D’un charme mélancolique et surannées, elles portent, à travers leurs équipements de loisir et leurs immeubles un peu trop neufs, la promesse d’un mode de villégiature où le sport et le plein air sont rois. Pour les amateurs de climat vivifiant et de baignades dans la Manche, les stations de la Côte d’Opale sont incomparables. Diverses, pittoresques, marquées par la créativité des architectes et des entrepreneurs, elles surprennent par la richesse, souvent ignorée, de leur patrimoine.
Apparue en Angleterre au XVIIIe siècle, la mode des bains de mer se diffuse assez rapidement sur le continent, tout au moins dans sa partie géographiquement la plus proche des côtes de Grande-Bretagne. Les élites apprécient le bord de mer pour y passer du temps libre, chasser et profiter des vertus de l’air marin. Fort logiquement, les plages du nord de la France, où débarquent les visiteurs insulaires, sont investies. Les premiers touristes s’installent dans les localités les plus aptes à les recevoir : généralement les ports, où existent déjà des hôtels.
Dès les années 1760, Boulogne-sur-Mer est fréquentée, en particulier par l’écrivain et médecin britannique Richard Smollett. Un premier établissement de bains de mer y est fondé en 1785. À cette époque, seules les villes d’Ostende et de Dieppe disposent alors, sur le continent, d’un établissement de ce type. Dans les années 1830, le roi Louis-Philippe fréquente régulièrement la plage du Tréport, voisine de son château d’Eu, où débarque en 1843 la reine Victoria venue rendre à la famille d’Orléans une mémorable visite.
De vastes espaces à urbaniser
Le long des plages du Nord, l’existence de grandes propriétés foncières, souvent d’anciennes garennes royales vendues comme biens nationaux à la faveur de la Révolution, facilite les projets des investisseurs. Ces derniers peuvent acheter des centaines d’hectares et bâtir « leur » station. Aux portes de Dunkerque, Malo-les-Bains doit ainsi son nom à l’armateur Gaspard Malo qui, en 1858, achète 657 hectares de dunes. Son projet initial était de les planter pour y faire de l’agriculture, mais, dès les années 1860, il les convertit en terrains à bâtir.
Comme cela avait été le cas pour Deauville, le chemin de fer est un accélérateur. Ainsi, Mers-les-Bains profite de l’ouverture sur son territoire de la ligne ferroviaire entre Paris et Le Tréport, en 1873, et, en 1882, de la démilitarisation du fortin construit sur ordre de Napoléon Ier, pour aménager plusieurs lotissements sur le marécage, terrain communal en contrebas de la digue naturelle de galets.
Dragon ailé sous le porche de la villa Lydéric (ou villa Phinaert) au Touquet-Paris-Plage. Cet ensemble de deux logements a été bâti dans le premier quart du XXe siècle sur les plans de l’architecte Anatole Bienaimé. L’architecture balnéaire décline le bow-window à l’infini. Celui-ci est accroché à la façade de la villa Opaline, construite en 1894, sur l’esplanade du Général-Leclerc à Mers-les-Bains. Le bureau de poste du Touquet est construit en 1927, à l’emplacement de la chapelle Saint-André, premier sanctuaire paroissial de Paris-Plage, sur les plans de l’architecte Jean Boissel.
L’ancien notaire parisien Adolphe Daloz s’associe avec le propriétaire du Figaro, Hippolyte de Villemessant, pour transformer son terrain de chasse de 1600 hectares, acheté en 1837 et planté par ses soins, en un vaste lotissement selon un plan en damier : la station du Touquet-Paris-Plage est lancée en 1882. L’objectif de Villemessant, décédé avant la création de la station, était d’en faire « un Arcachon du Nord ».
L’homme d’affaires britannique John Whitley découvre Le Touquet-Paris-Plage en 1894 et décide la création d’une station plus au sud, afin de réunir les élites des deux nations, française et britannique : Mayville. Ce nom lui est donné en l’honneur de la princesse royale Mary de Tech, dite May, épouse du duc d’York, le futur roi George V. Whitley sollicite des investisseurs d’outre-Manche et apporte dans la conception de la station un goût typiquement british via la culture des jardins, les avenues bordées d’arbres, les cottages et la place accordée aux sports. Les résistances locales obligent néanmoins John Whitley à rechercher un autre site : ce sera Hardelot. L’Anglais ne se désintéresse pas pour autant du Touquet. Sitôt les héritiers Daloz dessaisis de leurs propriétés, il les fait racheter par sa société…
Si Le Touquet conserve un patrimoine balnéaire très riche, son front de mer a subi à partir des années 1960 les effets néfastes de la pression immobilière. Détail de la façade de la villa Ringot, qui doit son nom au sculpteur Maurice Ringot. Située rue Gustave-Lemaire, à Malo-les-Bains, la maison arbore un décor foisonnant réalisé en ciment similipierre.
La grande majorité des stations balnéaires du nord de la France construites au cours de la seconde moitié du XIXe siècle sont équipées d’une digue, utile pour la promenade des estivants et nécessaire pour la protection du quartier balnéaire contre la mer. Selon le Guide illustré de Dunkerque de 1905, la digue de Malo-les-Bains est à la plage ce que les planches sont à Deauville. Le long de ces digues sont construites les villas des propriétaires les plus riches, qui ont les moyens de se payer la vue sur mer, et des établissements balnéaires comme le casino. Les premières villas de Bray-Dunes, édifiées par les industriels et négociants de Tourcoing, qui ont fondé en 1912 une société anonyme pour le développement de la station, y sont toujours visibles.
Modèles, contre-modèles et « inclassables »
À l’instar des autres côtes françaises où une première massification touristique entraîne la multiplication des lotissements balnéaires depuis les années 1880, de nombreuses stations émergent sur les côtes du Nord. Si quelques implantations se greffent sur des villages de pêcheurs, comme à Audresselles, la plupart sont des créations inspirées des conceptions urbaines de l’époque. Les plans sont posés sur les dunes. Celui à damier est privilégié, plus facile à mettre en place, inspiré plus ou moins du modèle du Touquet-Paris-Plage et du projet de Mayville, avec une ambition moindre.
C’est le plan adopté à Merlimont par l’Italien César Trezza de Musella, président de la chambre de commerce italienne de Paris, propriétaire de 161 hectares en 1900 et créateur de la Société anonyme immobilière du Pas-de-Calais (ensuite renommée Société de la plage de Merlimont). Ce même plan est aussi repris à Quend-Plage, Fort-Mahon et Wimereux. Mais des contre-modèles émergent également. John Whitley confie ainsi à Louis Marie Cordonnier la conception d’Hardelot sur le modèle de la cité-jardin. Cette dernière station présente une image très élitiste, avec de belles demeures agencées autour d’un golf et des courts de tennis.
Aquarelle des élévations, coupe et perspective de la villa du poète bruxellois Georges Flé. Edifiée en 1893-1894 à Ambleteuse, sur les bords de la Slack, elle est l’œuvre de l’architecte Louis Bonnier. Celui-ci a multiplié les décrochements pour créer un effet de pittoresque. © Cité de l’architecture et du patrimoine Affiche « Stella-Plage, station climatique » (1925). Le projet d’aménagement de la station, en étoile, a été esquissé par Charles Plumet, architecte, décorateur et céramiste. Ce dernier a été l’architecte en chef de l’exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925, à Paris. © Office de tourisme de Stella-Plage
À partir de 1903, la société immobilière de Wissant organise, une synthèse de la pensée urbaine de la seconde moitié du XIXe siècle. Le principe est d’associer, sur 23 hectares, les principes des petites parcelles en front de mer et ceux de la cité-jardin à l’arrière. Les propriétaires doivent suivre un cahier des charges strict, qui n’est défini qu’en 1929. Les promoteurs parisiens de Stella-Plage, situé entre Étaples et Berck, optent quant à eux pour une forme urbaine inédite dans la région. En 1914, ils demandent à l’architecte Charles Plumet un plan en forme d’étoile, composé de voies rayonnantes et concentriques, dont le centre est la place de l’Étoile, fermée au front de mer par le casino et deux hôtels symétriques. Il s’inspire du modèle spatial de la station normande de Cabourg, alors très à la mode. La station se développe à partir des années 1920, le long de larges voies gazonnées de plusieurs kilomètres.
Le tournant de l’après-guerre
Alors que les Britanniques continuent de fréquenter les côtes, tout comme la nombreuse population locale, la commission du tourisme populaire du Pas-de-Calais regrette, en 1939, que les centres de villégiatures restent peu nombreux dans le département. En effet, il n’y a pas eu de nouvelles créations durant l’entre-deux-guerres. Wimereux, enserrée par la voie de chemin de fer et la rivière, densifie son bâti, se rapproche de Boulogne-sur-Mer et propose, en 1930, un des plus importants nombres d’équipements de la région, derrière Le Touquet.
Ces stations constituent une offre alternative aux grandes stations balnéaires, qui répondent à la démocratisation des vacances. Petit-Port-Philippe, la station balnéaire de Gravelines, reçoit ainsi de nombreuses colonies de vacances, en provenance de Lille, Roubaix, Tourcoing…
Les stations du nord de la France sont profondément marquées par les conséquences de la Seconde Guerre mondiale. Le casino et les villas d’Oye-Plage, à l’est de Calais, sont détruits par les Allemands pour être remplacés par des blockhaus ; les villas ne seront jamais reconstruites. En 1946, Le Touquet-Paris-Plage, détruit à 90%, ne propose que 500 chambres, dont celles de l’hôtel Westminster.
Berck l’hospitalière
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, Berck-Plage se spécialise dans la médication balnéaire, avec l’installation d’un premier hôpital marin, en 1861. En 1864, l’impératrice Eugénie fréquente la station pour la santé de son fils. Le pôle médical et de rééducation, aujourd’hui encore le plus important employeur de la commune, se développe au sud, tandis que le quartier balnéaire au nord s’organise autour de l’ancien estuaire de l’Arve ensablé. L’aménagement d’une digue-promenade, vers 1905, encourage l’adoption d’un plan à damier, que le plan d’aménagement, d’extension et d’embellissement de 1928, avec l’ouverture de larges routes, confirme. Après la Seconde Guerre mondiale, le quartier de la Plage est reconstruit partiellement en surélévation de la plage, une ligne d’immeubles sur un kilomètre et demi remplaçant les villas hétéroclites du front de mer.
© VMF/MAP
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