Sise sur la commune de Bouc-Bel-Air, tout près d’Aix-en-Provence, la bastide de Montfinal abrite, derrière une architecture d’une grande sobriété, un bel ensemble de décors intérieurs provençaux entretenus avec soin. Fait assez rare en Provence, la bastide a également conservé tout son dispositif agricole : ferme, pigeonnier, aire de battage, magnanerie…
À un kilomètre à l’ouest du « grand chemin d’Aix à Marseille », la bastide de Montfinal se dresse au flanc d’une colline de quelque 80 mètres de dénivelé. Une disposition peu courante pour les bastides de la région, le plus souvent situées en plaine, mais qui s’explique ici par la recherche cruciale de l’eau. À mi-hauteur de la « colle de Revenen », l’eau d’une source est récupérée dans un puits maçonné et acheminée vers un grand réservoir par un conduit souterrain surmonté d’une voûte de pierre sèche assez vaste pour qu’un homme puisse y circuler. Le dispositif est doté de deux regards. Depuis le réservoir, on alimente les caisses à eau du bâtiment principal et la fontaine située devant celui-ci. Un second conduit relie le grand réservoir à un plus petit, situé en contrebas du grand bâtiment et destiné à l’irrigation du jardin.
LE TEMPS DES AIXOIS (1646-1775) : GRANDEUR ET DECADENCE
Apparue en 1759, la dénomination de Montfinal prévaut depuis. Cependant, la première dénomination attestée (17 novembre 1646) est « une bastide à Jollian Marin », qui désigne un quartier de la communauté de Bouc-Albertas (aujourd’hui Bouc-Bel-Air). Au XVIIIe siècle, selon l’usage provençal donnant à la propriété le nom de son propriétaire, le plus souvent en le féminisant, les cadastres mentionnent pour ce même domaine les noms de La Blégière, puis, à partir de 1748, Barrême.
Dans le courant du XVIIe siècle, quelques familles gravitant généralement autour des cours souveraines d’Aix-en-Provence acquièrent une bonne partie des meilleures terres cultivables alentour : les coseigneurs de Bouc, Séguiran et Bourdon, la famille Puget (anciens seigneurs de la communauté), les Cipriani, seigneurs de Cabriès, les familles d’Aymar et d’André, conseillers au Parlement, mais aussi des gens de robe.
Et c’est justement Jean Blégier, un avocat au parlement de Provence, qui fait l’acquisition de la future bastide de Montfinal, prenant donc à l’époque le nom de La Bléguière. Un acte de vente du 17 novembre 1646 décrit le tènement vendu par Jean-Baptiste Roubaud, marchand de bois de Marseille, à l’avocat, pour la somme de 10 000 livres. Il comporte sept pièces différentes de « terres, vignes, preds et jardins », « compruis l’olyvette du derrière de lad[ite] bastide ». Le bâti initial acquis par Jean Blégier est plutôt modeste : deux chambres, une chapelle et un réservoir. Vingt-trois autres acquisitions de terres contigües viendront, de 1647 à 1670, compléter le tènement initial. Jean Blégier donne en grande partie à la bastide son ampleur actuelle.
Dès le mois de décembre 1646 il entreprend d’agrandir la petite construction qu’il vient d’acquérir : deux « travailheurs de Collongue » s’engagent à « fere ung fourt de chaux a la colle de Revenent du coste de la bastide dud[it] Sieur au terroir de Bouc ». Une fois la chaux disponible, Blégier signe, en avril 1647, deux promesses à des maîtres maçons. Valentin Pally doit réaliser pour une somme de 180 livres un pigeonnier « de la mesme fasson grandeur et hauteur quy est celuy de Mr de Bourdon au Castellet » et Pierre Besson, maître maçon de Bouc, doit « fere toutes les murailhes que seront necesaires au cauter de bastimens que ledit sieur blegier a entrepris de la bastide qu’il possede au terroir de ce lieu ».
Deux autres promesses de Pierre Besson à Jean Blégier viennent compléter les précédentes. Elles portent sur la construction, à l’ouest des deux pièces initiales, de ce qui constituera le grand bâtiment (ou logis) : huit travées – 26 mètres de long sur trois niveaux –, faites de calcaire du pays grossièrement équarri (aujourd’hui recouvert d’un enduit de ciment), et un toit à deux pentes en tuiles canal. Il est aussi question de la construction de l’enceinte d’une garenne et de celle d’un four à pain. La construction de deux bâtiments agricoles, d’une remise avec écurie et d’une ferme comportant étable, loge à cochons, paillière, fenil à l’étage et grande cave à vin sur le côté, vient compléter l’ensemble, tandis qu’une aire à battre les grains surplombe ces bâtiments au nord. L’avocat réalise l’essentiel de son projet en moins de deux ans.
Précédent la bastide elle-même, la terrasse est alors moins étendue qu’aujourd’hui. Une fontaine de pierre décorée d’une flamme surmontant une vasque à godrons rafraîchit les abords immédiats de la maison. Un escalier double mène à un petit jardin de propreté situé en contrebas et aujourd’hui planté de buis. Là, une autre fontaine, adossée et traitée en rocaille, surmontée d’une petite vasque, reprend le motif à godrons de celle de la terrasse supérieure. Pas de statuaire dans cet ensemble dont le décor se compose uniquement des fontaines et de pots à feu en pierre. À l’ouest de cet ensemble, on trouve un potager (5 ares) et, à l’est, le verger (15 ares). Deux terres arrosables, closes de murailles, sont alignées sur le jardin de propreté et forment avec lui le jardin classique de La Blégière.
En 1730, l’héritage des Blégier est vendu aux enchères publiques. La bastide est alors en si piètre état que seules les terres font l’objet d’une estimation. Divers propriétaires se succèdent et agrandissent les terres sur lesquelles on pratique une polyculture vivrière de type méditerranéen, à base de céréales (blé, paumelle, méteil), de vigne et d’oliviers et, secondairement, d’élevage (poules et lapins, cochons, moutons et chèvres). La propriété est acquise en 1775 par François-Joseph Raymond, négociant marseillais, dont les descendants en sont propriétaires sans discontinuité jusqu’à ce jour.
DES NÉGOCIANTS MARSEILLAIS À MONTFINAL (1775-1801) : UNE RENAISSANCE
Le nouveau propriétaire est issu d’une ancienne famille de Grasse venue s’installer à Marseille après la peste de 1720. Ils sont fabricants, puis marchands tanneurs qualifiés de négociants, en lien avec le monde de la mer et les échelles du Levant. Dès l’acquisition, François-Joseph Raymond et son fils s’emploient à transformer la bastide pour en faire un lieu propice à la villégiature, où les propriétaires souhaitent résider plusieurs fois par an. On éloigne l’activité agricole du bâtiment principal en transformant l’étage des greniers à foin et à blé en chambres à alcôve desservies par un couloir. Les oculi qui aéraient les greniers sont remplacés par de larges fenêtres rectangulaires. À l’intérieur de la bastide se met en place le grand décor typiquement provençal qui la caractérise encore aujourd’hui et fait tout son charme.
Depuis le vestibule carrelé de marbre noir et blanc, on accède au rez-de-chaussée à deux pièces en enfilade : une salle à manger, décorée de gypseries – élément principal du grand décor provençal du XVIIIe siècle –, et un petit salon dont les murs sont décorés de toiles peintes à la détrempe. Chacun des douze panneaux qui décorent la salle à manger est constitué d’une « chute » retenue par des rubans et présentant les attributs de l’un des thèmes traités : la chasse, la guerre, l’amour, les moissons, le jardin, les arts, la musique et ses instruments, le printemps, l’été, l’automne et la religion.
À la salle à manger, espace de réception, succède l’espace plus intime du petit salon, dévolu à la sociabilité familiale. Sa fraîcheur est la bienvenue lors des chaudes journées d’été, tout comme la chaleur de sa cheminée en hiver. Une très aixoise « radassière », sorte de divan à la turque, occupe toute la largeur de la pièce. Les murs sont garnis de panneaux peints représentant des marines peintes dans le goût de Joseph Vernet ou d’Hubert Robert. Elles ont été exécutées en 1781 par un artiste de l’académie de peinture de Marseille nommé Treméla.
Sur le plan agricole, d’importants travaux de remise en culture des terres longtemps restées en jachère sont réalisés. Les Raymond, par ailleurs, ne cessent d’agrandir le tènement. Un logement de fermier est construit à l’ouest du logis et contre les bâtiments qui abritaient les activités agricoles depuis le milieu du XVIIe siècle.
MONTFINAL AU XIXE SIÈCLE (1801-1914) : UNE POSSESSION PAISIBLE
Au milieu du siècle suivant, le grand bâtiment d’habitation voit sa façade principale rallongée de cinq mètres pour permettre l’installation, au rez-de-chaussée, d’une serre froide au midi et d’une extension de la cave à vin au nord. Des chambres supplémentaires sont installées au-dessus de ces deux espaces. L’ensemble de la façade est doté d’un enduit en ciment uniforme mais le cadran solaire de 1741 est conservé. Un cordon mouluré s’étend au ras inférieur des fenêtres de chacun des deux étages, jouant le rôle de larmier et donnant une unité à la façade.
À l’intérieur de la maison, l’évolution la plus marquante est la modification de la destination de la grande pièce du premier étage, à gauche du palier, côté sud. Cette pièce, qui dispose de deux croisées et d’une cheminée, était encore la chambre à coucher des maîtres de maison à la fin du XVIIIe siècle. Elle devient, au milieu de ce nouveau siècle, un salon de réception où figurent les portraits des propriétaires, Philippe et Hortense de Raymond. La pièce était à l’origine ornée d’un papier peint dit de tontisse. Il a été recouvert ultérieurement d’un autre papier à décor floral, qui contribuait à donner au salon une allure toute balzacienne, avec ses chaises « retour d’Égypte » à dos au motif de chameau et ses fauteuils à accoudoirs décorés de fleurs de lotus. Le petit cabinet attenant contient les livres de la bibliothèque. Aux murs, une série de gravures constitue un véritable manifeste légitimiste : Henry comte de Chambord, plusieurs fois représenté, y côtoie Mademoiselle.
Côté jardin, la terrasse s’agrandit. On empiète sur le potager et le fruitier pour permettre de planter devant la maison un grand nombre d’arbres (aliziers, muriers, marronniers) et créer, au-dessus du réservoir enterré, deux parterres ovales réalisés en pierre froide. L’ensemble est complété par l’adjonction d’une fontaine à chaque extrémité. À l’ouest, adossée au mur du régale, une plaque de marbre a été apposée avec une inscription : « Sigues touti li benvegu dins aquest oustau », soyez les bienvenus dans cette maison. Le réaménagement de la terrasse s’accompagne d’une extension du réseau d’alimentation en eau existant et un nouveau réservoir couvert est aménagé en-dessous du grand dispositif initial. Les canalisations sont en plomb ou en poterie vernissées. Dans ces dernières passe une corde, à l’aide de laquelle on élimine les débris minéraux ou végétaux qui pourraient obstruer les conduites.
Les trois générations de la famille Raymond qui se sont succédé à Montfinal durant cette période développent la culture du mûrier blanc : on passe de 415 individus recensés en 1775 à 699 en 1851. Une imposante magnanerie sur deux niveaux est édifiée à flanc de colline, au nord du logis. D’autres cultures voient aussi le jour, comme celle de la garance et celle des peupliers, élevés le long du Grand Vallat. La pinède continue d’être exploitée pour son bois et, à la fin du XIXe siècle, pour la gemme destinée à la fabrication de la térébenthine.
LE TEMPS DES INCERTITUDES (1914-1963) : UNE DIFFICILE ADAPTATION
La Grande guerre apporte son lot de difficultés économiques et la première moitié du XXe siècle sera difficile pour les héritiers qui, avec les successions, voient les recettes de la propriété ramenées au seul montant d’un revenu agricole pas toujours bénéficiaire. Ce sont les parents des actuels propriétaires qui, à partir de 1963, vont patiemment redresser la situation en mettant en place, pendant trente ans, un nouveau modèle économique permettant de créer des revenus locatifs.
L’état du domaine et son développement sont évidemment très liés, tout au long de son histoire, à la situation économique des propriétaires successifs, dont on a pu mesurer l’endettement parfois excessif : celui de Jean-Baptiste Roubaud en 1646, des héritiers Blégier en 1730, sans doute des Barrême en 1775 ou encore, au milieu de XXe siècle, lorsqu’un revenu agricole incertain est devenu la seule ressource du propriétaire.
Cependant, que de périodes fastes sont observées lorsque se conjuguent capacité économique et projet du propriétaire : Jean Blégier au milieu du XVIIe siècle, qui s’inscrit dans le courant du développement, en Provence, du « système bastidaire » par le milieu des gens de robe aixois, les négociants marseillais Raymond au XVIIIe siècle, à la recherche d’un art de vivre.
La propriété est aujourd’hui le lieu de séjour d’une nombreuse descendance. Les membres de la famille s’attachent à préserver et entretenir avec soin cette bastide aux multiples attraits sauvegardés.
© VMF/MAP
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