Rien ne pousse à l’ombre des grands arbres et pourtant, au pied du château, la ville de Versailles recèle maints trésors, souvent cachés et méconnus. Parmi ceux-ci, trois chefs-d’œuvre qui offrent un magnifique panorama de l’architecture religieuse néoclassique dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : la chapelle de la Providence à la cathédrale Saint-Louis, la chapelle du lycée Hoche et la chapelle de l’ancien hôpital Richaud.
Trois édifices, conçus chacun à une décennie d’écart, sont l’œuvre de grands architectes. À l’architecture novatrice, tel un manifeste du renouveau classique, de Louis-François Trouard, pour la chapelle des catéchismes de l’église Saint-Louis (1764), répond, en 1782, la mâle et sévère rotonde de Charles-François Darnaudin pour l’hôpital royal. Cette dernière annonce déjà l’austérité monumentale de l’Empire, tandis que les grâces subtiles d’un palladianisme aimable parent la chapelle du couvent de la Reine (1772), due à Richard Mique, qui est sans conteste l’œuvre la plus exceptionnelle, la plus cachée aussi.
La chapelle de la Providence, résolument novatrice
Si la construction du Petit Trianon par Ange-Jacques Gabriel dans les années 1760 est célébrée, à juste titre, comme l’acte fondateur du renouveau classique en France, celle de la chapelle des catéchismes de l’église Saint-Louis devrait l’être tout autant. Injustement oubliée, cette œuvre novatrice fut édifiée en 1764 par l’architecte Louis-François Trouard (1729-1794), contre le flanc oriental de l’église – qui deviendra la cathédrale Saint-Louis en 1797. Elle arbore le style sobre, pur et élégant, caractéristique du goût dit « néoclassique » qui émerge au milieu du XVIIIe siècle.
La façade principale de la chapelle est animée par quatre croisées à entablement saillant séparées par un avant-corps central, à fronton triangulaire, qui abrite l’entrée principale de l’édifice. La porte et les croisées sont surmontées de reliefs sculptés par Pierre-Augustin Pajou (1730-1809). L’allégorie de la Religion déployée au fronton du portail est entourée des quatre vertus cardinales (la Justice, la Force, la Prudence et la Tempérance), figures féminines drapées à l’antique, qui rappellent la destination initiale de la chapelle dédiée à l’enseignement de la doctrine et de la morale chrétiennes.
À la sobriété de la façade répond la noble simplicité des élévations intérieures. L’usage particulier de la chapelle a déterminé une division singulière de l’espace. Surmonté d’une coupole tronconique à caissons, le chœur de plan carré est en effet positionné au centre. Délimité par douze colonnes et demi-colonnes d’ordre ionique, cet espace sacré sépare deux nefs, dont l’une était initialement réservée aux catéchumènes garçons et la seconde aux catéchumènes filles. Et à l’origine, un maître-autel à double face occupait le centre du chœur.
Le décor mural se résume à huit médaillons sculptés par Pajou représentant les profils des quatre évangélistes, des apôtres Pierre et Paul ainsi que deux figures de la chrétienté, dont celle d’un pape. Initialement, l’édifice portait le nom de « chapelle des catéchismes ». Puis, à partir de 1826, il est appelé « chapelle de la Providence », du nom de l’association religieuse qui s’y est établie. À cette occasion, et tout au long du XIXe siècle, des réaménagements intérieurs dénaturèrent quelque peu l’oeuvre originelle de Trouard. Les travaux de restauration, menés de 2009 à 2012, ont ainsi permis de redécouvrir dans toute sa pureté l’œuvre architecturale majeure de Trouard, qui a bénéficié d’un nouvel aménagement liturgique très sobre.
Souvenir de Marie Leszczynska au lycée Hoche
Le portrait de l’architecte Richard Mique (1728-1794), peint par Jean-Ernest Heinsius en 1782, est conservé au Musée lorrain de Nancy. Premier architecte du roi Stanislas, Richard Mique fut mandé à Versailles par la reine Marie Leszczynska à la mort de son père. Par la suite, il réalisa de nombreux projets pour Marie-Antoinette. © Musée lorrain de Nancy
La chapelle du lycée Hoche est certainement la découverte la plus inattendue que l’on puisse faire à Versailles. Cet édifice, qui formait le cœur précieux du couvent voué à l’instruction des jeunes filles pauvres, fut voulu par la pieuse reine Marie Leszczynska dès 1766. La construction en fut confiée à l’architecte lorrain Richard Mique (1728-1794), qui créa ici un chef-d’œuvre de grâce et d’équilibre rivalisant avec les plus beaux morceaux du château de Versailles. Achevée bien après la mort de la reine, la chapelle de plan centré, en croix grecque, est inaugurée, comme le couvent, le 4 octobre 1772.
La coupole de la chapelle du lycée Hoche est encadrée de quatre demi-voûtes à caissons en arc-de-cloître. Dans les pendentifs, les peintres Briard puis Lagrenée font figurer les quatre Pères de l’Église ayant écrit sur la Vierge, à qui la chapelle est consacrée : saint Augustin (en haut), saint Jean Chrysostome écrivant (à droite), saint Jérôme accompagné d’un lion (en bas) et saint Grégoire sur le trône des pontifes (à gauche).
L’entrée principale est magnifiée par un péristyle ionique à fronton triangulaire orné d’un bas-relief, sculpté en 1771 par Joseph Deschamps, représentant la Foi, l’Espérance et la Charité. À l’intérieur, quatre colonnes ioniques délimitent l’espace de la nef couronnée d’une coupole peinte, entre 1777 et 1778, par Gabriel Briard et Jean-Jacques Lagrenée. La feue reine y est portraiturée présentant les religieuses à la Vierge, aux côtés d’un concert d’anges, de l’Assomption de la Vierge et des effigies des quatre Pères de l’Église sur les pendentifs. Enfin, le décor intérieur est complété par 21 bas-reliefs illustrant la vie de la Vierge, sculptés par Deschamps et disposés au-dessous de la corniche, sur tout le pourtour du sanctuaire.
Sous le porche de la chapelle du lycée Hoche, qui évoque un temple antique. La porte est surmontée d’un bas-relief de Joseph Deschamps montrant des religieuses présentant de jeunes élèves à la reine, entourée de ses filles devant le couvent. La Visitation est l’un des 21 bas-reliefs du cycle illustrant la vie de la Vierge dans la chapelle du lycée. L’ensemble sculpté par Joseph Deschamps est remarquablement composé. Les personnages, vêtus à l’antique, viennent enrichir l’important programme sculpté de la chapelle de l’ancien couvent des Augustines.
La singularité de cette construction savante réside dans les quatre demi-voûtes en arc-de-cloître à caissons encadrant la coupole. Celles situées à l’est et à l’ouest sont prolongées d’une abside qui abritait initialement un autel. Au nord, face à l’entrée, une troisième abside accueillait le maître-autel du chœur.
La restauration de l’intérieur de la chapelle du lycée Hoche a permis de remettre en valeur les caissons de rosaces et les divers éléments décoratifs inspirés de l’Antiquité et sculptés avec un soin extrême dans la pâle pierre de Saint-Leu. Par leur qualité et leur raffinement, ces ornements témoignent de la fondation royale de l’édifice.
Les restaurations de 2011 ont permis de rétablir les dispositions originelles de la chapelle, qui avait été fortement dénaturée par divers aménagements survenus au cours du XIXe siècle, en particulier les grandes baies grillées entre l’abside et les rotondes des chœurs des religieuses et des pensionnaires, ainsi que les grandes fenêtres vitrées, qui inondent à nouveau l’édifice de lumière naturelle. Justice a ainsi été rendue à l’extraordinaire maîtrise des volumes et de la lumière mise en œuvre par Richard Mique. Ce sanctuaire à la fois intime et grandiose a retrouvé son exceptionnelle harmonie lumineuse magnifiant la finesse du décor sculpté dans la belle pierre blonde de Saint-Leu tout autant que la subtile polychromie des décors peints. Placée au cœur de l’enceinte du lycée, la chapelle qui sert occasionnellement au culte fait aussi l’objet de visites organisées par l’office du tourisme.
La pépite cachée de l’hôpital Richaud
Dernier chef-d’œuvre de l’architecture religieuse néoclassique à Versailles : la chapelle de l’ancien hôpital Richaud, dessinée en 1782 par l’architecte versaillais Charles-François Darnaudin (1741-1793) au centre du nouvel hôpital royal dont il venait d’obtenir la construction.
Pour ce lieu cultuel, Darnaudin adopta le plan centré circulaire, augmenté de quatre exèdres. À l’extérieur, du côté du boulevard, la façade unie de la chapelle est précédée d’un péristyle à quatre colonnes doriques soutenant un entablement couronné d’un fronton triangulaire, dont le tympan fut sculpté par Nicolas Rousseau des armes royales de France flanquées de deux putti. L’élévation intérieure de la chapelle est directement inspirée de l’architecture de la Renaissance italienne, en particulier du Tempietto de Bramante : douze colonnes doriques délimitent l’espace sacré et soutiennent une galerie couronnée d’une majestueuse coupole à caissons qui n’est pas sans évoquer, toutes proportions gardées, celle du Panthéon de Rome.
Le centre de la chapelle de l’hôpital, actuel Espace Richaud, est délimité par une imposante colonnade dorique. Un oculus zénithal vient illuminer le pavement bicolore qui enrichit de ses motifs le décor d’une extrême simplicité. Aujourd’hui, expositions et concerts viennent animer ce lieu. Une galerie circulaire, accessible aux patients, surplombe l’espace sacré de la chapelle de l’ancien hôpital Richaud. Charles-François Darnaudin, inspecteur des Bâtiments sous Louis XVI, s’est inspiré ici de la Renaissance italienne pour concevoir l’hôpital royal destiné aux plus démunis de la ville et aux domestiques de la Maison du Roi.
Les troubles révolutionnaires mirent un coup d’arrêt au chantier de l’hôpital royal et à l’achèvement de la chapelle. Les travaux ne reprirent qu’en 1808. Suivant les dessins de Darnaudin, l’architecte Jean-Baptise Guignet éleva la façade sur cour, composée de trois arcades surmontées de croisées à balustrade et d’un fronton triangulaire. Ce dernier fut orné par Valois, en 1811, de deux figures féminines personnifiant la Charité et la Religion, de part et d’autre de l’horloge de l’hôpital. La chapelle ne fut officiellement consacrée que le 1er juin 1820. La couverture, initialement en plomb, fut remplacée en 1829 par des tables de cuivre plus résistantes, toujours en place. D’ultimes travaux eurent lieu au XIXe siècle, portant essentiellement sur l’aménagement intérieur de la chapelle qui reçut son beau pavement de marbre blanc et noir et un autel en marbre blanc.
Après plusieurs années d’abandon et de vandalisme à la suite du départ de l’hôpital en 1998, la grande campagne de restauration de 2014-2015 a non seulement permis de sauver in extremis de la ruine l’hôpital Richaud et sa chapelle, mais également de redécouvrir un magnifique et rare exemple d’architecture hospitalière néoclassique. La chapelle de Darnaudin nous apparaît à nouveau dans sa grande solennité comme l’un des plus beaux monuments de Versailles. À la faveur de sa reconversion sous l’égide de la ville en lieu d’expositions et de rencontres, la chapelle constitue aujourd’hui un merveilleux havre de paix ouvert au public.
© VMF/MAP
Vous aimerez aussi...
SEINE-MARITIME
Les demeures de magistrats à Rouen
Calvados