Trois mois se sont écoulés depuis la publication sur PAJ d’un article qui racontait le combat de deux enseignantes calaisiennes pour sauver un immeuble de l’architecte Roger Poyé. Trois mois durant lesquels Magali Domain et Sylvie Dozinel ont remué ciel et terre, harcelant les élus locaux, alertant les journalistes, mobilisant les citoyens, et recueillant même le soutien de Stéphane Bern ! Sans résultat. Elles racontent leur croisade et dénoncent une mairie qui délaisse ouvertement son patrimoine. Quand elle ne le détruit pas. Tribune.
« C’est une catastrophe depuis trente ans ! La mairie affiche une méconnaissance et un mépris quasi total envers le patrimoine du calaisis. Et notre combat pour défendre l’immeuble de Roger Poyé illustre assez bien ce problème, puisque malgré nos efforts la municipalité n’a rien voulu savoir ! Nous avions pourtant tous les arguments de notre côté … L’intérêt patrimonial de cet édifice n’est plus à prouver, avec son style unique signé par un grand architecte du calaisis : Roger Poyé. Une figure de l’architecture locale qui a vraiment laissé son empreinte sur la ville en offrant aux ouvriers un habitat de qualité. C’est ce qui rend cet immeuble important : il témoigne de ce passé ouvrier qui a tant façonné notre ville.
Or cette histoire et ce patrimoine ne sont pas valorisés. Ce serait même plutôt l’inverse puisque ce dernier est détruit ! Et que la mairie y est complètement insensible, malgré des protestations venant de toutes parts : notre pétition en ligne a recueilli plus de 2700 signatures. Un petit groupe de fans du patrimoine nous soutient et a collé des affiches sur les murs de l’édifice appelant les voisins à se mobiliser à leur tour, des enfants accrochent des dessins poétiques sur la façade…
Les descendantes de Roger Poyé se sont elles aussi mobilisées. Elles ont écrit à la mairie pour que la démolition soit suspendue, ce qui a fait la une du journal local, le Nord Littoral. Nous avons même contacté le descendant du collaborateur de Roger Poyé à Calais, Fernand Soupey, qui est architecte, et qui s’est lui aussi exprimé dans la presse pour confirmer qu’il ne fallait surtout pas abattre cet immeuble, qui ne serait, de plus, pas si coûteux à restaurer. Bref, l’opinion publique est avec nous. Et on a même réussi à rallier une star à notre cause : Stéphane Bern ! Il a partagé un article racontant notre combat sur son compte Twitter, en rappelant qu’il était important de défendre le patrimoine du XXe siècle.
Bas-relief ornant la façade très dégradée de la Bourse du travail, l’un des édifices majeurs de l’architecte Roger Poyé à Calais. © Magali Domain
Un argument et un soutien que nous avons évoqué lors du rendez-vous que nous avons fini par obtenir à la mairie le 8 juin 2020. C’est l’adjoint à l’urbanisme, M. Emmanuel Agius, qui nous a reçues. Nous savions qu’il était 100% partisan de la démolition et que nos chances étaient maigres, mais nous n’avons pas été déçues : il s’est retranché derrière le fait que l’architecte des Bâtiments de France, Mme Madoni, avait donné son aval, et que Calais n’avait, soit disant, pas les moyens… Il a semblé outré de l’intervention de Stéphane Bern, qui selon lui a « pris la mairie en otage » ! Quinze jours après cet entretien, nous avons reçu un courrier nous confirmant que le bâtiment allait être détruit. C’est incompréhensible… D’autant plus qu’il semblerait que l’immeuble doive être rasé pour être remplacé par un petit collectif de 15 à 20 appartements. La mairie devrait plutôt se poser la question de comment respecter cet immeuble, qui n’impose pour toute reconstruction que le respect du « geste architectural » de Poyé !
La citadelle, monument majeur de la ville, est une belle endormie aujourd’hui recouverte par la végétation. © M. Rodriguez Nouvelle attraction touristique réalisée sur le modèles des Machines de Nantes, le dragon de Calais a brulé la bagatelle de 27 millions d’euros ! © Michaël Lachant
Mais l’ironie suprême, que nous tenons à souligner, c’est que le lotissement dans lequel est situé l’immeuble menacé, a été mentionné – par la mairie ! – pour l’obtention du label « Ville d’art et d’histoire » qui vient d’être décerné à Calais ! À croire que ce label n’est qu’un simple coup de communication, pour le « cachet », et n’entraîne aucune conséquence réelle pour le patrimoine. Il faut d’ailleurs signaler d’autres absurdités dans la gestion en général du patrimoine par la ville…
La mairie affiche une méconnaissance et un mépris quasi total envers le patrimoine du calaisis.
Sylvie Dozinel et Magali Domain
La citadelle par exemple, un monument majeur qui défend Calais depuis le Moyen Âge, n’est absolument pas mise en valeur et la végétation recouvre ses murs. D’autre part, le fort Nieulay, fort écluse construit par Vauban, n’est toujours pas inscrit au titre des Monuments historiques et va prochainement être reconverti en « zoo ». En effet, dans le cadre de l’opération dite « du dragon », un grand projet touristique autour du gigantesque dragon automatisé construit sur le même modèle que les « machines de l’île » de Nantes, un second « monstre », un iguane cette fois, est prévu pour prendre ses quartier au fort. Ce même fort dont la mairie ne souhaite pas l’inscription. Elle a sans doute d’autres préoccupations : son « dragon » a « brûlé » la bagatelle de 27 millions d’euros…
Deux églises de l’entre-deux-guerres seraient également menacées, selon un conseiller municipal. L’une d’entre elles, l’église Saint-Joseph, est signée Roger Poyé et possède des vitraux de Louis Barillet. Plus alarmant encore, nous venons d’apprendre que l’église Sainte-Germaine, remarquable par ses vitraux, également signés Louis Barillet, et son mobilier Art déco avec un chemin de croix en mosaïque, va être détruite faute de moyens du diocèse pour l’entretenir… Ce lieu de culte construit en 1928 serait rasé et le terrain vendu à un bailleur. Enfin, la fameuse Bourse du travail de Roger Poyé est elle aussi délaissée et se dégrade progressivement alors que la grande salle intérieure, avec ses fresques de Max et Paule Ingrand, est toujours inaccessible…
C’est donc un cri d’alarme que nous souhaitons lancer, car Calais possède un patrimoine exceptionnel. Or la mairie ne semble ni s’en apercevoir, ni s’en préoccuper. L’immeuble de Roger Poyé qui a tout déclenché, lui, paraît condamné : le toit et des murs sont d’ores et déjà tombés … Mais nous ne baissons pas les bras et venons de créer une nouvelle association baptisée « Environnement et Patrimoines du Calaisis » qui a pour but de défendre le patrimoine de la ville, face à cette mairie aveugle qui n’en voit pas la beauté. »
Sylvie Dozinel et Magali Domain