Entre attachement à l’architecture gothique et fascination pour les innovations de la Renaissance italienne, le XVIe siècle s’avère en France une période de vrai renouveau architectural. Nombre de nobles et de seigneurs s’emparent de cette mode, mettant au goût du jour leur demeure, la reconstruisant parfois même totalement, dans un style inspiré des créations italiennes. Illustration à travers quelques exemples dans le Haut-Poitou.
La plupart des constructions nouvelles, dans la première moitié du XVIe siècle, reflètent la fascination des Français pour l’art italien tout en manifestant un attachement non démenti à la tradition gothique. Il en résulte une architecture hybride, juxtaposant un plan et une distribution médiévaux avec un décor à l’italienne, mobilisant des motifs ornementaux ou des ordres architecturaux à l’antique. À Bonnes, en bordure de la Vienne, le château de Touffou illustre parfaitement ce phénomène : le donjon médiéval est conservé mais Jean de Chasteigner et son épouse, Claude de Monléon, lui accolent dans le cours du XVIe siècle une nouvelle aile construite dans un style très différent. L’ordonnancement de la façade scandée de bandeaux, pilastres et lucarnes évoque les constructions contemporaines de la vallée de la Loire, à commencer par Azay-le-Rideau. À l’angle, une échauguette subsiste, comme un lointain souvenir des tourelles d’angle des constructions castrales.
MOTIFS DE GROTESQUES ET MÉDAILLONS
De la même manière, le château de Coussay, en Mirebalais, construit par Denis Briçonnet qui est à l’origine de la construction de Chenonceau, conserve une allure générale de forteresse médiévale. De plan quadrangulaire, il est flanqué de quatre tours d’angle et entouré de douves. Pourtant, il arbore un décor plaqué typiquement renaissant, notamment sur le pavillon de la Fontaine, orné d’un arc triomphal sculpté en bas-relief de motifs de grotesques et de médaillons. Ces motifs de grotesques, qui font partie du répertoire favori des artistes de la Renaissance italienne, puis européenne, trouvent leur origine dans les décors de la Domus aurea de Néron, mis au jour au début du XVIe siècle. Popularisés par Raphaël dans les chambres du Vatican, ils connaissent une diffusion dans tous les domaines artistiques et à travers toutes les techniques.
Au château de Dissay. Détail du cul-de-lampe d’inspiration encore gothique d’une tourelle accolée à la tour d’escalier polygonale du logis nord (XVe). La demeure fut reconstruite au tournant des XVe et XVIe siècles par Pierre d’Amboise, évêque de Poitiers. L’ornementation a été reprise au début du XXe siècle. Détail du décor ornant le tympan du portail de l’église Saint-Pierre à Loudun. En forme d’arc de triomphe, il fut, comme la nef collatérale sud et le clocher, réalisé dans le premier quart du XVIe siècle.
Dans le domaine de l’architecture religieuse, on trouve cette même juxtaposition entre une tradition gothique médiévale encore très vivace et un décor ornemental italianisant. Le portail de l’église Saint-Pierre de Loudun en est un bon exemple. Il reprend, en effet, la structure traditionnelle d’un portail gothique avec son tympan vitré surmonté de cordons de voussures. Mais celui-ci est entièrement orné d’un décor sculpté à caissons, et l’arc brisé a été abandonné au profit de l’arc surbaissé. À Châtellerault, en milieu urbain, l’hôtel des Sibylles, édifié vers 1520, constitue un bel exemple de l’adoption du répertoire italien. La façade sur cour est rythmée par un système de bandeaux et de pilastres qui forment un véritable quadrillage, ponctué par les hautes lucarnes. Le répertoire ornemental est essentiellement composé d’une série de médaillons, dont l’insertion évoque l’univers humaniste de la Renaissance et la redécouverte de l’art des médailles antiques. C’est ce décor de médaillons à l’effigie des sibylles et des prophètes qui a donné son nom à l’hôtel particulier.
VERS UNE NOUVELLE ARCHITECTURE CLASSIQUE
Autour de 1550, on observe un changement de style dans ces constructions de prestige. Les modèles italiens sont assimilés par les artistes et architectes français qui sont alors à même de proposer une architecture nouvelle. La seconde Renaissance, représentée par les figures fameuses de Pierre Lescot, Jean Bullant ou Philibert Delorme, a commencé ! Malgré son plan rectangulaire cantonné de quatre tours, le château de La Grande Jaille, à Sammarçolles, édifié dans les années 1570, est un bel exemple de cette nouvelle architecture classique. La façade est très sobre, simplement rythmée par des superpositions de baies surmontées de lucarnes. Celles-ci sont traitées avec un vocabulaire classique : arc en plein cintre, pilastres, entablement, frontons et accolades. Sa distribution s’organise autour d’un monument escalier à rampe sur rampe, véritable morceau de bravoure de l’architecture. On le doit à Mexme Gallet, contrôleur des finances, acquéreur du château et de la seigneurie en 1619. Cinq ans plus tard, il entreprit la construction, à Paris, dans le Marais, de l’hôtel de Sully, doté d’un escalier monumental comparable. Son architecte, très probablement Jean Androuet du Cerceau, petit-fils de l’auteur des Plus Excellents Bastiments de France, aurait pu donner pour La Grande Jaille le croquis de l’élégante loggia abritant des latrines extérieures, sur la face nord, qui existe également, mais en partie ruinée, sur la face sud.
Deux des trois grandes lucarnes de la façade arrière du château de La Grande Jaille. Des flambeaux et des accolades enserrent des écussons surmontés d’un petit chapiteau triangulaire. Un raffinement impeccable, puisé aux meilleurs modèles ! © Bernard Galéron Façade arrière du château de Coussay. Arborant pilastres, entablement et fronton cylindrique orné d’une coquille, le décor de la porte d’entrée est caractéristique de la première Renaissance. © Bernard Galéron
Le décor intérieur de La Grande Jaille comprend deux remarquables manteaux de cheminée peints. Le premier représente la mort de Procris par Céphale, d’après une gravure du peintre italien Antonio Tempesta. Le second figure Atalante et Méléagre, toujours d’après une gravure du même artiste illustrant Les Métamorphoses d’Ovide, en 1606, ce qui témoigne de la surprenante rapidité avec laquelle ces modèles italiens se diffusèrent. L’encadrement décoratif de ces deux scènes figuratives est issu du répertoire bellifontain. On y retrouve les décors de cuirs enroulés, les grotesques, les têtes de chérubins, les motifs d’accolade présents dans la galerie de François Ier à Fontainebleau ou dans la galerie des peintures du château d’Oiron, près de Thouars. Les couleurs acidulées, la torsion des corps en spirale, la véhémence des gestes sont autant de caractéristiques de l’art maniériste alors à son apogée. La technique utilisée n’est pas de la fresque, mais une technique mixte a secco. Une récente campagne de restauration a permis de rendre tout son éclat à ces deux décors peints. Le plafond à la française prolonge celui-ci. Il est en effet orné de motifs de cartouches, rinceaux, arabesques dans une harmonie chromatique proche de celle de la cheminée.
Les parties basses et les tours de la façade arrière du château de La Grande Jaille sont appareillées en moellons de galuche, un calcaire dur local. Les encadrements des ouvertures, ainsi que tous les autres éléments décoratifs qui rythment la façade, sont en pierre de taille (tuffeau ou pierre de Richemont). À droite, au premier plan, la galerie des latrines nord, aménagée au début du XVIIe siècle, relie les tours d’angle. © Bernard Galéron La cheminée de la salle d’honneur de La Grande Jaille est dotée d’un décor peint a secco. Ce dernier fut commandé par le financier Mexme Gallet, propriétaire de La Grande Jaille de 1619 à 1637, vraisemblablement à un artiste peintre parisien. © Bernard Galéron
UNE COMPOSITION TYPIQUEMENT FRANÇAISE
L’hôtel de Rouhet, appelé plus tard hôtel de Sully, à Châtellerault, illustre quant à lui le développement de la mode des hôtels particuliers urbains. Construit au tournant du XVIIe siècle, il est attribué à l’un des membres de la dynastie Androuet du Cerceau, Charles, mort en 1606. L’édifice s’organise entre cour et jardin, suivant un plan en L. Son corps principal est conçu autour d’un axe de symétrie central constitué par la porte d’entrée surmontée d’un fronton triangulaire. De part et d’autre de cette porte principale, sont disposées deux travées de baies surmontées de lucarnes. L’axe vertical de la composition, typiquement français, est clairement affirmé par la scansion des baies et des lucarnes. Elles sont traitées dans un vocabulaire ornemental très classique, dominé par le motif du fronton triangulaire, égayé de masques, guirlandes ou autres feuilles d’acanthe. Quelques rues seulement séparent l’hôtel de Sully de l’hôtel des Sibylles, mais la comparaison des deux édifices, l’un très orné, aux travées couronnées de hautes lucarnes à frontons sculptés, l’autre, tout en équilibre, presque en retenue, illustre les évolutions que vit l’architecture française tout au long du XVIe siècle.
© VMF/MAP
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