Le palais de la Porte Dorée se dresse aux abords du périphérique, dans le XIIe arrondissement de Paris. Construit en 1931, ce bâtiment est typique d’un « retour à l’ordre » esquissé dès les années trente, en réponse aux excès de l’avant-garde. Artistes et architectes cherchaient alors à renouer avec un art susceptible d’incarner le « génie » des nations, dont l’ordre et la hiérarchie avaient été bouleversés par la Grande Guerre et le modernisme international.
Le palais de la Porte Dorée est construit dans le bois de Vincennes, à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931. On parle alors du palais des Colonies. Dirigée par le maréchal Lyautey, l’exposition montre la France à l’apogée de sa puissance et propose aux visiteurs « le tour du monde en un jour ». Dessiné par Albert Laprade, le palais des Colonies cherche à représenter l’histoire de la conquête coloniale et son incidence sur les arts. À la fin de l’exposition, il devient le musée des Colonies et de la France extérieure.
En 1935, Ary Leblond succède à Gaston Palewsky en tant que directeur du palais et donne au lieu le nom de musée de la France d’Outre-Mer. Les expositions qui s’y déroulent se veulent pédagogiques et propagandistes : elles montrent les bienfaits de l’agriculture, de l’industrie, de la médecine et de l’enseignement dans les colonies. En 1960, le palais devient le musée des Arts africains puis, en 1990, le musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, un lieu où se rassemblent des témoignages de l’histoire coloniale et les arts non-occidentaux.
Ce musée ferme en 2003 avec l’ouverture du musée du Quai Branly, et seul son aquarium au rez-de-chaussée reste ouvert. Le musée de l’Histoire de l’Immigration est inauguré en 2014, afin de faire reconnaître l’apport de l’immigration en France dans les deux derniers siècles. Ce projet suscite cependant de nombreux débats, forçant les conservateurs du musée à contextualiser à l’extrême tous les éléments architecturaux et décoratifs du lieu.
En 1931, le bâtiment est construit pour durer. C’est un condensé de l’Empire, d’un point de vue historique et artistique, et un atelier réunissant les talents de toutes les disciplines des beaux-arts et de l’architecture. Aucun style architectural ne domine sur les autres. Il s’agit d’une synthèse du style Art déco contemporain, de l’architecture classique française et d’éléments librement inspirés de l’art des colonies. Le plan du lieu ressemble à celui des palais marocains, qu’Albert Laprade avait pu observer en détails ; la façade rappelle l’architecture classique et renvoie à certains monuments français, tels que le Louvre ; le décor peint est plutôt académique et fait la part belle à un « exotisme » conventionnel. Le mobilier lui-même est un bréviaire de l’Art déco et un éloge du « beau métier » : géométrisation des motifs floraux, références exotiques et utilisation de matériaux précieux. Cinq sortes de pierres sont utilisées, venant de régions diverses : moellons provenant des fortifications, pierre de Villebois, pierre de Ravières, granit breton de Huelgoat et Forez, auxquels s’ajoute le béton bouchardé.
À l’entrée, une grille en fer forgé, signée Jean Prouvé, est décorée de triangles dorés évoquant des pointes de flèches. Elle est flanquée de deux colonnes de pierre surmontées de lionnes en granit, sculptées par Henri Navarre. De chaque côté de l’allée centrale, deux longs bassins avec des jets d’eau rappellent les palais arabes.
La façade mesure 88 mètres de long. Inspiré par la colonnade du Louvre, Laprade a fait construire 27 colonnes d’inspiration ionique, placées devant une « tapisserie de pierre » de 1 130 mètres carrés. Cette frise, haute de 13 mètres, est commandée à Alfred-Auguste Janniot et illustre les apports économiques des colonies à la métropole française. Y sont présentées des figures imposantes et musculeuses, aux visages ethniques reconnaissables, et une nature luxuriante et sauvage. Les plans sont très simples et le rythme très harmonieux : les scènes sont distribuées verticalement et les personnages sont tous à la même échelle.
Au, centre de la façade la France, représentée sous les traits de l’Abondance, est entourée de la Paix, la Prospérité, ainsi que de tous les ports et aéroports de France existant dans les années 1930. © Françoise Durand Détails de la façade ouest du bâtiment, représentant les colonies d’Amérique. © Françoise Durand
La frise s’articule autour d’un axe central, au-dessus de la porte principale, où la France, représentée sous les traits d’Athéna, porte les symboles de l’Abondance. Elle est entourée de la Paix et de la Prospérité, ainsi que des grands ports français et de l’aéroport du Bourget, récemment construit. De chaque côté de la porte, les colonies sont représentées selon une logique géométrique relative à la distance qui les sépare de la métropole. À droite, se trouvent les colonies d’Asie et à gauche, celles d’Afrique. Les colonies d’Océanie et d’Amérique sont respectivement évoquées sur les façades est et ouest du bâtiment. Les personnages sont de profil, faisant référence à l’art égyptien, exceptée la France, qui est représentée de face.
Afin de s’assurer de l’intemporalité de son œuvre, Janniot a fait figurer côte à côte des allégories, des figures mythologiques et des sujets du monde réel. Il n’y a donc aucune dimension historique, sauf peut-être dans la liste des participants à la conquête coloniale gravée sur le mur ouest du palais.
La grande porte d’entrée ouvre sur un hall qui donne le ton de la décoration intérieure. Au sol, des motifs dessinés par les céramistes Gentil et Bourdet sont inspirés des tapis berbères. Une claire-voie, réalisée par Barthélémy Toguo, rappelle les moucharabiehs.
Accessible par deux monumentales portes en bois exotique, le forum, lieu où se tenaient les réceptions officielles et les spectacles, célèbre la politique coloniale. Cette pièce carrée, entourée d’une galerie, est éclairée de façon bien particulière : Laprade a construit un plafond à gradins, rendant ainsi la source de lumière (naturelle le jour et artificielle la nuit) invisible.
Cependant, c’est la richesse du décor peint par Ducos de la Haille qui fascine. Les fresques font écho à la frise de la façade, en montrant elles aussi le rayonnement de la France dans le monde. Face à l’entrée, la France, drapée de rouge, offre des colombes de la paix aux cinq continents. À ses pieds, l’Amour et la Treille donnent, quant à eux, les vins de France. Aux extrémités de la composition sont peintes huit figures allégoriques féminines, drapées à l’antique. Elles symbolisent, à droite, l’art, la paix, le travail et le commerce et, à gauche, l’industrie, la liberté, la justice et la science.
Les dix-sept autres compositions de la salle représentent des scènes de la vie quotidienne symbolisant l’opposition entre les modes de vie traditionnels des colonisés et la modernité des colonisateurs. Les premiers semblent cependant vivre dans une sorte d’âge d’or intemporel, caractérisé par des tons chauds et une nature omniprésente. Bien que les peintures soient exécutées selon la technique traditionnelle de la fresque, elles n’ont rien de classique pour autant. Leur texture rugueuse leur confère un aspect clair et mat, un peu adouci avec le temps.
De chaque côté du forum se trouvent deux halls de 30 mètres de long, coupés à mi-hauteur par des balcons. Ils permettent d’accéder à deux salons classés.
Le premier, destiné à Paul Reynaud, ministre des Colonies au moment de l’Exposition coloniale, présente un décor réalisé par Jacques-Émile Ruhlmann. Sur les murs, des fresques de Louis Bouquet montrent les apports intellectuels et artistiques des colonies françaises d’Afrique à la France, sur cinq sections de murs. À droite de la porte, la plus grande fresque, consacrée à l’Afrique noire, montre l’union artistique d’une muse et d’Apollon jouant de la lyre dans une nature luxuriante. Sur la seconde, on observe une allégorie de l’Islam. Les trois panneaux suivants montrent des scènes de la vie quotidienne, intellectuelle et artistique au Maghreb, sur fond de mosquées, palais et paysages.
Le second salon, parfaitement symétrique au premier, est destiné au maréchal Lyautey, commissaire de l’Exposition coloniale de 1931. Son décor, peint par Ivanna et André-Hubert Lemaître, présente quant à lui « les apports intellectuels et spirituels de l’Asie ». Le panneau le plus imposant, situé à gauche de l’entrée, présente les trois grandes figures de Krishna, Bouddha et Confucius, symboles des trois grandes religions d’Asie de l’Est. Sur un second panneau sont montrés les apports économiques de l’Asie à la France. Les autres pans de murs décrivent la danse, la musique et la sculpture. Les quatre éléments sont omniprésents dans toutes les compositions.
Enfin, l’aquarium du palais de la Porte Dorée a, lui aussi, joué un rôle important dans l’histoire du lieu. Ouvert depuis 1931, il présentait à l’origine des espèces de poissons exotiques, rapportés par les ministres et diplomates. Seule constante du palais, il est encore en activité aujourd’hui. Malheureusement, son décor originel a disparu avec le temps.
En devenant, en 2004, le centre national de l’Histoire de l’Immigration(CNHI), puis, en 2014, le musée national de l’Histoire de l’Immigration (MNHI), le palais de la Porte Dorée a connu un changement radical. D’œuvre architecturale glorifiant la colonisation, il est devenu un musée témoin de l’immigration. Celui-ci se divise en neuf séquences, décrivant, de façon chronologique, le processus d’immigration. Par chance, son décor d’origine a été conservé. Il est cependant accompagné d’innombrables textes servant de justification et de mise en contexte. C’est à croire que, par peur de paraître politiquement incorrects, les responsables du musée ont ôté au décor toute sa valeur artistique pour en faire un document historique.