Le 12 juin, après quatre ans de chantier, l’hôtel de la Marine, place de la Concorde à Paris, a enfin ouvert ses portes. L’ancien Garde-Meuble de la Couronne dévoile des appartements du XVIIIe siècle restaurés à l’identique. Décors, mobilier, textiles, objets du quotidien… aucun détail n’a été négligé par le Centre des monuments nationaux (CMN). Visite.
« Ce que nous avons essayé de faire sur ce chantier, c’est de trouver un juste milieu entre l’historicité, la science et l’esthétisme. » Les décorateurs Joseph Achkar et Michel Charrière, qualifiés d’« ambassadeurs du XVIIIe siècle » par La Gazette Drouot, n’en sont pas à leur coup d’essai. Ces deux virtuoses ont déjà à leur actif de remarquables restaurations en Europe et ont acquis et restauré le château de Ravel, en Auvergne, et l’hôtel du duc de Gesvres, à Paris. Une nouvelle fois, c’est une réussite : immersion garantie dans un grand palais du siècle des Lumières.
S’il fut l’« hôtel de la Marine » pendant plus de 200 ans – de 1789, quand Louis XVI quitte Versailles, suivi par ses ministères, à 2015 –, l’édifice abrita également le Garde-Meuble de la Couronne. De 1768 jusqu’à la Révolution, la prestigieuse administration royale s’installe sur la nouvelle place Louis XV, dessinée par le premier architecte du roi Ange-Jacques Gabriel. Le palais, dont la première pierre est posée en 1758, participe au rayonnement du pouvoir de la monarchie : les meilleurs artistes et artisans, à l’œuvre sur les chantiers des bâtiments du roi, sont engagés par les deux intendants successifs. Pierre-Élisabeth de Fontanieu, en 1772, puis Marc-Antoine Thierry de Ville-d’Avray, en 1784, y font aménager de somptueux appartements.
Après le départ de l’état-major de la Marine, en 2015, l’emblématique bâtiment de l’ancienne place royale est confié au CMN, qui souhaite restaurer les appartements de l’Intendant et ainsi faire redécouvrir l’hôtel du Garde-Meuble. Confier le monument à un opérateur public culturel pour qu’il soit restauré et ouvert au public était la préconisation faite par la commission Valéry Giscard d’Estaing – initiée par Nicolas Sarkozy pour statuer sur l’avenir de l’édifice – en 2011. Par chance, ces appartements ont conservé leurs décors d’origine ou des éléments décoratifs suffisants pour ne laisser que peu de place à l’hypothèse. Sous la houlette de l’architecte en chef des monuments historiques Christophe Bottineau, on décide de créer l’atmosphère d’une maison qui a vécu : on restitue toutes les peintures, les dorures et les fresques murales, on utilise des textiles anciens du XVIIIe siècle et on remeuble avec un mobilier d’époque, dont une grande partie était au Garde-Meuble. Une restauration exemplaire, rendue possible par l’existence des inventaires et le comportement des Marins.
Dans le vestibule d’entrée, toutes les peintures ont été récupérées. Un plâtre du XVIIIe siècle, conservé par la Ville de Paris, une femme à l’antique, correspondait au descriptif et a remplacé la sculpture disparue. © Françoise Durand Le grand cabinet de travail de Thierry de Ville-d’Avray est orné de toiles peintes de la fin du XVIIIe siècle (peinture sur soie), achetées chez un antiquaire. © Françoise Durand
« Vive les Marins, c’est grâce à eux que tout a été sauvé ! » s’exclame Joseph Achkar, qui n’hésite pas à qualifier cela de « miracle de la Marine ». C’est en effet le seul bâtiment ayant appartenu à la Couronne à être arrivé jusqu’à nous presque intact. Sous les aménagements réalisés par l’état-major, la distribution et les décors orignaux ont bien souvent été conservés. Rien n’a été abîmé ou cassé. La plupart du temps, seules quelques couches successives de peinture ont été posées. Un chantier ponctué de belles découvertes : dans le petit cabinet doré par exemple, devenu office au XIXe siècle puis cuisine au XXe siècle, couvert de meubles en aluminium, on a retrouvé les boiseries avec la peinture et la dorure d’origine ainsi que les deux cheminées initialement présentes.
La politique adoptée pour l’ensemble de la restauration est donc de dégager et de restaurer les décors. Une première dans l’administration. Dégager les couleurs, sans repeindre, pour conserver la patine et restituer l’atmosphère : « Nous avons restauré les lacunes comme on restaure un tableau. ». Pour Michel Charrière, « cette poésie des lieux ne peut pas exister sans les rides du temps ». Dans le vestibule d’entrée, toutes les peintures ont été récupérées ; les boiseries de la salle à manger ont conservé leur peinture d’origine ; le décor du XVIIIe siècle en faux marbre et en pierres appareillées de l’escalier qui mène aux appartements a été dégagé et restauré ; etc.
Dans l’escalier de l’Intendant, qui mène aux appartements, le décor du XVIIIe siècle en faux marbre et en pierres appareillées a été dégagé et restauré. © Françoise Durand Marc-Antoine Thierry de Ville-d’Avray succède à Fontanieu dans les fonctions d’Intendant en 1784. Il se fait aménager un autre appartement dans l’angle nord-est de l’édifice : le laboratoire de physique voulu par Fontanieu laisse la place aux appartements du nouvel intendant qui font pendant à ceux de Madame au sud. © Didier Plowy/CMN
Les 900 pages d’inventaire, dans lesquelles chaque détail du bâtiment est répertorié, chaque changement, avec un descriptif complet et détaillé, pièce par pièce, meuble par meuble, ont permis de restituer un état très voisin de celui qu’ont connu les intendants du Garde-Meuble. Ainsi, dans le cabinet doré, grâce à l’existence des inventaires, le secrétaire à abattant et la table des muses, commandés par Fontanieu au célèbre ébéniste Jean-Henri Riesener en 1771 et séparés en 1830, ont retrouvé leur emplacement d’origine. Dans la chambre de Madame Thierry de Ville-d’Avray, c’est la brocatelle verte voulue par Fontanieu qui a été retissée.
Dans la chambre de Madame de Ville-d’Avray, une brocatelle verte, voulue par Fontanieu, a été retissée. Le tapis est une commande de Louis XIV pour la galerie du bord de l’eau, au Louvre, tandis que le lit à la polonaise, avec sa broderie de Beauvais d’origine, date du XVIIIe siècle. © Didier Plowy/CMN
L’un des enjeux de ce chantier était de ne pas créer de dissonance entre ce qui a été reproduit ou restauré. Pour cela, grâce à un rigoureux travail d’identification, de recherche et de localisation, beaucoup de meubles et d’objets qui étaient dans les lieux au XVIIIe siècle ont été retrouvés. Une politique d’acquisition active et la collaboration avec d’importants partenaires publics – Mobilier national, musée du Louvre, musée des Arts décoratifs, musée national du château de Versailles, etc. – ont permis leur restitution. Commandé en 1784 par Thierry de Ville-d’Avray pour son grand cabinet, le secrétaire à cylindre de Riesener a été déposé par le musée du Louvre. Un buffet, de Riesener également, commandé par Ville-d’Avray et qui se trouvait en dépôt à l’Élysée, a été restitué au Mobilier national pour être présenté à l’hôtel de la Marine.
La chambre de Fontanieu a été remeublée grâce à une collaboration avec d’importants partenaires publics : le mobilier est un prêt du musée des Arts décoratifs, le lit du Mobilier national et la commode du musée du Louvre. © Didier Plowy/CMN Le mobilier de la chambre de Thierry de Ville-d’Avray n’est pas celui commandé par l’intendant : le musée de Boston, qui détient le mobilier d’origine, a catégoriquement refusé de le prêter. © Didier Plowy/CMN
En l’absence des pièces d’origine, des œuvres équivalentes ont été retenues. Mobilier, textiles anciens et objets d’art et du quotidien ont permis de récréer l’atmosphère XVIIIe, en alliant authenticité, rigueur scientifique et sensibilité poétique. Tapissiers, doreurs, ébénistes, bronziers… les meilleurs artisans français ont été sollicités pour redonner vie à l’ancien Garde-Meuble. Ces quatre années de chantier ont mis à l’honneur l’extraordinaire savoir-faire français : les passementiers de la manufacture Declercq, qui ont conservé les mêmes méthodes qu’au XVIIIe siècle, ont reproduit très fidèlement des embrases d’époque. Un exemple parmi tant d’autres…
Fruit d’une collaboration réussie entre public et privé – le modèle économique (prêt contracté, publicité, mécénat et location d’espaces de coworking) permettra l’auto-financement après deux ans –, le chantier mené par le CMN, sur lequel les meilleurs artisans d’art se sont succédé, a transformé l’hôtel de la Marine en un musée exceptionnel. Le témoignage de l’excellence de l’architecture et du décor au XVIIIe siècle au cœur de Paris !
Hôtel de la Marine
2, place de la Concorde 75008 Paris