Lieu d’une guerre civile ayant fait près de 200 000 morts, le territoire vendéen est encore aujourd’hui marqué par l’événement. Plaques commémoratives, monuments et œuvres d’art jalonnent ses paysages. Au sein de cet art commémoratif, les vitraux constituent un support mémoriel particulier. Si la majorité de ces « témoins de verre » ont été réalisés au XIXe siècle, certains artistes ont poursuivi la tradition votive vendéenne. C’est le cas du maître verrier mortagnais Roger Degas (1899-1981).
L’église Saint-Hilaire de Mortagne a bien failli succomber sous la pioche des démolisseurs. Fermée en 2007 à cause du mauvais état de ses couvertures, elle a vu s’agiter autour d’elle partisans et adversaires d’une « déconstruction ». En 2013, une consultation auprès des habitants de la commune fit pencher la balance en faveur des premiers, mais la mobilisation des défenseurs du patrimoine permit heureusement de sauver l’édifice l’année suivante, grâce notamment à son décor verrier qui constituait, au dire même de Julien Bourreau, conservateur des antiquités et objets d’art de la Vendée, « l’élément clef du dossier ».
Saint-Hilaire de Mortagne possède en effet trois verrières originales dont les scènes s’inspirent d’épisodes de l’histoire locale au temps des guerres de Vendée. La chose n’est pas rare dans l’ancien territoire insurgé en 1793, à cheval sur quatre départements, dans lequel une soixantaine d’églises et de chapelles abritent ce qu’on appelle les « vitraux vendéens ». Ce patrimoine régional unique, créé pour l’essentiel à partir de la dernière décennie du XIXe siècle jusqu’aux années 1960, offre une grande variété de sujets : des scènes emblématiques comme l’entrée en guerre d’Henri de La Rochejaquelein, le pardon de Bonchamps, la messe dans les bois, le martyre de prêtres et d’habitants des paroisses, les généraux vendéens ou la description de batailles. Ce patrimoine présente aussi dans sa forme une remarquable diversité de styles propres aux maîtres verriers qui s’y sont illustrés, des chefs-d’œuvre de réalisme signés par le duo Clamens-Livache au Pin-en-Mauges, à Chanzeaux et Chemillé (de 1895 à 1917), aux créations modernes de Bordereau, Uzureau et Degas au milieu du XXe siècle.
C’est d’ailleurs à ce dernier, Roger Degas, qu’on doit les trois verrières de Saint-Hilaire. Né à Mortagne-sur-Sèvre en 1899, cet artiste issu d’un milieu modeste avait été influencé par un grand-père peintre vitrier et par un oncle qui l’initia au dessin. Après des études aux Beaux-Arts à Nantes, il établit un petit atelier dans sa ville natale. Si l’endroit a aujourd’hui disparu, on en conserve toutefois les photographies prises sur place après la mort de Roger Degas en 1981, ce qui nous donne un bel aperçu de l’espace de travail et du matériel d’un maître verrier à cette époque. Le Brahm (Bureau de recherches historiques et archéologiques de Mortagne) a recueilli d’autre part plusieurs dessins préparatoires et cartons servant de modèles à taille réelle pour l’assemblage des verres.
Parmi les nombreuses réalisations de Roger Degas figurent plusieurs exemples de vitraux vendéens. Les premiers, établis sur des dessins de Maurice Laurentin, architecte de Cholet, ont été posés dans l’église de Saint-Florent-le-Vieil en 1934. Ils montrent, dans une baie du chœur, quatre scènes articulées autour de la vie du général Bonchamps ; et dans une autre, six épisodes des guerres de Vendée dans cette paroisse (le soulèvement de mars 1793, la mort de Cathelineau, les fusillades du Marillais, le martyre de l’abbé Robin, la paix de 1795, etc.).
À Saint-Florent-le-Vieil, ce vitrail, réalisé par Roger Degas en 1934, met en scène (à droite) Charles de Bonchamps, commandant des armées vendéennes, mortellement blessé le 17 octobre 1793 à la bataille de Cholet. Vitrail de l’église de Saint-Hilaire. Roger Degas a placé sous le décor de la messe blanche le calvaire que l’on peut encore voir de nos jours, le cimetière et l’ancienne église de Saint-Hilaire. Louis Lumineau, qui dirigeait les assemblées, se dresse au centre de la composition.
Les vitraux de Saint-Hilaire de Mortagne furent posés un an après. Ils se démarquent par leur thème et par leur composition. On y voit des victimes tuées sous le signe du Sacré-Cœur, les frères Pelé et l’abbé Chapelain, et l’on remarque une scène inhabituelle, une « messe blanche » au cours de laquelle les paroissiens communiaient à distance avec leur curé, l’abbé Payneau, qui avait été déporté en Espagne en 1792.
En 1944, Roger Degas s’associa au Nantais Henri Uzureau pour orner les grandes baies gothiques de l’église Saint-Jacques de Pouzauges. L’une d’elles développe en neuf tableaux les images les plus marquantes de la Grande Guerre de 1793. Cela plut tant au curé de la paroisse, le chanoine Louis Ratier, que ce dernier en commanda la réplique à Roger Degas pour l’église de Rocheservière, dont il était devenu le curé en 1950. L’ensemble, réparti tout au long des bas-côtés, paraît plus abouti et surtout plus lumineux et coloré qu’à Pouzauges. Le maître verrier réutilisa une fois encore l’un de ses cartons pour l’église de Courlay dans les Deux-Sèvres, en l’adaptant au cadre d’un massacre de 1794.
Roger Degas reçut une nouvelle commande importante en 1954 pour l’église de Saint-Mars-la-Réorthe. Il déroula, dans toutes les baies de la nef, au milieu d’une ornementation à motifs géométriques aux couleurs saturées, une suite originale d’épisodes de la Révolution dans la paroisse : l’expulsion de l’abbé Morenne en 1791, des exécutions d’habitants de Saint-Mars à Fontenay et Noirmoutier en 1794, et le martyre de l’abbé de Gruchy à Nantes en 1797.
Vitrail de Roger Degas pour l’église de Saint-Mars-la-Réorthe. Pierre Coutant, tisserand à Saint-Mars, condamné à mort pour avoir protégé des prêtres réfractaires, est guillotiné le 7 février 1794 à Fontenay-le-Comte. Vitrail de Roger Degas pour l’église de Saint-Mars-la-Réorthe. Huit habitants de Saint-Mars-la-Réorthe sont fusillés à Noirmoutier. Vitrail de Roger Degas pour l’église de Saint-Mars-la-Réorthe. Le 22 avril 1794, Marie-Anne Chenuau est retrouvée morte, victime du passage d’une colonne républicaine. Vitrail de Roger Degas pour l’église de Saint-Mars-la-Réorthe. Mathieu Gruchy, qui travailla comme menuisier dans l’église de Saint-Mars, fut ordonné prêtre quelques années plus tard. Il a été victime des persécutions anticatholiques relancées par le coup d’état de 1797.
Le maître verrier mortagnais est enfin signalé dans une dernière création de vitraux vendéens en 1957, pour la chapelle du château du Boistissandeau, aux Herbiers. Il ne fut cependant que l’exécutant de ces dessins de Van Guy, artiste tourangeau, et ne goûtait pas vraiment cette expression tranchante de l’art abstrait pour illustrer le massacre de Madame de Hillerin par des hussards en janvier 1794.
Souvent reléguée au second plan, derrière les créations les plus remarquables de Clamens au Pin-en-Mauges ou de Lux Fournier aux Lucs-sur-Boulogne, l’œuvre de Roger Degas a pourtant toute sa place dans ce patrimoine de lumière porteur de la mémoire vendéenne. La sauvegarde de l’église Saint-Hilaire de Mortagne l’a heureusement ramené au-devant de la scène en dédiant l’édifice à l’art du vitrail présenté dans un parcours pédagogique remarquable, axé autour des deux maîtres verriers de la commune : Roger Degas et Louis Mazetier.
Réalisées par Nicolas Delahaye, Jean-Christophe Ménard et Jean-Louis Sarrazin, toutes les photographies de cet article sont extraites du livre Guerres de Vendée, la mémoire du vitrail, publié aux éditions Pays & Terroirs, à Cholet, en 2021.