Depuis 15 ans, le conseil départemental de l’Orne fait du patrimoine religieux l’une de ses priorités : restauration d’églises, de chapelles mais également de tableaux et d’objets liturgiques. L’exposition « C’est le chantier ! », qui se tient à la bibliothèque des archives de l’Orne, revient en image sur cinq années de sauvetage intensif.
Le patrimoine religieux de nos campagnes souffre, depuis quelques années, d’un véritable abandon. L’exode rural que la France a connu lors du siècle dernier et la désertion progressive des petites villes ont engendré une certaine négligence vis-à-vis de nos églises. Les édifices religieux incarnent pourtant l’essentiel du patrimoine de nos campagnes, les bourgs ne disposant pas toujours de bâtiments communaux. « D’où l’importance de les protéger, souligne Xavier d’Alençon, architecte spécialisé dans la restauration du patrimoine ancien. Les petites communes sont très attachées à leurs églises, qui représentent souvent le seul centre d’intérêt commun du conseil municipal et des habitants. »
La vivacité et l’enthousiasme des riverains sont des ingrédients essentiels à la sauvegarde de ces édifices religieux. En effet, de nombreuses églises sont restaurées grâce à des initiatives locales : l’engouement pour un édifice ou la création d’une association dédiée à un bâtiment permet une plus grande visibilité, mais donne également plus de légitimité au projet. C’est le cas de la commune de Méguillaume, qui a vu se créer l’Association des amis de l’église Saint-Sébastien pour soutenir les restaurations et promouvoir l’église locale. Une initiative qui a du poids, comme le confirme Jean-Marie Dumont, délégué de l’association VMF et amoureux du patrimoine rural : « Une forte mobilisation permet d’aller vers les pouvoirs publics pour demander des subventions plus importantes. Il faut aussi que la mairie coopère. Dans les villages, les communes sont souvent propriétaires des églises, donc il faut que la municipalité soit sensibilisée. »
Pour Servanne Desmoulins Hémery, en charge de la mission patrimoine et musées du conseil départemental de l’Orne, il n’y a pas de petit patrimoine. Conservatrice des antiquités et objets d’art, elle est également commissaire de l’exposition « C’est le chantier ! » : une rétrospective pensée comme un bilan des 129 chantiers accompagnés, techniquement comme financièrement, par le Conseil départemental.
Sur 129 monuments restaurés, 38 sont présentés dans l’exposition après avoir fait l’objet d’un reportage photographique par David Commenchal. Pour la commissaire, la sélection a été difficile : « Notre département a des terroirs très marqués, avec des matériaux différents, et je voulais faire quelque chose de représentatif, de pluriel. Mais il y avait des restaurations emblématiques à côté desquelles l’on ne pouvait pas passer. » C’est le cas de l’église de Sainte-Céronne, théâtre d’un important chantier. Classée au titre des Monuments historiques en 1975, elle était menacée par de graves désordres structurels : la toiture, la charpente et les maçonneries ont dû être restaurées en urgence. Les beffrois des églises posent en effet souvent problème. Dans les années 1960, les clochers ont été électrifiés en masse, ce qui engendre des modifications au niveau de la couverture. « Les moteurs entraînent des vibrations qui engendrent des dommages sur la toiture, la charpente et parfois la maçonnerie, explique Xavier d’Alençon. C’est quelque chose qu’il faut vérifier systématiquement car cela peut faire bouger les ardoises d’un clocher, même lorsque l’édifice a été restauré récemment. »
Pour cet architecte, la restauration d’un édifice religieux doit donc d’abord passer par un diagnostic complet – ce qui n’est pas systématiquement le cas. Les maires ont tendance à vouloir régler les problèmes immédiats, agissant parfois en urgence lorsqu’un édifice est particulièrement détérioré. « On s’aperçoit souvent qu’avant de rénover la couverture d’une église, il aurait fallu réparer des pièces de charpente abîmées par les fuites d’eau, pourries, sectionnées… Une église est un ensemble : un diagnostic complet permet de tout regarder centimètre par centimètre, au même titre qu’un scanner pour un humain. »
Tailleurs de pierres, couvreurs, maçons et charpentiers ont travaillé à la restauration de l’église Saint-Jean-Baptiste, située à L’Aigle. © David Commenchal Tailleurs de pierres, couvreurs, maçons et charpentiers ont travaillé à la restauration de l’église Saint-Jean-Baptiste, située à L’Aigle. © David Commenchal
Le manque de moyens et d’intérêt provoquent le délaissement de ces édifices particulièrement fragiles. Les restaurations coûtent cher, les visites sont rares et les églises sont souvent fermées pendant de longues périodes, ce qui les fragilise également : le manque d’aération, de chauffage, l’humidité provoquent des moisissures et favorisent la prolifération de champignons sur les murs, les bois et le mobilier, accélérant la détérioration du monument. Autre problème majeur et souvent rencontré par les architectes : la gestion de l’eau. Fuites en toiture et remontées capillaires sont des problèmes courants dans ce genre d’édifice, entraînant des modifications sur la structure même des églises. Un travail conséquent pour Xavier d’Alençon : « Il faut refaire tout le trajet de l’eau, on vérifie l’état des toitures, des gouttières, on regarde comment les eaux sont recueillies… »
L’église Saint-Jean-Baptiste, située dans la commune de L’Aigle et présentée dans l’exposition « C’est le chantier ! », a particulièrement souffert de ces infiltrations d’eau. D’abord chapelle de dévotion, puis agrandie à la façon d’une église paroissiale, elle est inscrite à l’inventaire supplémentaires des monuments historiques depuis 1985. En 2017, de premiers travaux ont permis la réfection de la charpente et des maçonneries du pignon est. La nef, les bas-côtés et le mobilier liturgique ont a leur tour été restaurés en 2019.
Enfin, il arrive que le statut de protection d’une église joue sur la qualité de sa restauration. Si le classement au titre des Monuments historiques ou l’inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques donnent à certains édifices une visibilité plus importante, le conseil départemental de l’Orne met un point d’honneur à restaurer également des édifices non protégés. C’est le cas de l’église Saint-Germain-d’Auxerre, à Aubry-le-Panthou, un monument non classé dont les poussées de charpente avaient désorganisées la structure maçonnée. Bien que leur statut et le coût des travaux diffèrent, le même taux de subvention est appliqué pour toutes les églises du département. Un coup de pouce bienvenu pour ce patrimoine particulièrement vulnérable.
Les tableaux du choeur de l’église Saint-Pierre, à la Chapelle-Viel, ont bénéficié d’une restauration et les retables ont été consolidés. © David Commenchal Le décor intérieur de l’église Notre-Dame de l’Assomption, dans la commune de Le Mêle-sur-Sarthe, a fait l’objet d’une importante campagne de travaux en 2017. © David Commenchal
À l’initiative du Conseil départemental et des communes, plusieurs opérations de sauvegarde se déroulent encore actuellement dans le département, notamment à Putanges-le-Lac et à Gouffern-en-Auge, où des diagnostics sont commandés régulièrement. Là encore, la priorité n’est pas donnée au statut de protection mais à l’état du bâti et à l’urgence d’intervenir. Une « démarche raisonnée inédite » conclut Sevranne Desmoulins-Hemery.
Initialement programmée du 15 octobre 2020 au 3 janvier 2021, l’exposition « C’est le chantier ! » est actuellement visible par les lecteurs de la bibliothèque des archives de l’Orne. Elle sera également présentée au musée départemental d’art religieux de Sées du 1er juillet au 30 septembre 2021.