, six en tout, isolées des voies publiques et des propriétés voisines, presque partout, par des bâtiments consacrés pour la plupart à des services de remises. Les deux corps d’écuries (…) se composent de trois nefs ou galeries, traversées par trois passages voûtés (…) Dans chacune des quatre sections qui composent les deux grands corps d’écuries, la nef centrale, la plus large des trois et qui contient deux rangs de chevaux, est couverte par une voûte sous baissée, que surmontent des lanternes vitrées servant en même temps à l’éclairage et à la ventilation2. »
Dans la cour d’honneur. À gauche, le bâtiment d’entrée (administration) donnant sur le quai. © Polymagou Dans la cour d’honneur, « fermée au fond par les deux selleries et l’entrée du Manège. Ces selleries, en se courbant à droite et à gauche suivant deux arcs de cercle, rattachent les deux corps d’écuries au Manège. » © Polymagou
Les écuries, de chaque côté de la cour d’honneur, étaient formées de deux bâtiments relativement sobres se composant essentiellement de trois nefs. Elles renfermaient 218 places, soit 144 stalles et 74 boxes, en comptant les stalles et boxes des chevaux malades, et abritaient les chevaux de poste (d’origine française), les chevaux de courses (d’origines diverses) et les chevaux de selle (anglais pour la plupart). Chaque box possédait un atelier de fer portant le nom du cheval, une mangeoire et une auge composée d’un stuc original appelé « ciment de Grenoble ». Les bois, laissés naturels, seulement huilés ou vernis, étaient en harmonie avec l‘ensemble des sols pavés de grès. Le premier étage abritait les logements du personnel.
Le manège, que l’on aperçoit toujours au 196 de la rue de l’Université, mesure 45 mètres sur 17,50 mètres (celui du Louvre mesurait 60 sur 20 mètres). À l’époque, « une tribune pour 20 à 30 spectateurs, avec salon et vestiaire, en occupe le fond. (…) Son entrée principale est du côté de la cour d’honneur ; l’entrée particulière de la tribune est au fond à droite par la troisième cour de service3. » L’aire du Manège était composée d’un mélange de sable et de sciure, et le tour intérieur était garni d’un pare-bottes et « d’un lambris matelassé jusqu’au-dessous des fenêtres4. »
Coupes des bâtiments abritant les boxes et stalles. Dessins de l’architecte Jacques-Martin Tétaz, extraits de la Revue générale de l’architecture et des travaux publics, 1866. Détails des boxes et stalles. Dessins de l’architecte Jacques-Martin Tétaz, extraits de la Revue générale de l’architecture et des travaux publics, 1866. Détails des selleries. Dessins de l’architecte Jacques-Martin Tétaz, extraits de la Revue générale de l’architecture et des travaux publics, 1866.
Chaque cour possédait une fonction particulière. « La première cour de service à droite, contre le quai d’Orsay, est consacrée aux besoins de la Poste ; celle qui suit en s’éloignant du quai, la deuxième, est consacrée au service de l’infirmerie – un abreuvoir y a été établi ; et la troisième, contre le flanc droit du Manège est réservée au remisage des voitures servant au Souverain Dans cette cour, il y a des remises pour les voitures de ville ou de promenade, pour les équipages d’apparat et même les voitures historiques – parmi ces dernières se voient celle du sacre de Napoléon Ier et celle du sacre de Charles X. Ces trois cours communiquent directement entre elles aussi bien qu’avec la cour d’honneur5. »
Les selleries occupant les deux quarts de cercle reliant les écuries principales au manège abritaient les harnais d’apparat. Elles étaient habillées d’un « parquet de chêne en bois de Hongrie6 » et possédaient deux niveaux de placard « desservis en partie haute par une galerie en encorbellement avec son escalier. Un drap vert tendu courait jusqu’à mi-hauteur dans ces deux belles salles courtes, parfaitement éclairées7 ». D’autres selleries, plus ordinaires, se situaient sur le passage, à gauche, vers les écuries du prince impérial.
À la chute de l’Empire, les bâtiments subirent progressivement de nombreuses modifications. Aujourd’hui affectés à différents services de la présidence de la République, ils n’en restent pas moins de magnifiques traces de la splendeur de l’architecture équestre du XIXe siècle.
1 Hubert Beylier, « La construction des écuries de l’empereur à Paris (1861-1864) », Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, 1983, p. 281-302. « Les fondations n’étaient pourtant pas comprises (dans l’enveloppe de 2,7 millions de francs) et firent l’objet d’un règlement séparé ; personne n’avait pris le risque de chiffrer le montant de cette opération, étant donné la nature instable du terrain, formé d’alluvions et de terres rapportées pour le comblement de l’ancien bras de la Seine. »
2 Jacques-Martin Tétaz, « Les écuries de l’Empereur », Revue générale de l’architecture et des travaux publics, 1866, n° 5, p. 216-221.
3 Ibidem.
4 Hubert Beylier, op. cit.
5 Jacques-Martin Tétaz, op. cit.
6 Guy Nicot, « Écuries de l‘empereur à l’Alma », Monuments historiques, janvier-février 1990, n° 167, p. 66-68.
7 Jacques-Martin Tétaz, op. cit.
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