Dans un petit coin « de paradis terrestre au bord d’une colline basque », Edmond Rostand au faîte de sa gloire a lié son nom pour l’éternité à des jardins nés de son imagination et de son esthétique exigeante de poète, tout autant que de son amour de la nature. Ces jardins, sur lesquels tant de bonnes fées se sont penchées, ont retrouvé tous leur faste et leur charme d’origine. Et la magie opère toujours…
Dans ces jardins conçus comme un poème, chaque fleur comptait, choisie avec la même patience, le même sens des nuances et de l’harmonie que les mots d’un vers. Chaque parterre exigeait autant de travail et d’inspiration qu’une scène ou une réplique… Parce qu’à Arnaga Edmond Rostand a voulu créer une merveille en réalisant son plus beau désir de bonheur dans un décor accordé à son âme, il y a déployé des trésors d’imagination, de persévérance, de recherches enfiévrées, multipliant plans et croquis dans une quête incessante de la perfection. Ses jardins d’Arnaga sont peut-être, son œuvre la plus voulue, la plus méditée, la plus inspirée, loin des bruissements du monde et de sa vie tourbillonnante. Et, grâce à de remarquables travaux de restauration et de restitution menés récemment à partir d’un important fonds d’archives, nous pouvons aujourd’hui les admirer, tels que Rostand les a rêvés, dessinés et tant aimés.
Lumières et paysages
Ce fut un premier coup de foudre pour les ciels et les horizons infinis du Pays basque qui le retint à Cambo-les-Bains où, auréolé de la gloire de Cyrano et de l’Aiglon, il était venu en cure se remettre d’une grave pleurésie. Et ce fut un second coup de foudre pour l’admirable paysage découvert du haut d’une colline couverte de chênes qui, en 1902, lui fit acheter treize hectares de landes ensauvagées, avec une vue époustouflante sur la vallée de la Nive, les monts Baïgura et Ursuya, et, dans les lointains, la Rhune. En contrebas, un petit cours d’eau champêtre, l’Arraga, allait donner son nom, légèrement modifié par le poète, à ce domaine enchanté : Arnaga.
D’une ardente rêverie poétique et érudite devant ce paysage devaient naître les jardins d’Arnaga, ouverts de tous côtés sur les monts pyrénéens avec lesquels le dialogue se poursuit sans fin, toujours changeant au gré des heures, des saisons et des déclinaisons de la lumière. Les jardins, créés avant la construction de la maison, ont donc d’abord été conçus pour s’intégrer harmonieusement dans ce tableau et, du levant au couchant, s’ouvrir au paysage, source majeure d’inspiration et d’apaisement : « Combien vite son esprit retournait à la nature même, aux montagnes limpides qui entourent Arnaga, aux ravins d’une teinte d’écaille jaspée, à l’eau charmante de la Nive calme et longue, aux belles routes heurtées qui montent, descendent, et où sonnent dans le silence le pas et le grelot de la mule ! Beauté du ciel, lumineux crépitement des astres dans la nuit… » (Anna de Noailles, lettre du 21 septembre 1922 à Joseph Bédier). Avec la croissance des arbres, la vue n’est plus aussi dégagée que Rostand l’avait voulu, mais le projet initial est encore bien lisible avec ses vastes perspectives sur les lointains.
Un foisonnement d’idées
Dès l’achat, la colline est devenue un immense chantier : Edmond Rostand voit grand, il fourmille d’idées très précises, dessine les plans, peaufine les détails, accumule une énorme documentation, des traités de jardinage du W-XVIIe siècle aux catalogues de Georges Truffaut. Il en discute passionnément avec son architecte Joseph-Albert Tournaire (1862-1958), et supervise les travaux de son architecte paysagiste, le Bordelais Pierre Ferret (1877-1949). Et ce sont deux jardins qui sortent de terre, très différents mais qui lui ressemblent et répondent à ses états d’âme. Le plus vaste, occupant tout le plateau à l’est, s’inscrit dans la tradition du jardin à la française, avec ses lignes géométriques, sa symétrie rigoureuse, sa longue perspective fuyant vers la montagne. Parterres de fleurs et broderies de buis, miroir d’eau et canal, roseraie (aujourd’hui disparue), orangerie, gloriette et petits pavillons ornés de mascarons, topiaires, charmilles taillées, grands vases couverts de lierre, élégants treillages, bustes de poètes à l’antique, citronniers en caisses : Rostand n’avait rien laissé au hasard pour recréer l’exemple parfait du jardin régulier, quintessence de l’élégance classique et de l’esprit français.
Face à l’orangerie, le Coin des poètes, qui rend hommage aux grands écrivains admirés par le maître des lieux, Shakespeare, Hugo et Cervantès, a retrouvé son élégant treillage d’origine avec ses trois arcs en plein cintre qui répondent aux trois baies cintrées de l’orangerie. Le bâtiment de l’orangerie ouvre sur les parterres du jardin à la française.
À l’ouest, derrière la maison, le poète imagina un jardin plus libre, plus naturel, plus sensoriel, pour y abriter ses rêveries les plus secrètes, son besoin de solitude et de recueillement : une longue pelouse, des rhododendrons et des azalées, une grotte et une fontaine, quelques arbres conduisaient le promeneur jusqu’à un promontoire d’où se découvrait la vallée de la Nive.
Et pour servir d’écrin à ses jardins, il avait voulu, sur les flancs de la colline, une forêt, une vraie forêt, non pas de jeunes plants mais de sujets de belle taille. Pour ajouter aux très vieux chênes qu’il avait conservés et taillés en têtard, il fit d’abord transplanter des tilleuls âgés de quatorze ans achetés au chanoine Abbadie, propriétaire du domaine d’Escanda. Il n’avait pas lésiné sur les moyens, comme le raconte son ami Paul Faure dans Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand (1928) : « On les déplanta, à l’aide de treuils compliqués, et on les replanta. Après cela, des platanes, des cyprès, des ifs taillés, prirent le chemin d’Arnaga. Ce fut, pendant des mois, une procession d’arbres, une allée marchante, un spectacle qui clouait d’étonnement les bons Basques, peu habitués à voir des arbres en pleine croissance déterrés et trimbalés comme des asperges. Opération compliquée, délicate, mais qui réussit à merveille. Par ce moyen, Rostand donnait de la patine à son jardin. Arnaga eut tout de suite de l’âge. » Au fil des années, Rostand n’a cessé d’embellir ce domaine où il rêvait de finir ses jours.
Renaissances
Tout au long de son histoire plus que centenaire, le jardin créé par le poète a subi bien des transformations : après la mort de Rostand, emporté en 1918 par la grippe espagnole, la famille est obligée de se séparer du domaine, trop coûteux à entretenir. Les différents propriétaires qui s’y sont succédé ont apporté des modifications plus ou moins heureuses, jusqu’à ce que la municipalité de Cambo-les-Bains rachète Arnaga en 1962, sous l’impulsion de Jean Rostand, fils de l’écrivain.
En 2013, la première tranche des travaux de restauration s’est portée sur le grand parterre fleuri et l’entrée de la maison. Des ornementations végétales depuis longtemps disparues ont été recréées à l’identique, à l’instar de cette spirale de gazon située sur le côté de la maison. Encadrant la grande pergola, les deux pavillons octogonaux, à l’architecture très ajourée pour ne pas masquer l’immense panorama, sont ornés aux quatre points cardinaux de charmants mascarons. Sous la colonnade de la pergola.
Grâce au soutien financier de la Drac Aquitaine, du conseil régional d’Aquitaine et du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, de grands travaux ont été entrepris, appuyés sur les très nombreux documents d’époque que possède le Musée Rostand. Les quatre hectares de jardins à la française ont retrouvé en 2015 leur splendeur d’origine : dessins des allées et des parterres, fleurissements, topiaires, vases ont été minutieusement restitués, et la grande pergola et ses pavillons octogonaux restaurés. Le Coin des poètes, avec les bustes de Shakespeare, Victor Hugo et Miguel de Cervantès dus au sculpteur Auguste Maillard (1864-1944), s’orne à nouveau de son élégant treillage de bois qui avait disparu. Des centaines de nouveaux hortensias bleus et blancs, de rhododendrons, de camélias fleurissent les abords, comme l’avait souhaité Rostand. Une attention particulière a été portée aux arbres devenus vénérables, qui constituent aussi l’un des trésors d’Arnaga : tulipiers de Virginie, cèdres bleus de l’Atlas, pin pleureur de l’Himalaya, chênes têtards aux silhouettes étonnantes, tilleuls plus que séculaires – ce sont quelque 500 arbres auxquels a été décerné en 2012 le label « Arbres remarquables de France ».
Autant de merveilles et autant de raisons d’assurer la survie de ce patrimoine fragile qu’avait rêvé un poète, au bord des Pyrénées, dans une solitude enchantée…
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