Un vent nouveau souffle, semble-t-il, sur la manière d’appréhender les modèles économiques du patrimoine et, aujourd’hui, de plus en plus de jeunes repreneurs relèvent le défi de cette économie hors normes. Les VMF inaugurent un nouveau cycle de conférences consacré à ces jeunes propriétaires de monuments.
Problématiques de transmission, contraintes économiques, enjeux complexes… Pour Xavier Lelevé, membre du conseil d’administration des VMF et propriétaire du château de Meung-sur-Loire (Loiret), le constat est sans appel : « Jamais, selon le cabinet Besse, nous n’avons eu autant de châteaux en vente. Ce sont notamment les grandes familles françaises qui se séparent de leur fief historique, faute de repreneurs. » Heureusement, de jeunes passionnés, dynamiques et inventifs, reprennent aujourd’hui certains de ces monuments anciens et parviennent à « passer d’un centre de dépenses et de coûts à un centre de profits ». Xavier Lelevé a réuni, le 6 avril, de jeunes propriétaires : Lancelot Durand, propriétaire du prieuré Saint-Hippolyte de Vivoin (Sarthe), Pierre-Armand et Louise Hurstel, propriétaires du château d’Apremont-sur-Allier (Cher), et Édouard et Alexia de Verdun, propriétaires du château de Bouthonvilliers (Eure-et-Loir). Ces trois témoignages nous éclairent sur leur manière d’aborder ces problématiques, les solutions qu’ils ont mis en place et les systèmes qu’ils ont su imaginer pour faire vivre leurs demeures.
« Sauver un monument, ce n’est pas simplement faire des travaux, c’est lui trouver une fonction »
Lancelot Durand a acquis le prieuré de Vivoin il y a deux ans. Ce prieuré du XIe siècle, dépendant de l’abbaye de Marmoutier, était, à la veille de la Révolution, l’un des plus vastes du Haut-Maine. Tombé en ruine, il fut sauvé dans les années 1960, grâce à une initiative locale et à l’émission Chefs-d’œuvre en péril, qui permit de mener plusieurs campagnes de restauration. Son jeune propriétaire poursuit les travaux de restauration et, surtout, de valorisation. Pour lui, « sauver un monument, ce n’est pas simplement faire des travaux, c’est lui trouver une fonction ». Il souligne que la notion d’habitation est très moderne et qu’initialement les demeures remplissaient plusieurs fonctions. À Vivoin, en prenant soin de ne pas dénaturer le bien, Lancelot Durand développe une activité évènementielle traditionnelle et une riche activité culturelle. Visites du prieuré et des jardins monastiques ; expositions d’art plastique et contemporain ; lieu de création, de performance et de dialogue avec les artistes ; ouverture d’une boutique ; récréation d’un pèlerinage ; organisation d’un festival de musique classique ; mise en place d’une signalétique tout autour du village… les projets ne manquent et l’avenir du lieu semble assuré.
La passion familiale, née dans les années 1980, s’est transformée en une société gestionnaire de lieux culturels et touristiques : Sovagep. En plus du prieuré de Vivoin, Lancelot Durand s’occupe du château du Bouchet (Indre) et, bientôt, du domaine de la Groirie (Sarthe). La société est compétente dans la maîtrise d’ouvrage, la création de muséographie et de scénographie, la programmation culturelle, l’évènementiel, l’ouverture au grand public et la stratégie marketing. Une multitude d’activités qui permettent aujourd’hui au jeune passionné d’en vivre. Il ne cache pas cependant les difficultés rencontrées. « Cette démarche entrepreneuriale n’est pas prise au sérieux d’un point de vue bancaire, gouvernemental et par un certain nombre d’organismes, raconte-t-il. La plupart pense que les monuments historiques n’ont aucun intérêt, que cela n’est pas une entreprise et qu’il n’y a pas d’avenir. » Il insiste sur la nécessité de se renouveler, de mettre en place de nombreuses choses, de tirer des leçons de chaque expérience et de bien connaître son territoire, ce qui assure un important gain de temps. L’art contemporain peut également être un point clé car il permet d’approcher la région et le département qui sont très friands d’ouverture, de création et de tourisme.
« Notre jeunesse, on l’a vécue comme une force, comme une opportunité. »
Louise et Pierre-Armand Hurstel, quant à eux, ont repris la gestion du château d’Apremont-sur-Allier il y a sept ans. L’édifice, qui appartient à la famille de Louise depuis 1722, est situé sur un petit promontoire qui surplombe l’Allier, dans l’un des plus beaux villages de France, presque entièrement privé. Son parc floral, labellisé « Jardin remarquable », accueille environ 40 000 visiteurs d’avril à mi-octobre, ce qui en fait un site touristique important. Les deux « jeunes entrepreneurs du patrimoine », pour reprendre les mots de Xavier Lelevé, ont quitté la ville avec leurs enfants pour habiter le château et ainsi mieux appréhender l’endroit. Le modèle économique polyvalent, basé sur trois sociétés autonomes, est très efficace. Le domaine forestier (près de 2 000 hectares) est géré en direct avec l’aide d’une coopérative forestière, 400 hectares de prairies sont loués à différents agriculteurs et quasiment toutes les maisons du village (une quarantaine) sont louées ou aménagées en gîtes et chambres d’hôtes. Depuis leur arrivée, le chiffre d’affaires a augmenté de plus de 50 %.
Le château d’Apremont-sur-Allier (Cher). Au premier plan, son village, presque entièrement privé, s’étend sur l’une des rives de l’Allier. Le château d’Apremont-sur-Allier domine un parc floral labellisé « Jardin remarquable » et agrémenté de plusieurs fabriques dans l’esprit de l’art des jardins au XVIIIe siècle.
« Notre mission, c’est d’essayer de développer un maximum d’activités économiques, d’en trouver de nouvelles, puis de transmettre à nos enfants un patrimoine sain et la passion. » Pour ces deux parisiens, choisir « un plein temps à la campagne » leur a permis d’entreprendre de nouveaux projets (hébergements, tourisme, animations) et d’acquérir une légitimité en étant sur place. « C’est une chance pour les jeunes repreneurs d’avoir aujourd’hui cette flexibilité, cette possibilité de garder un travail parisien, de passer beaucoup plus de temps à la campagne et de télétravailler la plupart du temps. » Si c’est un style de vie bien particulier, auquel il a fallu s’adapter, Louise et Pierre-Armand Hurstel ont considéré le fait d’être jeunes comme une chance et non comme un handicap : « Notre jeunesse, on l’a vécue comme une force, comme une opportunité. » Il était important pour eux de trouver le bon moment et ils considèrent qu’être arrivés jeunes à Apremont leur a permis d’avoir l’énergie et la volonté de mettre en place des idées nouvelles.
« Partager l’art de vivre à la française »
C’est en 2015 qu’Alexia et Édouard de Verdun ont repris le château de Bouthonvilliers, dans la famille depuis 1784. Avant de se lancer dans l’aventure, ils ont travaillé pendant un an avec un consultant et monté un business plan. Une fois installés à Bouthonvilliers avec leurs trois enfants, les deux repreneurs ont petit à petit développé l’offre d’hébergement. « Ces anciennes demeures avaient au départ une fonction particulière, explique Édouard de Verdun, elles étaient faites pour recevoir du monde. On a pris le parti d’ouvrir Bouthonvilliers pour que les gens profitent des intérieurs, du mobilier et vivent vraiment dans le château. » La propriété étant très bien située entre Paris et les châteaux de la Loire, l’idée était « d’accueillir des étrangers et de leur faire vivre une expérience familiale et simple mais en même temps raffinée, de partager l’art de vivre à la française ». Avant la pandémie, 95 % de la clientèle était étrangère mais, depuis, elle s’est diversifiée (forte demande nationale, notamment de la part des entreprises).
Désormais, le château ainsi que deux gîtes aménagés dans les communs sont proposés à la location, soit 35 couchages en tout, et de nombreux services et activités ont été développés : service de restauration, balades à cheval ou à vélo, ateliers wine tasting, cours de cuisine, massages, equicoaching, cave en libre accès pour les clients, produits dérivés, visites du parc… Pour le couple, « le but de ce projet est de transmettre, de préserver le patrimoine historique et familial ». Deux entités fonctionnent en même temps : une SCI, qui détient le foncier, et une SARL, qui permet de faire face aux dépenses. Une convention de mise à disposition des locaux de la SCI a été mise en place, moyennant un loyer annuel, versé par la SARL à la SCI, qui couvre les charges fixes de la SCI et les travaux (toiture, maçonnerie, aménagements exceptionnels). Un modèle économique qui permet à Alexia et Édouard de Verdun de ne pas avoir besoin d’exercer une autre activité professionnelle à côté et d’embaucher plusieurs salariés pour l’entretien de la propriété. « S’installer à la campagne, cela a donné du sens à notre vie, a déclaré Édouard de Verdun. J’encourage tous les jeunes que je rencontre et qui ont des propriétés familiales à ne pas les vendre, à les préserver et à essayer de les maintenir avec une activité commerciale ! »