Capitale de la Provence et siège de son parlement, Aix a toujours développé une relation étroite et très forte entre son centre et son espace rural. L’occupation, dès le début du XVIIe siècle, du terroir agricole par les grandes propriétés appelées « bastides » a structuré fortement l’espace dans les siècles qui ont suivi. Ce mode de développement, non spécifique d’Aix, est resté particulièrement lisible dans sa périphérie.
On peut dire que c’est à partir de la bastide, domaine agricole et lieu de villégiature pour le noble provençal, que s’est réalisé le rêve du retour à la nature, antithèse de l’existence citadine en même temps que son prolongement. Elle devient dès cette époque la maison des champs idéale et idéalisée du midi méditerranéen. Le phénomène connaît son plein épanouissement durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, moment où se fixe définitivement le modèle de la maison de plaisance rurale.
L’investissement foncier est la marque de la fortune qui rejoint ainsi la nature terrienne profonde du noble provençal. La propriété nourrit famille et domestiques ; les plus riches possèdent plusieurs domaines et déploient leur luxe dans les jardins et dans leur demeure, parfois qualifiée de « château » lorsque le territoire qu’elle contrôle constitue un fief seigneurial. Ainsi se constitue un vaste réseau de propriétés dont le nombre passe d’une vingtaine en 1696 à plus de 200 un siècle plus tard. Leur multiplication dynamise et structure les campagnes grâce à un maillage dense de chemins et de plantations d’alignement.
À cette époque, les grandes migrations saisonnières vident la ville au profit de la campagne, du temps des moissons à celui des vendanges, période de vacance du Parlement. Fuyant les touffeurs et les pollutions, les parlementaires se réfugient dans les domaines situés sur le plateau de Puyricard, dans la vallée de l’Arc et celle des Pinchinats ou aux Granettes.
Pour leur part, les pavillons, discrètes retraites de plaisance aux portes de la ville, servent de résidence de fin de semaine ou pour de courts séjours. Richement ornées à l’image des pavillons Vendôme et de Lenfant, ou plus modestes comme celui de Trimont, ces constructions sont mises en valeur par un jardin de propreté souvent accompagné d’un potager et d’un verger.
Mettre en scène la nature
Pour la plupart très érudits, les propriétaires de bastides possèdent dans leur bibliothèque tous les ouvrages ou traités spécialisés, tels L’Histoire naturelle de la Provence de Darluc, célèbre botaniste aixois, ou La Théorie et la pratique du jardinage de Dezallier d’Argenville, pour ne citer que les plus célèbres. À ces ouvrages, réédités à de nombreuses reprises au XVIIIe siècle, il faut ajouter les manuels édités par les sociétés d’agriculture. Continuant la tradition inaugurée au XVIe siècle par le roi René dans sa bastide de la plaine de l’Arc, les grandes familles expérimentent de nouvelles techniques agricoles et développent une agriculture de pointe, acclimatant plus de 600 espèces de plantes et d’arbres, liés à la production et à l’ornementation et perfectionnent l’art de la mise en scène des jardins.
C’est l’implantation de la demeure qui définit et régit le parti du jardin. Elle s’inspire des critères fixés par Vitruve et les architectes de l’Antiquité, repris au XVIIIe siècle par Jacques Blondel. En position dominante, elle est construite sur une légère éminence pour bénéficier d’une vue dégagée, d’un air pur et d’un espace sain. Elle doit être vue dans le paysage et mise en valeur par diverses composantes : exposée au midi, et largement percée d’ouvertures au sud et au nord, la maison s’ouvre sur le jardin en terrasses et sur le domaine que l’on embrasse depuis le balcon du premier étage.
Évoquant une villa italienne, La Gaude, dont la façade en pierre de Bibémus est couronnée d’un petit fronton, doit son aspect actuel aux travaux menés vers 1750 par Charles Pisani. Nettement détachée des bâtiments agricoles qui l’entourent, la demeure est assise sur une terrasse. Celle-ci domine un labyrinthe de buis encadré de miroirs d’eau. Au-delà se déploie un parc à la française dont le centre est marqué par un bassin circulaire. © Bernard Galéron La silhouette du château de La Calade, entourée des arbres de son parc, se détache sur une petite éminence. Issu d’une famille qui avait donné plusieurs consuls à la ville d’Aix, Jérôme de Duranti, conseiller en la cour des comptes, aides et finances de Provence, anobli depuis peu, fit construire cette demeure à partir de 1634.
Le choix d’un tel site privilégié constitue le trait déterminant de l’ensemble, bien avant la proximité immédiate de l’eau, recherchée souvent à plusieurs kilomètres. Elle distingue la bastide des fermes plus modestes. À l’arrière ou sur son côté se développent les bâtiments agricoles.
Romégas. Le dessin du parterre de buis, ordonné en compartiments autour d’un bassin, semble issu des modèles publiés dans les traités sur les jardins en vogue à la création du domaine (début du XVIIIe s.) par la famille qui lui a donné son nom. Au fond, la tèse prolonge l’axe principal du jardin. Traitée en charmille, elle a conservé son bassin rond, qui attirait irrésistiblement les petits oiseaux.
La propriété se divise en plusieurs espaces, chacun ayant une fonction précise sans pour autant que la continuité visuelle soit interrompue. À l’espace lucratif des terres agricoles, qui constitue le lieu d’expérimentation privilégié des techniques de pointe, s’ajoutent les espaces de production familiale des vergers et des potagers, idéaux pour les essais botaniques, comme d’ailleurs les jardins des hôtels particuliers. Le bois et la tèse, longue allée en charmille où l’on chasse les petits oiseaux, sont réservés aux loisirs intimes.
Violaine, à Venelles, porte le nom de son créateur, parlementaire et conseiller du roi. Les contrastes de lumière magnifient le bâtiment et la serre qui le prolonge. À Violaine toujours, le dessin du parterre est particulièrement complexe et original : des fleurs ou des rectangles, enceints dans une haute bordure. © Nerte Dautier
Le jardin ordonnancé, avant-scène élégante de la demeure, constitue l’espace d’apparat, signe tangible de la culture et de la richesse du propriétaire. C’est un véritable « théâtre de la nature » où jouent l’eau, l’ombre et la lumière magnifiées par l’architecture des escaliers, des bassins, des nymphées, des grottes, des salles vertes, des boulingrins et parterres de buis taillés en broderies. De grands sculpteurs régionaux ont peuplé ces espaces de statues où dieux et héros de la mythologie alternent avec un bestiaire familier ou fantastique, comme à La Mignarde, à La Gaude ou à Violaine.
« Se radasser » en compagnie, un art de vivre
Le décor intérieur de la demeure se calque sur celui des hôtels particuliers, mais parmi les pièces traditionnelles du mobilier, la « radassière » s’impose comme plus spécifique de la bastide : son nom vient du provençal radasso, qui signifie traîner, paresser. Inspirée du divan à la turque, elle occupe dans le salon une sorte d’alcôve. C’est sur ses coussins moelleux que la compagnie rassemblée passait les heures les plus chaudes de l’été.
Ainsi le Provençal s’est dessiné dans la bastide, microcosme à sa mesure, un univers privilégié sans se couper complètement des réalités. Résultant d’un équilibre subtil entre l’otium , le loisir, et son contraire, le negotium, l’esprit qu’il a su créer est encore sensible dans la vallée des Pinchinats, notamment, où le charme bucolique et agreste du paysage complète avec bonheur les ordonnances classiques des bastides.
© VMF/MAP
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