À partir du Second Empire, le Pays basque connaît une vague de constructions se rattachant à l’éclectisme. Cet épisode est le fait d’une clientèle internationale, de familles bien enracinées ou de Basques venus retrouver, fortune faite, leur terre d’origine. Il traduit tout autant un souci de « modernité » et de représentation, propre aux élites de l’époque, que l’inexistence d’un corpus de références régionalistes qui fera, plus tard, le succès du néo-basque.
Dès la fin du Premier Empire, les Anglais investissent Pau en y construisant de nombreuses villas. Quelques décennies plus tard, ils découvrent Biarritz, qu’ils considèrent comme un second Brighton et où ils se livrent à une occupation plus pacifique que lors des guerres napoléoniennes et des batailles de 1814 qui opposèrent le maréchal Soult et le duc de Wellington. La reine Victoria y séjourne en 1889. Grand habitué des lieux, son fils, Édouard VII, y gagnera le qualificatif de « roi de Grande-Bretagne et de Biarritz ». Les premières grandes villas d’architectes, comme Caradoc (Bayonne) et Françon (Biarritz) sont dues à la colonie britannique. À Biarritz, l’église anglicane (1878), l’église orthodoxe russe (1890-1892) et la synagogue (1903-1905) témoignent de ce cosmopolitisme, tout comme les belles villas aux toponymes parfois exotiques construites durant la première moitié du XXe siècle à Biarritz, mais aussi à Guéthary ou à Saint-Jean-de-Luz, par de riches Sud-Américains.
Davantage que le style Old English – émergence d’un style régionaliste anglais influencé par le mouvement Arts and Crafts, que l’on voit mis en œuvre au domaine de Françon –, c’est l’éclectisme qui s’impose. Cherchant à combiner une expression de la modernité par la maîtrise des progrès de la construction (emploi du béton armé et de structure métallique), des innovations technologiques (chauffage central, sanitaires…) et la connaissance de l’histoire et des enjeux sociaux de l’époque, il n’a pas produit de modèle, du fait de ses emprunts multiples et de sa volonté pragmatique de s’adapter aux temps nouveaux. Comme dans d’autres régions littorales, la Côte basque devient un laboratoire d’expérimentation. On y retrouve un jeu très libre d’utilisation de matériaux réglé par des compositions puissantes qui expriment la volonté de représentation des maîtres d’ouvrage et le savoir-faire des architectes.
« Indiens » et « Américains »
Parallèlement à cette arrivée de personnalités étrangères, le Pays basque bénéficie de la grande aventure de l’émigration aux Amériques et du retour au pays de certains de ses enfants. Plusieurs familles d’« Indianoak » ou d’« Amerikanoak » entendent affirmer leur fortune par des constructions imposantes. Baptisé d’après le nom d’un port houiller du Chili, Lota, à Ustaritz, dans l’arrière-pays, est un des exemples les plus marquants de cette architecture d’« Amerikanoak ». Située en plein cœur du bourg, la maison, datant de 1873, symbolise la réussite de son commanditaire, Jean-Baptiste Duhart, qui finança également la nouvelle église paroissiale voisine. Élevée sur trois niveaux, la demeure, construite en pierre ouvragée et couverte d’ardoise, affirme une inspiration néo-Renaissance résolument éloignée de l’architecture labourdine caractéristique du village. La façade principale présente une travée centrale traitée en « loggias » ouvertes et surmontées d’un imposant fronton portant en cartouche la date de construction et les initiales de la famille. La transformation du parc a quelque peu dégradé la mise en scène de l’ensemble, autrefois isolé par un mur d’enceinte dont ne subsiste que la majestueuse grille d’entrée.
Façade principale du château Lota, à Ustaritz. Cette ancienne demeure « d’Amerikanoak » (Américain) abrite aujourd’hui l’Institut culturel basque.
Sur les hauteurs d’Ustaritz, le château Haltya, construit par Sauveur Halty, gendre d’un « Mexicain », tranche tout autant avec son corps de logis flanqué de tourelles en encorbellement et ses lucarnes de pierre se rattachant au registre, alors très en vogue, des châteaux de la Loire. Dans la même veine, le domaine du Pouy, à Arbonne, se voit adjoindre à la fin du XIXe siècle, par un membre de la famille Borotra de retour du Mexique, une tour surdimensionnée qui domine tout le pays. Plus tard, le champion de tennis Jean Borotra agrandira de nouveau la maison en y ajoutant un décor néo-basque dû aux architectes Louis et Benjamin Gomez.
Le goût d’une époque
Pas plus que les Basques revenus au pays, les vieilles familles restées attachées à leur terroir ne s’inspirent de la tradition locale. À Arcangues, le château, édifié au XVIIe siècle pour remplacer un édifice détruit par les Espagnols en 1636, menace ruine. Il est démoli pour être reconstruit au goût du jour en 1900, à l’initiative de Miguel d’Arcangues, dont la famille est présente sur le domaine depuis le XVe siècle au moins. Le plan d’origine est semble-t-il conservé mais traité dans le style des villas de Biarritz. Les façades sont agrémentées de grandes baies vitrées. Les grands avant-toits aux chevrons chantournés sont recoupés par de grandes lucarnes surmontées de frontons cintrés. L’alliance de la pierre et d’un important travail de charpente est caractéristique de cette architecture balnéaire, tout comme l’organisation intérieure. L’entrée débouche dans un immense hall à l’anglaise qui s’élève sur deux niveaux avec une galerie périphérique traitée en bibliothèque. L’escalier d’honneur participe à la mise en scène de cet espace dévolu aux réceptions les plus prestigieuses. En périphérie, les pièces sont traitées dans des goûts différents : salon espagnol, salons XVIIIe, salle à manger, chambre Empire. Cette disposition se retrouve dans plusieurs villas de Biarritz, où le hall de distribution devient une véritable salle de fêtes, comme à la villa Natacha, oeuvre de l’architecte Sauvage.
Né à Dublin d’une mère irlandaise et d’un père originaire de Soule qui s’était exilé pendant la Révolution, Antoine d’Abbadie d’Arrast, astronome, linguiste, grand voyageur et explorateur (particulièrement en Éthiopie), choisit de s’installer au Pays basque, dont la culture le passionne. Auteur d’études grammaticales sur la langue basque avec Augustin Chaho (1835), organisateur des premières fêtes euskariennes à Urrugne, promoteur inlassable du jeu à main nue et à chistera, il n’en choisit pas moins, lorsqu’il décide de faire bâtir le château d’Abbadia, de se conformer aux usages de son milieu en passant commande d’un édifice résolument « exotique » pour la région. L’architecte Clément Parent en conçoit le plan et participe à la réalisation des fondations entre 1857 et 1860. Le projet, repris par Auguste Magne, revient finalement en 1864 à Viollet-le-Duc qui en confie le suivi à son élève Edmond Duthoit.
Implanté dans un site magique qui domine la baie d’Hendaye, le château présente une architecture extérieure austère qui contraste avec la magnificence de son décor intérieur. Le plan, très rationaliste, est organisé autour de la cage d’escalier qui dessert trois ailes aux usages spécifiques (travail avec l’observatoire et la bibliothèque, prière avec la chapelle, espaces d’habitation et de réception). La sévérité des façades est adoucie par un bestiaire sculpté de chiens, alligators, singes, escargots ou serpents qui apporte autant d’anecdotes souriantes. L’exubérant décor intérieur, restauré dans les années 2000, rappelle les voyages d’Antoine d’Abbadie, avec de nombreux éléments de bois sculpté et des peintures murales. À ce titre, par ses multiples références à la biographie, aux goûts et aux objets d’étude de son commanditaire, Abbadia contraste avec nombre de réalisations de prestige dominées par le seul souci de paraître.
Longtemps mésestimée, cette architecture du XIXe siècle, est indissociable du patrimoine basque. L’adaptation de la modernité à des références « classiques » a été faite en privilégiant la qualité. Les mouvements architecturaux qui ont suivis sont restés dans la même lignée en conjuguant des programmes et modes de vie contemporains avec d’autres références stylistiques.
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