Au 1er janvier 2021, l’État avait déjà engagé 2,10 milliards d’euros sur les cinq prévus par le plan national « Action cœur de ville ». À l’heure où la pandémie a renforcé l’attraction de la Province, peut-on déjà dresser un premier bilan de ce programme ? A-t-il permis de limiter les vacances commerciales ? De valoriser le patrimoine bâti et naturel, d’entreprendre des restaurations de quartiers anciens délaissés, ou d’édifices protégés ?
Lorsqu’on demande à Martin Malvy si le plan « Action cœur de ville », lancé en décembre 2017 par le gouvernement d’Édouard Philippe pour cinq ans, est utile pour valoriser le patrimoine des centres urbains, l’ancien ministre, qui fut sept ans à la tête de la région Midi-Pyrénées et préside encore l’association Sites & Cités remarquables de France, répond en un sourire : « C’est le patrimoine qui s’est révélé utile à « Action cœur de ville », pourtant, nous avons dû nous battre pour qu’il ne soit pas le grand oublié du programme ! »
À Figeac, la ville a profité du plan « Action cœur de ville » pour entrainer les villages de l’intercommunalité dans les projets de préservation du patrimoine. © Bernard Galéron Un dispositif intitulé « Cœur de village » a également été mis en place pour repérer les espaces publics à réhabiliter dans les différentes communes du Grand-Figeac. © Bernard Galéron
« Action cœur de ville », rappelons-le, est un plan national de soutien aux villes moyennes. Celles-ci passent une convention avec l’État et ses partenaires (Banque des territoires, Action Logement, Agence nationale de l’habitat…) pour améliorer l’habitat, développer le commerce et l’économie, renforcer les connexions, la mobilité, l’accès aux services, aux équipements publics… et mettre en valeur l’espace public et le patrimoine.
C’est le patrimoine qui s’est révélé utile à « Action cœur de ville », pourtant, nous avons dû nous battre pour qu’il ne soit pas le grand oublié du programme !
Martin Malvy
Or, sur les 222 villes bénéficiant du dispositif, 109 sont en effet dotées d’un Site patrimonial remarquable*, et 32 sont en train d’en construire un. Elles disposent donc de plans de gestion tels que les Plans de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) ou des Plans de valorisation de l’architecture et du patrimoine (PVAP). Ces plans sont élaborés à partir d’études très poussées qui comprennent des analyses architecturales, maison par maison, une connaissance fine de l’histoire de la ville, un inventaire complet du patrimoine artistique, paysager, archéologique, un recensement des décors intérieurs et extérieurs… Quand ils existent, ces documents ont naturellement servi de base pour construire des projets de redynamisation des centres urbains, pour valoriser les espaces publics, relancer le commerce, convertir des bâtiments anciens en logements, rendre tout simplement les villes désirables.
À Autun, la convention « Action cœur de ville » a permis de financer une nouvelle étude, après quoi il a été décidé d’agrandir l’espace protégé par le Site patrimonial remarquable en intégrant le quartier médiéval des Marchaux ainsi que plusieurs sites paysagers figurant à la limite du centre ancien. © Tristan Deschamps
À Figeac, par exemple, où des ateliers avaient déjà été organisés dans le cadre de la mission Dauge, la ville a profité du plan « Action cœur de ville » pour entrainer les villages de l’intercommunalité dans les projets de préservation du patrimoine. Des assistances à maitrise d’ouvrage ont été proposées à plusieurs communes dont Loupiac, qui va restaurer, entre autres, son presbytère, ou Cajarc pour intervenir sur un îlot abandonné. Un dispositif intitulé « Cœur de village » a également été mis en place pour repérer les espaces publics à réhabiliter dans les différentes communes du Grand-Figeac. À Autun, la convention « Action cœur de ville » a permis de financer une nouvelle étude, après quoi il a été décidé d’agrandir l’espace protégé par le Site patrimonial remarquable en intégrant le quartier médiéval des Marchaux ainsi que plusieurs sites paysagers figurant à la limite du centre ancien. La ville d’Angoulême, qui a créé un Site patrimonial remarquable, a placé résolument le patrimoine au centre de son projet de valorisation. Auxerre, Rochefort, Cahors, Auch ont fait de même. Château-Thierry va restaurer le musée Jean de La Fontaine, Sète réhabilitera le théâtre de la Mer, Dieppe a retrouvé son ancienne Halle à Tabac…
Vire, ville martyre de Normandie, a décidé de lancer une réflexion sur la création d’un Site patrimonial remarquable dans son périmètre reconstruit après les bombardements de 1944, et d’y associer les habitants. À Moulins, qui se lance dans la requalification des berges de l’Allier, la municipalité multiplie les réunions publiques et a installé des cartes géantes sur les marchés pour que les habitants proposent des idées de lieux à réaménager et des projets. Quant à Brignoles dans le Var, grâce au plan national, la population commence à découvrir que la ville possède un patrimoine et à s’intéresser à son cadre de vie.
Plusieurs centaines de projets de réhabilitation ou reconstruction de l’habitat ancien, ainsi que la rénovation énergétique de l’habitat privé, ont été lancés en centre-ville. En septembre 2020, on comptait déjà plus de 6 600 logements réhabilités ou reconstruits dans le programme, via les financements d’Action Logement. À Châtellerault par exemple, quinze logements ont été aménagés dans les deux bâtiments de l’ancienne école Paul-Bert. À Carpentras, l’îlot Raspail réhabilité va offrir dix-huit appartements.
Rarement citée parmi les acteurs intervenant dans les conventions, la Fondation du patrimoine joue pourtant un rôle important depuis trois ans pour que le patrimoine soit pris en compte dans les projets de revitalisation. À Fécamp, en Seine-Maritime, par exemple, elle a rendu possible un des principaux projets, la restauration de l’hôpital Henri-Dunant, qui va accueillir à la fois l’Institut de formation des soins infirmiers, l’école des aides-soignantes et des logements pour les étudiants.
Ce que j’ai retenu de très positif, c’est la multiplication des ateliers de terrain, et les nombreuses rencontres organisées entre les différents partenaires des projets sous l’égide de l’État.
Martin Malvy
Pour l’instant, ceci-dit, la phase opérationnelle de la plupart des projets n’a pas encore démarré. « Il est trop tôt pour évaluer ces politiques car ce sont des politiques de longue haleine, précise Martin Malvy. Ce que j’ai retenu de très positif dans le plan « Action cœur de ville », c’est la multiplication des ateliers de terrain, et les nombreuses rencontres organisées entre les différents partenaires des projets sous l’égide de l’État. C’est la bonne méthode. Il faut surtout souhaiter que les politiques de soutien durent au-delà des cinq ans du plan. »
À Fécamp (Seine-Maritime), La Fondation du patrimoine a rendu possible un des principaux projets de la ville, la restauration de l’hôpital Henri-Dunant. © MVT Architectes L’hôpital Henri-Dunant de Fécamp (Seine-Maritime) va accueillir à la fois l’Institut de formation des soins infirmiers, l’école des aides-soignantes et des logements pour les étudiants. © MVT Architectes
Directeur de l’Institut des Territoires, Franck Gintrand considère aussi que ce plan national a permis aux habitants des territoires concernés de s’intéresser davantage à leur patrimoine. « Il a provoqué une prise de conscience. Davantage de Français pensent maintenant que les centres villes sont menacés. » Il regrette en revanche qu’autant de villes aient été élues au dispositif. « 5 milliards divisés par 222 villes c’est trop peu pour inverser la tendance. Il aurait mieux valu concentrer les budgets sur les communes qui en avaient le plus besoin, mais l’État n’a voulu mécontenter personne… Je regrette aussi que le plan ait servi d’effet d’aubaine pour financer des projets qui étaient déjà dans les tuyaux. Mais surtout, l’État aurait dû avoir comme exigence de base que les financements des actions de revitalisation des centres urbains soit assujettis à un gel des autorisations d’implantation des grandes surfaces en périphérie. »
5 milliards divisés par 222 villes c’est trop peu pour inverser la tendance.
Franck Gintrand
Le mot est lâché. Voilà la grande limite du plan « Action cœur de ville ». Tant que la fuite en avant vers un accroissement sans fin des espaces commerciaux autour des villes ne sera pas enrayée, il est illusoire de prétendre en revitaliser réellement les centres, avec ou sans patrimoine. 537 actions de revitalisation du commerce de centre-ville et de développement économique ont déjà été lancées depuis trois ans, mais combien d’implantations d’hypermarchés en périphérie ont-elles étés autorisées dans le même temps ? En mai dernier, malgré le confinement, onze étudiants du Centre universitaire d’enseignement du journalisme (CUEJ) de Strasbourg ont enquêté pendant un mois, avec rigueur et sérieux, sur le sujet. Pour les 80 villes du dispositif dont le taux de vacance commerciale dépassait 10 % en 2016, ils ont épluché « les Autorisations d’exploitation commerciale (AEC) délivrées par les Commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) en 2018 et 2019, et relevé chaque création ou extension de magasin autorisée dans un périmètre de 15 minutes en voiture ».
Le résultat est accablant : 65 des 80 villes concernées ont étendu les surfaces commerciales à leur périphérie. Jacqueline Gourault, l’actuelle ministre de la Cohésion des territoires porteuse du plan « Action cœur de ville », déclarait elle-même avec bon sens en novembre 2019 que « l’on ne peut pas à la fois soutenir financièrement le petit commerce, l’artisanat et en même temps laisser se développer des grandes surfaces en périphérie ». Or l’État laisse les élus empocher la manne du plan national et réclamer haut et fort l’implantation de supermarchés comme à Calais, à Saint-Brieuc, à Cholet, ou à Chartres dont le maire se bat pour l’installation d’un complexe de 130 000 mètres carrés à la sortie de la ville !
Et si c’était la loi Climat, qui sauvait les villes ?
Franck Gintrand
Pourtant, depuis juillet 2019, un décret d’application de la loi Élan autorise les préfets à suspendre les projets d’implantation dans les communes concernées par le plan « Action cœur de Ville ». Un an plus tard, un seul des 96 préfets avait utilisé son droit, celui de l’Allier, pour interdire l’implantation de deux supermarchés autour de Moulins ! Les mentalités commencent cependant à changer : le maire de Caen a déclaré la guerre à Ikea et est déterminé à arrêter le développement anarchique de sa périphérie. Montpellier a refusé le projet « Ode à la mer ». Le projet EuropaCity a été annulé à Gonesse. « Et si c’était la loi Climat, qui sauvait les villes, s’interroge Franck Gintrand, puisqu’une de ses dispositions limite l’implantation à l’extérieur des villes pour lutter contre l’artificialisation des terres ? Depuis qu’elle est à l’étude, les demandes des promoteurs se sont effondrées. Ils attendent. » Autre lueur d’espoir : neuf mois après l’enquête des étudiants du CUEJ de Strasbourg, trois arrêtés préfectoraux ont suspendu les projets d’implantations commerciales à Saint-Dié-des-Vosges, Limoges et Blois, parce qu’ils portaient préjudice à la revitalisation des centres-villes.
* Depuis la loi LCAP du 7 juillet 2016, les Sites patrimoniaux remarquables ont remplacé les Secteurs sauvegardés, les Aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine (AVAP) et les Zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager (ZPPAUP).