Entre Saint-Maximin et Manosque, le château de La Verdière, ancienne forteresse datant de l’an mille, s’est mué sous le règne de Louis XV en une fastueuse demeure de plaisance. Mécènes et esthètes se sont succédé dans un lieu où la passion du beau a nourri des projets aussi ambitieux qu’audacieux.
En 1759, le marquis de Mirabeau, père du célèbre tribun, écrivait : « A-t-on un palais, il faut y trouver appartements d’hiver, appartements d’été, appartements de bain, entresol, cabinets, garde-robes, boudoirs, cabinets de livres, garde-robes de propreté, communications, escaliers dérobés, etc. Il faut des jours à tout cela et l’architecte désorienté obligé d’opter entre le public et le particulier qui le paye, abandonne Vitruve et prend Dédale pour maître. » À cette époque, justement, afin de disposer d’une résidence campagnarde à la hauteur de leur rang, Louis Roch de Forbin (1721-1789) et son épouse, née Alexandrine Marie de Baussan (1732-1779), entreprenaient dix sept années de travaux colossaux, où le surdimensionnement se conjuguait à la recherche de l’élégance. Jusqu’alors, le château de La Verdière, ancienne forteresse féodale des Castellane, entré dans la famille par mariage en 1613, n’avait bénéficié d’aucun chantier de grande ampleur depuis le XVIe siècle.
Les Forbin d’Oppède, dont le nom est intimement lié à l’histoire de la Provence, comptèrent parmi leurs membres de puissants parlementaires, des militaires distingués et des ecclésiastiques célèbres. Au fil des siècles, ils constituèrent dans la région un véritable empire foncier constitué de nombreux châteaux, bastides et hôtels particuliers, ainsi que de plusieurs milliers d’hectares de terres agricoles. Entretenant une proximité sans cesse renouvelée avec la Cour, ils firent appel à de prestigieux architectes. De récentes recherches ont ainsi permis d’établir qu’ils allèrent jusqu’à solliciter André Le Nôtre pour l’aménagement de jardins, cas unique à ce jour dans l’histoire de Provence. À La Verdière, un parc d’agrément de seize hectares, où vergers et pinèdes encadrent des allées cavalières pavées dévolues à la promenade, met en valeur la silhouette spectaculaire du château.
Un air d’Italie en Provence
Le rang et les prestigieuses alliances contractées par les Forbin d’Oppède avec de grandes familles, provençales telles que les Pontevès, parisiennes comme les Marin, parents des Colbert, les Baussan et les Augeard de Buzancy vont contribuer à faire de La Verdière, écrin de brillantes réceptions et de mémorables parties de chasse, l’une des plus délicieuses résidences aristocratiques de Provence. D’une surface totale avoisinant les 5 000 mètres carrés, le château, jadis poste de surveillance sur la route reliant Arles à Castellane, aligne huit niveaux, percés de près de 365 portes et fenêtres, qui se déploient en terrasses sur un tertre rocheux au-dessus du village perché de La Verdière. On y trouve neuf somptueux salons d’apparat, plus d’une vingtaine de chambres de parade et de domestiques, mais aussi l’ensemble des commodités et des dépendances nécessaires à une vie familiale et mondaine fastueuse.
Au terme des remaniements du XVIIIe siècle, le château se présente comme une imposante bastide provençale flanquée de deux ailes aux origines médiévales savamment « chemisées » pour leur faire perdre un aspect défensif qui subsiste par le biais de petites échauguettes devenues autant décoratives que symboliques. Deux grandes enfilades organisent l’espace intérieur. L’une est consacrée à l’hiver et se voit orientée plein sud, l’autre au nord est dévolue à la vie estivale. Cet ensemble monumental est complété par une salle de bal devenue galerie. Mesurant plus de 25 mètres de long, reliant le château à son parc, elle abritait autrefois les abondantes collections de peinture des Forbin.
Vue de l’escalier d’honneur depuis une petite pièce entresolée, dont le balcon de ferronnerie porte le « F » des Forbin. Conçu comme un décor de théâtre, cet escalier orné d’élégantes gypseries de style néoclassique est éclairé par un puits de lumière et couvert d’une étonnante verrière plafonnante de la fin du XVIIIe siècle.
Rythmé par de puissantes colonnes doriques et orné d’un décor de cartouches et de médaillons ourlés de guirlandes de lauriers, sous une étonnante verrière de la fin du XVIIIe siècle offrant un éclairage zénithal des plus appréciables, l’escalier s’affirme à lui seul, dès que l’on pénètre dans la demeure, comme un véritable décor de théâtre. Précédé d’une rotonde percée à l’antique de niches et de trompe-l’œil italianisants, il évoque davantage un palais florentin qu’un château provençal. Ouvrant sur cette cage d’escalier, des portes – sauf celles qui sont factices – cachent un réseau dense de cuisines et d’offices, d’escaliers et de couloirs de service, d’entresols et de cagibis invisibles pour l’invité…
Les secrets d’un art de vivre raffiné
Au premier étage, plusieurs salons, dotés de cheminées en marqueterie de marbres précieux et arborant d’abondants décors de gypseries, nous plongent dans le raffinement du siècle des Lumières. Un salon d’hiver, où les trumeaux présentent les quatre saisons, les chiffres et les armoiries de Louis Roch de Forbin et de son épouse soutenues par des nuées d’anges, offre un coup d’œil admirable sur la vallée. Le rafraîchissoir, ceinturé d’une frise rocaille ponctuée de petits amours dionysiaques s’adonnant à la boisson, à la gourmandise et au jeu, jouxte la salle à manger, où trône un impressionnant vaisselier provençal d’époque Restauration. Derrière, depuis un passage secret, les domestiques pouvaient observer les convives par de petites ouvertures percées dans le meuble et adapter leur service en fonction de l’avancement du repas.
Merveille de grâce et d’élégance, le salon des appartements de la marquise de Forbin ouvre sur une grande terrasse baignée de lumière. Le sol en carreaux de faïence de Moustiers s’harmonise avec le bleu des murs sur lequel se détachent les gypseries blanches. Au fond du salon de Madame, un dais de lit vénitien du début du XIXe siècle. Au premier plan, une harpe d’époque Restauration.
Sur le même niveau, les appartements de Madame comprennent une grande chambre de maître, une terrasse suspendue, une garde-robe, un cabinet de toilette avec sa baignoire de marbre intacte, et un exceptionnel salon privatif. Orienté plein nord, traversant, ce qui permet d’y faire aisément courant d’air, et pavé d’un rarissime sol de carreaux en faïence de Moustiers, ce salon est un havre de fraîcheur. Ses murs ornés de gypseries se parent de délicieux décors de chinoiseries d’époque Louis XVI, inspirés des célèbres Scènes de la vie chinoise peintes par François Boucher. Le jardin chinois, Le déjeuner de l’Empereur ou Le fumeur d’opium s’inscrivent dans des cartouches parfaitement symétriques où vases de fleurs, lambrequins, ombrelles, animaux exotiques et nœuds aériens se confondent dans le bleu céleste des murs. Comble de la virtuosité : chaque motif de gypserie se détache en trois dimensions du mur, de sorte que les ombrelles, les rubans et les divers attributs des personnages orientaux semblent flotter dans la voussure du plafond.
Pour l’hiver, une chambre de couleur violine s’ouvre sur la grande terrasse, isolée du froid et du bruit grâce à une précieuse porte-tambour d’époque Louis XV. Entre des mascarons incarnant les quatre continents, elle offre de généreux bouquets, de gracieuses guirlandes, et des frondaisons où chaque feuille et chaque fleur s’entrelacent pour former un treillage de gypseries aussi léger que voluptueux.
Décadence et renaissance
Une telle excellence ne pouvait susciter que des convoitises. Après avoir été intégralement pillé et saccagé par les habitants du village pendant la tourmente révolutionnaire, le château ne rentre en possession des Forbin d’Oppède qu’au prix d’interminables démarches sous l’Empire. Tout au long du XIXe siècle, la famille s’efforcera de panser les plaies de la Révolution. En 1900, le décès du marquis de Forbin d’Oppède marque l’extinction de cette branche, qui tenait La Verdière des Castellane. Le château et ses terres sont alors recueillis par les Forbin La Barben. Dans les années 1980, le château est vendu. Des propriétaires successifs précipitent, alors, sur fond de négligence des pouvoirs publics, la ruine et le dépeçage de l’ensemble.
La Verdière a aujourd’hui recouvré son cachet de grâces. Ce château, qui possède une qualité d’aménagements intérieurs et des programmes décoratifs d’une complexité et d’une variété de sources exceptionnelles, rivalise avec les plus beaux hôtels particuliers d’Aix et de la capitale. La résidence seigneuriale des Castellane est devenue un palais d’apparat somptueux et confortable, homogène et diversifié, dont les décors évolutifs illustrent le génie bâtisseur d’une famille provinciale et son inscription dans un XVIIIe siècle qui sut cultiver le raffinement avec un art consommé.
Restaurer La Verdière, un projet titanesque
« Lors de notre première rencontre, à l’automne 2002, le château de La Verdière était un véritable « chef-d’œuvre en péril », raconte son actuel propriétaire, Frédéric Champavère. L’eau pénétrait de toutes parts, la végétation se développait et les « travaux » qui avaient été effectués avaient contribué à en accélérer la ruine ; pire, il avait été dévalisé et vandalisé. Il était urgent d’intervenir et il fallut tout repenser : façades, charpentes, couvertures et huisseries… Le mettre hors d’eau et hors d’air était une priorité absolue. Ce fut le défi des premières années au cours desquelles les entreprises que nous avions appréciées lors de la restauration d’une forteresse médiévale en Forez sont intervenues.
Puis vint le temps de nous consacrer aux intérieurs, dans le scrupuleux respect de la charte de Venise, en particulier les décors de gypseries, réputés pour être les plus beaux de Provence, les teintes pastel des murs caractéristiques sous le règne de Louis XV. Il fallut enfin le remeubler pour redonner à ce joyau son âme d’antan. Aujourd’hui, du mobilier de grande qualité, des lustres, des tableaux, des faïences, des tapisseries, dont certaines d’origine du château, une exceptionnelle collection textile constituée de robes, de parures et d’accessoires du XVIe au XIXe siècle, côtoient les œuvres d’artistes plus contemporains dont des robes du créateur Franck Sorbier, maître d’art, natif du Var, et grand couturier parisien. »
© VMF/MAP
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