C’est à Ouges, près de Dijon, qu’Armande et Geoffroy de Bazelaire ont installé leurs ateliers. Depuis cinquante ans, ce couple de passionnés fait vivre l’art du bois à travers des créations stupéfiantes de réalisme.
Geoffroy et Armande de Bazelaire sont marqueteurs professionnels. Dans leur atelier, ils assemblent avec minutie des matériaux pour en faire des motifs. Leur style « hyper réaliste » leur a valu d’être les premiers lauréats du Prix pour l’intelligence de la main de la fondation Bettencourt. En juin 2021, ils publient La Marqueterie selon Armande et Geoffroy de Bazelaire, un ouvrage rassemblant le travail de toute une vie. Désormais à la retraite, c’est avec la même passion que ce couple d’artistes perpétue cet art du bois.
Féru d’architecture et d’histoire, Geoffroy de Bazelaire est un ancien délégué VMF de Côte-d’Or et l’actuel président d’une association imaginant des projets culturels pour son village. Visites de propriétés, d’ateliers ou d’expositions, Geoffroy de Bazelaire et son épouse ont à cœur de transmettre leur savoir-faire. Armande, qui affectionne le travail manuel, restaure leur maison familiale, réalisant des faux marbres et réparant les luminaires.
Comment votre histoire a-t-elle commencé ?
Armande de Bazelaire. Un jour, on nous a demandé une porte en trompe-l’œil pour un placard. C’est avec elle que tout a commencé. Si nous avions déjà des créations, c’est à ce moment que nous avons abandonné la restauration de meubles, notre première activité.
Geoffroy de Bazelaire. À partir de 1976, les commandes sont arrivées et n’ont jamais cessé. C’est venu comme ça, petit à petit, par bouche-à-oreille. À tel point que nous n’avons jamais eu besoin d’exposer. Ça a plu& et nos relations ont aidé bien sûr.
Armande, après des études que vous qualifiez de « laborieuses », vous décidez d’accompagner votre mari et de réaliser des marqueteries. Comment ce choix s’est-il imposé ?
AB. J’ai fait des études générales qui ne m’intéressaient pas. Je me suis alors présentée au concours d’entrée à l’École nationale des beaux-arts de Dijon. J’y ai passé trois années très riches, y travaillant toutes les techniques possibles, que ce soit le modelage, la sculpture, le dessin, la perspective, l’architecture, même l’anatomie… Je me destinais à faire de la gravure sur cuivre et de la gravure à l’eau-forte, ce que l’on retrouve finalement sur le bois. Avec la marqueterie, j’ai, en quelque sorte, retrouvé ma vocation première.
C’est grâce à Geoffroy que vous avez découvert la marqueterie ?
AB. Oui, lui a fait une école d’ébénisterie, celle de Saint-Luc à Tournai, en Belgique.
GB. Étant passionné par le travail du bois et de la « bricole » en général, naturellement, mes parents pensaient que j’aurais pu faire l’école Boulle de Paris. Seulement, il y avait un concours et ils ne m’en jugeaient pas apte. Or, l’école de Tournai accueillait bien volontiers les Français sans concours, à condition qu’ils aient le niveau. Je l’ai donc intégrée et je suis sorti premier en ébénisterie. Durant ces trois ans à Tournai, je revenais à Dijon pour voir ma future fiancée. Je lui apportais des placages de bois et lui montrais ce que je faisais en Belgique, à savoir les rudiments de la marqueterie. Nous avions donc cette passion commune pour la marqueterie dès 1968 !
AB. Déjà, à cette époque-là, nous restaurions des objets : des petits meubles, des caves à liqueur, des coffrets…
Vous travaillez en binôme. Quel rôle chacun de vous joue-t-il dans le processus de création ?
GB. Nous avons un rôle complémentaire. Armande est créatrice-artiste. Elle ne se serait pas lancée seule, mais moi, je dis souvent avec humour que je suis remplaçable. J’interviens en amont, pour mettre au point les compositions. Je suis documentaliste, je trouve les objets qui sont nécessaires. Ensuite, Armande fait les découpes, ce qui est un travail considérable. Ce qui m’amuse, c’est l’extrême précision de mon épouse dans la marqueterie et, pour ma part, de parvenir à obtenir des choses beaucoup plus grossières comme des toits, des portes ou des boiseries.
Quel est votre outillage ?
AB. Je n’utilise qu’un cutter, un crayon et une pointe sèche pour les gravures.
GB. Une pointe sèche et une épingle ou une pointe affûtée qui est emmanchée.
Comment définiriez-vous votre « style » ?
AB. Je crois que nous avons un style personnel que nous ne voyons nulle part ailleurs.
GB. Un style hyper réaliste, hyper figuratif. Nos tableaux sont constitués d’objets réels. L’une de nos particularités est la représentation, en bois, du verre et de l’argenterie. Si un essai a été mené en Italie aux XVe et XVIe siècles dans les studiolo, la ressemblance n’était pas aussi poussée. Avec un nombre incalculable de bois incrustés, Armande parvient à créer du verre ! À cela, s’ajoute la gravure, que très peu de marqueteurs maîtrisent.
Il vous est également arrivé de représenter des animaux. Quelle difficulté cela pose-t-il ?
GB. Oui, dans le triptyque du conseil régional, il y a un chat. C’était une demande du président du conseil régional de l’époque, pour représenter l’écrivain Colette. Au lieu de mettre l’un de ses nombreux livres, il a demandé un chat, se baladant dans le « foutoir maîtrisé » du rayonnage.
AB. C’est la seule fois où nous avons représenté un animal vivant. Sinon, ils sont insérés dans des images, comme dans Le temps passe. La grive musicienne est une grive empaillée. On ne représente pas souvent d’animaux à vrai dire.
GB. Les tableaux sont des surfaces planes, tandis qu’un animal, c’est un volume. Pour le quolibet, la souris est représentée dans une image, qui elle-même tient avec une épingle. Tout le reste du tableau est fait d’objets peu saillants. Ce sont des astuces. À tout moment, il faut résoudre des problèmes, mais pour notre plus grand bonheur !
De quels objets vous inspirez-vous ?
AB. Nous devons avoir les objets avec nous. Quand les commanditaires n’apportent pas ce qu’ils aimeraient trouver dans leur tableau, c’est à nous de les trouver dans nos réserves. Avant l’incendie de notre maison, en 2012, nous avions une grande collection d’objets. Malheureusement, depuis cet événement, elle s’est considérablement réduite.
Vos ateliers ont donc été touchés par l’incendie ?
AB. Avant l’incendie, il y avait deux ateliers dans la maison. Mon mari avait un atelier qui donnait sur le jardin. Le feu a pris dans cette partie et tout a disparu : le bois, les machines… Par contre, mon atelier, situé au rez-de-chaussée, a été épargné. Le feu partait du plafond et commençait à y descendre. Geoffroy a demandé aux pompiers de casser la porte et de sortir tous mes travaux. Mes bois de placage, mes travaux en cours ont été sauvé, mais tout a été mouillé. Par exemple, le tableau présenté en couverture de notre ouvrage, était touché. Les deux rayons supérieurs et la sphère armillaire ont ainsi disparu.
GB. Cet hiver-là, il a gelé trois semaines durant. Les travaux sortis par les pompiers ont été recouverts de glace. Nous observions leurs détails derrière le givre, en transparence. Malheureusement, une table qui avait été entièrement marquetée n’avait pas été récupérée par ses commanditaires. À deux heures du matin, je l’ai trouvée recouverte de glace. Nous l’avons mise dans la chaufferie d’une maison voisine et trois semaines plus tard, nous livrions la marqueterie. Si Armande n’avait pas systématiquement fait des photos des pièces qui sortaient de la maison, nous n’aurions pas pu faire le livre. Nous avons eu une chance considérable de les retrouver après l’incendie.
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vous aviez remporté le Grand Prix pour l’intelligence de la main ?
GB. Nous avons reçu par la Poste un document d’environ 25 à 30 pages à remplir. Nous l’avons lu, mais nous ne l’avons pas rempli. Pourquoi nous l’avoir envoyé ? Nous sommes un peu modestes, et le document venait de Paris, du staff Bettencourt. Et puis un jour, Monsieur De Rose, un ancien ambassadeur, nous a appelés pour nous dire « nous tenons absolument à ce que vous remplissiez ce document ». Pour y tenir à ce point, c’est que notre travail avait vraiment été remarqué. Avec de l’aide, nous avons donc fini par le compléter. Un mois après, nous allions chercher deux experts et une secrétaire du staff Bettencourt à la gare de Dijon : il y avait Monsieur Ramond, professeur à l’École Boulle depuis trente ans et George Vriz, un artiste que nous avions repéré, que je connaissais, et qui avait grand succès dans la marqueterie.
Deux mois après, fin septembre, George Vriz nous a téléphoné en nous demandant de venir, accompagnés du président du conseil régional, pour la remise des prix. Il y avait un monde formidable ; évidemment, ça nous a impressionnés. Nous avons inauguré au Louvre le premier Grand Prix. Là, pour la première fois de notre vie, on a vu des gens qui faisaient la queue pour voir notre tableau. Et ça, vous savez, ça fait un drôle d’effet.
AB. C’était incroyable, presque irréel.

Pour aller plus loin : La Marqueterie selon Armande et Geoffroy de Bazelaire, Éditions Terre en Vues, 440 pages, 54 €