Indéniablement influencés par les grandes réalisations du Val-de-Loire, les châteaux Renaissance de l’Indre n’en possèdent pas moins leurs propres singularités. Si Valençay est le plus célèbre d’entre eux, plusieurs autres joyaux du XVIe siècle, sertis dans leurs écrins de nature, sont à découvrir ou à redécouvrir.
Le cinq centième anniversaire de la mort à Amboise de Léonard de Vinci et la mise en valeur de la période de la Renaissance en région Centre-Val de Loire ont récemment attiré l’attention sur le patrimoine architectural de l’Indre datant de cette époque. Force est de constater que, hormis Valençay, la renommée de ce patrimoine ne s’impose guère aux yeux du grand public, et fait pâle figure à côté des grands châteaux du Val de Loire. À cela, plusieurs explications. Nombre de monuments ne sont pas ouverts au public, à l’instar de Villegongis. D’autres, comme Azay-le-Ferron, ont été transformés par des remaniements aux siècles suivants qui ont atténué leur caractère renaissant. Ajoutons-y des destructions sans retour, tel le superbe château de Veuil, démonté à la demande de Talleyrand, la demeure du Parc à Châteauroux ou le château de Buzançais, incendié par les Allemands en août 1944.
Un riche patrimoine
Le Bas-Berry a bel et bien participé de la Renaissance et y a occupé toute sa place. Des familles bien en cour auprès du pouvoir royal tout proche y résidaient, comme les Étampes à Valençay, les Hurault à Veuil ou l’amiral Chabot à Buzançais. Et tous ont beaucoup bâti. Avec des résonances parfois tardives, les bâtiments de la Renaissance du Bas-Berry se calent dans l’ensemble sur l’architecture née en Val de Loire, combinant traditions aristocratiques locales, très liées au style gothique, et apports italiens, d’abord décoratifs puis intégrés dans la conception même des édifices.
L’une des tours du château de Villegongis. L’escalier rampe sur rampe de Villegongis est l’un des plus frappants de l’architecture de la Renaissance ligérienne. Les plafonds à caissons sont ponctués de clefs formant une broderie de pierre et les arcatures reposent sur des pilastres de facture italienne.
Quelques œuvres majeures se détachent, qu’il importe de remettre en perspective par rapport aux grands monuments ligériens fondateurs. Nul ne conteste le caractère pionnier du château d’Argy. Reconstruit pour l’essentiel avant 1509 par Charles de Brillac, maître d’hôtel de Louis XII, il formait un ensemble en forme de cloître. Par ses galeries, son appareillage, il s’inspire indéniablement de l’aile Louis XII de Blois. Un impressionnant châtelet traduit le goût aristocratique berrichon. Les décorations intérieures, notamment celles des deux galeries, utilisent le vocabulaire du gothique flamboyant avec virtuosité, donnant à l’ensemble une belle élégance.
Valençay, un modèle
La réalisation majeure est néanmoins celle du château de Valençay, qui fut l’un des plus imposants châteaux de la Renaissance, comme le montre une aquarelle de 1705 de la collection Gaignères (BnF). La construction, qui s’étala sur près d’un siècle, fut l’oeuvre continue de la riche famille d’Étampes qui occupait de hautes fonctions auprès du roi. La récente restauration de la tour nord-ouest confirme la réalisation précoce de Valençay. Les travaux ont débuté avant 1520, année où la grosse tour reçut sa charpente, en même temps que Chambord ! Elle se prolongeait par l’aile ouest (la moitié de l’aile actuelle), conforme aux meilleurs canons de l’époque. La tour était aussi encadrée au nord par un logis en retour d’équerre. L’impressionnant portail ou « donjon » d’entrée date de 1599-1601. Le raccordement sur la même aile avec le logis fut assez compliqué.
Les arcades sur la cour, dont il ne reste que la partie basse, s’inspiraient des loges du Blois de François Ier. Entre 1601 et 1608, Jacques d’Étampes fit relier la vieille tour nord-est au donjon et édifier une aile est (aujourd’hui détruite) qui clôturait la cour ainsi que des arcades dominant la vallée du Nahon. Les éléments décoratifs (parfois remaniés) couvrent toute la période renaissante : décors italianisants sur les façades et plafonds à caissons dans la tour, jusqu’au style maniériste des ornementations de la fin du siècle. Résidence privée, le château de Villegongis n’a quant à lui pas reçu la reconnaissance artistique qu’il mérite. Bâti pour l’essentiel entre 1531 et 1538, par Jacques de Brizay et son épouse, il est flanqué de deux grosses tours rondes d’esprit féodal. Les façades sont, en revanche, édifiées dans un style adapté à une demeure résidentielle, inspiré de l’Italie avec des décors à l’antique.
Le château que nous voyons aujourd’hui n’est plus tout à fait celui qui fut primitivement édifié. En effet, à la demande du comte de Barbançois, l’architecte Alfred Dauvergne fit abattre au XIXe siècle une aile en retour, ajouta une travée à la façade et remodela celle de l’escalier en supprimant une lucarne haute et en modifiant l’équilibre de la porte d’entrée. Si Villegongis peut évoquer Chambord, son modèle fut en réalité le château de Bury (près de Blois, aujourd’hui disparu). Les éléments décoratifs extérieurs sont en revanche indiscutablement inspirés de la demeure royale, sans être de simples copies. Les deux cheminées, représentant saint Jacques et sainte Anne, sont plus ornées que celles de Chambord. Rampe sur rampe, sa voûte légèrement surbaissée, avec un plafond à nervures, l’escalier s’inspire lui aussi de la demeure royale.
Rythme et équilibre
En Boischaut Sud, aux portes de La Châtre, à Ars, fut édifiée l’une des rares constructions Renaissance de la région, malheureusement trop sous-estimée aujourd’hui. Seule la belle façade donnant sur la vallée de l’Igneraie a été préservée dans l’esprit initial. Construit par Pierre de Chamborant (la date de 1584 est gravée), le château apparaît « décalé », rappelant Azay-le-Rideau ou Villegongis, mais bâti un demi-siècle plus tard ! L’ensemble est néanmoins parfaitement réussi avec un souci du rythme et de l’équilibre géométrique remarquable. La toiture, à la française, est ornementée de superbes lucarnes d’esprit flamboyant mais à décoration nouvelle. Le corps central, avec son escalier rampe sur rampe, ses pilastres et les deux échauguettes qui l’encadrent, donne une grande force au cœur de la façade. Une partie de la charpente est réalisée à la Philibert Delorme, selon une technique novatrice.
Ouvrant sur un beau paysage qualifié de « Vallée noire » par George Sand, cette façade du château d’Ars est la seule préservée et restaurée de l’édifice Renaissance. Elle s’ordonne de part et d’autre d’un escalier central rampe sur rampe, encadré à l’extérieur par deux tourelles un peu archaïques pour l’époque.
La description de ces prestigieuses demeures n’épuise pas la part de la Renaissance dans le bâti bas-berrichon. Nombre de châteaux ont en effet participé au renouvellement architectural de cette période, à des titres divers. Ainsi l’édifice quadrangulaire de Veuil, de facture incontestablement ligérienne, qui a été entrepris avant 1520 par les Hurault et dont ne subsistent que les ruines de l’aile occidentale avec une galerie à l’italienne. Des galeries ou promenoirs dans l’esprit du temps se rencontrent aussi à La Motte- Feuilly ou au Coudray-Herpin, à Luçay-le-Libre. La façade du logis de Luçay-le-Mâle (vers 1530- 1540) est un bon exemple de l’influence du style nouveau de l’Ile-de-France, avec ses pilastres encadrant rigoureusement la bâtisse, preuve que les modèles innovants étaient connus en Bas- Berry. Azay-le-Ferron, avec la tour et le pavillon « François Ier » (fin XVe – vers 1560), montre des ajustements architecturaux sensibles aux diverses modes de la période.
© VMF/MAP