Dans la Petite Écurie, face au château de Versailles, les moulages rescapés des destructions de mai 1968 attendent en silence le visiteur discret qui saura à nouveau apprécier le charme puissant de ce musée des Antiques. Habituellement fermée au public, la galerie des Sculptures et des Moulages est exceptionnellement ouverte tous les week-end, jusqu’au 31 décembre 2020. Découverte exclusive d’un lieu exceptionnel.
Dans la Petite Écurie, face au château de Versailles, les moulages rescapés des destructions de mai 1968 attendent en silence le visiteur discret qui saura à nouveau apprécier le charme puissant de ce musée des Antiques. Depuis 1970, la galerie des Sculptures et des Moulages accueille la gypsothèque du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre. Découverte exclusive d’un lieu exceptionnel.
Il est à Versailles un lieu hier secret, et aujourd’hui encore méconnu. Trois grandes galeries de la Petite Écurie du roi abritent 5 000 tirages de plâtre d’après l’Antique, des reproductions de la plus parfaite statuaire grecque et romaine, qui ont formé le goût et la main de générations d’artistes. À côté de quelques chefs-d’œuvre sculptés du parc de Versailles – dont l’ensemble du bosquet des Bains d’Apollon – mis à l’abri des intempéries et des touristes, les héros de la gypsothèque du Louvre défilent en rangs serrés sous ces amples voûtes de pierre, devant le rare visiteur ébloui. Les chevaux de la place Saint-Marc, la Victoire de Samothrace, avec et sans ses ailes, les nymphes de Girardon, les métopes du Parthénon, le baldaquin des Cariatides de l’Érechthéion, les colonnes du temple de Castor et Pollux à Rome… les voici tous réunis devant nous, trésors silencieux d’élégance et de grâce.
Et dire qu’ils ont failli disparaître… La plus grande partie de cette collection affectée au musée du Louvre en 2001 provient de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts. Considérés comme des symboles de l’académisme et de la rigueur sculpturale, les plâtres, exposés au cœur de l’école autour de la grande cour vitrée aménagée au XIXe siècle par Duban, furent vandalisés lors des événements de Mai 68. La moitié de ces plâtres furent détruits. Les rescapés, dont certains ont conservé les graffitis qui les ont outragés, furent évacués à Versailles entre le 17 août et le 5 novembre 1970 où ils seront rejoints par les collections de plâtres de l’Institut d’art et d’archéologie de la Sorbonne et par celles du Louvre.
L’écrin grandiose d’Hardouin-Mansart
À l’époque, les équipes de la Direction des musées de France projetaient d’ouvrir un musée des monuments antiques qui aurait complété celui du Trocadéro présentant les monuments français. La Petite Écurie de Versailles, classée en 1929 et restée dans le giron de l’armée jusqu’en 1967, venait d’être restaurée. Elle offrait des espaces assez volumineux pour abriter les pièces les plus imposantes, comme les fragments des temples grecs ou romains.
Enserrée entre les avenues de Sceaux et de Paris, devant la place d’Armes et face au château, la Petite Écurie, comme la Grande Écurie construite en symétrie, a les dimensions et la majesté d’un palais. Comment témoigner de manière plus éloquente encore de la place que la monarchie accorde au cheval dans la représentation du pouvoir ?
L’écrin était parfaitement choisi. Construite par Jules Hardouin-Mansart entre 1679 et 1682, avec deux ailes qui ferment une façade en demi-lune sur une vaste cour, la Petite Écurie ressemble à s’y méprendre à sa jumelle, la Grande Écurie. La deuxième dépendait du grand écuyer, d’où son nom, et abritait l’école des pages du roi. La Petite était commandée par le premier écuyer. On y logeait les chevaux servant à l’ordinaire ainsi que diverses voitures. Des stalles occupaient les galeries où se déploie désormais la gypsothèque. Sur le portail de l’entrée, les chevaux du relief sculpté par Louis le Conte en 1680, appelé Le Cocher du cirque, semblent encore se précipiter sur le visiteur !
Placé à la croisée des galeries, l’ancien manège est coiffé d’une coupole refaite en 1803. Cette dernière abrite des reconstitutions de deux ordres architecturaux, l’un romain, l’autre grec. À gauche, tirage intégral de deux colonnes et leur entablement du temple de Castor et Pollux à Rome. À droite, tirage et reconstitution de l’angle sud-est du Parthénon.
Le projet de musée n’aboutit finalement jamais : entre 1970 et 1978, près d’une centaine de tirages furent remontés, puis laissés en l’état pendant plus de 20 ans. En 1999, une mission de récolement fut confiée au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du Louvre qui reçut la collection deux ans plus tard. La gypsothèque a finalement ouvert au public, sur rendez-vous, en 2014, après de nombreuses restaurations et un patient travail d’identification des moulages. « À force de restaurations, nous avons pu mettre en place une véritable carte d’identité des œuvres, précise Elisabeth Le Breton, conservateur au Louvre. Il est donc très difficile de les dater. Avant de commencer à restaurer la collection, nous pensions, par tradition, que seuls deux tirages dataient du XVIIe siècle, celui d’Hercule Farnèse, dont l’original est au musée de Naples, et le Commode en Hercule du Vatican. Nous en avons en fait identifier treize. Nous croyions par exemple que notre Gaulois mourant, moulé d’après celui du musée du Capitole, à Rome, datait du XVIIIe siècle. Nous avons rapidement pu vérifier que le tirage avait été réalisé à partir d’un moule à pièces en terre et qu’il était donc antérieur au XIXe siècle. Puis la restauratrice, Pascale Roumégaux, a découvert qu’il avait servi de modèle au Gaulois mourant en bronze, exposé dans le jardin anglais du château de Fontainebleau et datant de 1688. Notre tirage remonte donc au XVIIe siècle. »
Un goût cultivé depuis des siècles
Ce goût pour l’Antique avait été installé en France par François Ier, au XVIe siècle. Les statues coulées à partir des creux que le Primatice avait rapportés d’Italie et qui furent exposées à Fontainebleau formèrent la base de la collection royale. Louis XIV, qui voulait orner ses nombreuses maisons, multiplia les achats d’antiques. Lorsque les statues n’étaient pas à vendre, il donnait l’ordre de les copier. Les jeunes artistes envoyés en pension à l’Académie de France à Rome furent ainsi chargés par Colbert de reproduire toutes celles qu’ils trouvaient.
Au Louvre, sur une idée de Charles Le Brun, on venait de créer une Académie royale de peinture et de sculpture, dont les élèves étudièrent les premiers modèles italiens. Les quelques moulages en plâtre anciens de la gypsothèque, comme l’Hercule Farnèse, offert par Louis XIV, ou l’Hercule en Commode, en proviennent. À côté de la salle où les modèles étaient exposés, fut installé à la fin du XVIIe siècle un atelier de moulage, ancêtre de l’actuel atelier de Saint-Denis. La reproduction des Antiques était très contrôlée, les mouleurs étroitement encadrés, et les moules ne quittaient jamais le palais. Les collections grandirent tout au long du XVIIIe siècle. Nicolas Guérin, en 1715, mentionne 31 reproductions de sculptures et quelques morceaux d’architecture, tandis qu’un inventaire de 1793 répertorie près de 100 plâtres, dont celui de la colonne Trajane, devenus propriété de la République. Sous le Consulat et l’Empire, le Louvre se gorgea de statues venant des territoires conquis, qui repartirent après le traité de Vienne. Puis, pendant la Restauration, le comte de Forbin, soucieux d’enseigner aux artistes l’héritage antique, rassembla à nouveau des collections de moulages dans le palais devenu musée. Ingres, nommé directeur de l’Académie de France à Rome en 1838, fit envoyer sept moulages en trois ans !
Le Second Empire et la Troisième République constituent un véritable âge d’or pour le moulage. Déjà en 1849, l’inspecteur général de l’Instruction publique, Félix Ravaisson-Mollien, propose le premier qu’une nouvelle galerie soit ouverte au Louvre, pas seulement pour l’enseignement des artistes, mais pour l’éducation du grand public. Entretemps, un mouleur nommé Desachy a mis au point un nouveau procédé utilisant des bandes déjà plâtrées qui facilite considérablement le travail. Depuis longtemps, les missions archéologiques qui se succèdent à la fois dans l’Empire ottoman et surtout en Grèce multiplient les modèles à mouler. Le Français Louis-François-Sébastien Fauvel avait déjà obtenu en 1788 l’autorisation de mouler les vestiges de l’Acropole à la demande du comte de Choiseul-Gouffier. Raoul Rochette avait reproduit les parties de l’Érechthéion entre 1838 et 1839, Philippe Le Bas, la frise du temple d’Athéna Nikè ou des fragments du monument de Lysicrate quelques années plus tard… Albert Dumont, directeur de l’École française d’Athènes entre 1875 et 1878 fait venir de nouveaux moulages jusqu’à Paris. La Sorbonne, à partir de 1876, s’intéresse, elle aussi, aux plâtres grecs pour montrer à ses étudiants en archéologie des fragments grandeur nature.
Un éphémère « musée des moulages » ouvre dans la salle du Manège entre 1898 et 1927, où le public peut admirer pour la première fois les corés de l’Acropole. Entre 1900 à 1934, enfin, le Louvre va jusqu’à exposer les moulages envoyés par l’École française d’Athènes en haut de l’escalier Daru, à côté de la Victoire de Samothrace. Ce qui fait sourire les conservateurs d’aujourd’hui : aucun d’entre eux ne se risquerait plus à laisser côte à côte originaux et copies. Pourtant, c’est en admirant le moulage de la colonne des Danseuses de Delphes, sur le palier du Louvre, que Debussy trouva les notes d’ouverture de ses Préludes… Et en visitant l’immense galerie de Versailles, comment ne pas se sentir inspiré par ce noble héritage de plâtres qui nous racontent tout un pan de l’histoire de l’art ?
© VMF/MAP
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