Dès le Moyen Âge, la vallée de l’Ognon fut ponctuée par de nombreux châteaux défensifs. À partir de 1676, Besançon remplaça Dole comme capitale du comté de Bourgogne et devint le siège du parlement. Dans la vallée, plusieurs familles de parlementaires remanièrent d’anciennes maisons fortes ou se firent édifier des résidences de plaisance qui illustrent, à leur manière, le raffinement du XVIIIe siècle.
Depuis la fin du XVIIe siècle, Vregille et Boulot sont liées par une histoire commune, celle de la famille Courlet, originaire du Haut-Doubs, qui s’enracine à Besançon et sur les bords de l’Ognon à la faveur des changements politiques nés de la seconde conquête de la Franche-Comté, au XVIIe siècle. C’est Alexandre Courlet (1647-1719), conseiller au parlement de Besançon, qui fait l’acquisition des terres et de la seigneurie de Boulot en 1683 puis de celles de Vregille en 1700. À sa mort, Boulot revint à son fils aîné Claude-François (1670-1736) tandis que le puîné, Alexandre-François (1684-1763), hérite de Vregille. Très liés, les deux frères vivent à Besançon dans le même hôtel situé à l’angle des rues de Pontarlier et Péclet. À la mort de Claude-François, sans postérité subsistante, Boulot se transmet successivement à deux de ses neveux, Alexandre-Joseph (1715-1754) – qui fera construire, à Besançon, l’hôtel de Boulot, rue Mégevand – et Claude-François (1723-1807).
Vregille et Boulot, une histoire commune, des destins croisés
Cinq familles se sont succédé à Vregille depuis le XIe siècle. Lorsque Claude-Alexandre Courlet acquiert la seigneurie en 1700, il trouve des éléments du logis seigneurial qu’y avait fait bâtir au XVIe siècle Louis de la Tour, seigneur de Moncley, ainsi que la maison dite du Régale. C’est son fils, Alexandre-François de Vregille, et son épouse, Thérèse-Françoise Mareschal de Longeville, qui font bâtir une grande partie de l’actuel château, dont les travaux débutent vers 1720. Si l’on en croit les marchés et mémoires, Alexandre-François présida en personne aux plus petits détails de la construction. Simple corps de bâtiment de plan rectangulaire, le château est agrandi, vers 1854, de deux pavillons en légère saillie. Jusqu’en 1748, Alexandre-François et sa famille habitèrent surtout leur hôtel de Besançon. Sa femme et ses enfants passaient néanmoins toute la belle saison à Vregille et il venait souvent les y rejoindre.
Ce mode de vie sera également celui de son fils, François-Désiré (1732-1808), officier d’artillerie associé aux travaux du célèbre Gribeauval, qui allait retrouver sa famille dès que son service le lui permettait. Avec son épouse, Marie-Anne Charlotte de Tabouret de Crespy, il recevait à Vregille, outre leurs cousins de Boulot, leurs parents Marmier qui venaient de Ray, ainsi que d’autres familles amies parmi lesquelles les Chaillot de Pin. De nombreux officiers de Besançon étaient également invités.
Les transformations du château de Boulot, qui ne comprenait lors de son achat qu’un rez-de-chaussée surélevé dominé par une haute toiture comtoise, sont plus tardives qu’a Vregille. Les travaux sont entrepris entre 1758 et 1763 par Claude-François Courlet, qui en confie la conception et l’exécution à Claude-Damien Gardaire. Les deux grandes façades de ce pavillon allongé sont divisées en trois travées par des chaînages à refends. Trois baies marquent les travées axiales. Celles du centre, cintrées, sont ornées de superbes mascarons sculptés par Gardaire. On reconnaît le visage d’Apollon du côté de la cour tandis que celui de sa jumelle Diane surmonte la porte donnant accès au grand salon. La date de 1763 figure dans un cartouche de la corniche. Selon l’usage de nombreuses demeures de campagne en Franche-Comté, les boiseries des pièces du rez-de-chaussée, datées de 1759, sont sobres et d’une très grande unité d’une pièce à l’autre.
À Pin, l’intervention des maîtres d’œuvre les plus talentueux
Comme à Vregille et à Boulot, le château de Pin est le résultat d’une reconstruction opérée par un titulaire de charge au XVIIIe siècle. À Pin cependant, le choix a été fait de conserver, à l’ouest de la cour d’honneur, plusieurs corps de bâtiment plus anciens. À la fin du XVIIe siècle, Philippe-Eugène Chifflet acquiert la seigneurie de la famille du Châtelet. En 1692, sa fille épouse Christophe de Chaillot, conseiller au parlement de Besançon, et lui apporte le domaine en dot. Le fils du ménage, Christophe-Ignace (1701-1765), reçu conseiller au parlement en 1726, obtient vingt ans plus tard l’érection en marquisat de la seigneurie de Pin-l’Emagny, jointe au fief de Dampierre-sur-Salon.
Il est difficile de connaître la date exacte de construction du château neuf. Il serait tentant de pouvoir l’inscrire dans le contexte de l’érection de Pin en marquisat, même si l’on ne peut exclure une date plus tardive, coïncidant par exemple avec l’acquisition par Christophe-Ignace d’une charge de président à mortier (1765). Une même interrogation persiste au sujet de l’architecte malgré la découverte de deux documents aux archives départementales de la Haute-Saône. Ces dessins étaient mêlés à d’autres concernant le château de Choye, construit par Nicolas Nicole pour le président d’Olivet vers 1772. Est-ce à dire que le château de Pin a été construit par Nicole ? Cela est stylistiquement plausible. Par ailleurs, l’élévation présente des annotations et la signature de l’entrepreneur Claude Jeambard qui a travaillé sur de nombreux chantiers d’églises pour des architectes renommés, dont Colombot et Amoudru. Le château neuf est un pavillon rectangulaire coiffé d’une belle toiture à quatre pans, rendue complexe du côté de la cour en raison de la présence d’un avant-corps en rotonde. Un jeu de lignes verticales naît du dialogue des chaînages à refends qui marquent les angles et encadrent la travée axiale côté cour avec les nombreuses fenêtres et lucarnes.
Buthiers, un château du XVIIIe siècle sur des fondations médiévales
Au côté de ces trois demeures liées à des familles de parlementaires, le château de Buthiers se distingue par plusieurs points. La demeure, habitée depuis la fin du XVe siècle par les Scey-Montbéliard, l’une des dynasties d’officiers parmi les plus anciennes et illustres de la Comté, n’a pas connu de reconstruction à proprement parler, mais plutôt une suite de modifications. Le haut donjon médiéval est peu à peu transformé et adapté à partir du milieu du XVIe siècle. La tradition rapporte qu’il fut victime, en 1595, d’un incendie allumé par les troupes de Tremblecourt envoyées par Henri IV. Il est probable qu’à l’image de nombreux autres châteaux comtois, le château de Buthiers ait eu à souffrir de la guerre de Dix Ans.
Le château de Buthiers a conservé son allée d’honneur plantée d’arbres. Cependant, une route la sépare désormais du portail ouvrant sur la cour d’honneur du château. Travée axiale de la façade d’entrée du château de Buthiers. Sur le fronton, les armes des Scey-Montbéliard, encadrées de lions dressés et surmontées d’une couronne de comte, furent bûchées pendant la Révolution.
Il faudra attendre la seconde moitié du XVIIe siècle pour que le château prenne sa physionomie actuelle, à la demande de Jean-Claude de Scey (1624-1713) et de son épouse Marie-Albertine de Blicterswick de Moncley. Le corps central est encadré par deux hautes tours carrées coiffées de toitures en pavillon. Un bel avant-corps en pierre de taille se détache au centre de la façade. Entre deux pilastres striés de bossages, la porte et la grande fenêtre qui la surmonte sont en plein cintre. Ces baies annoncent le haut fronton curviligne qui se découpe devant le toit. Ce jeu de lignes courbes est repris et cité de part et d’autre de l’avant-corps par les petits frontons curvilignes couronnant les huit fenêtres ainsi que par les quatre lucarnes du corps central. Enfin, au centre de chaque groupe de quatre fenêtres, se distinguent deux bustes d’homme barbus tournés l’un vers l’autre et posés sur des consoles. La façade sud, sans ressauts, conserve la trace des rainures des chaînes du pont-levis médiéval, comme si Buthiers, en plein XVIIIe siècle, à l’heure où la vallée de l’Ognon devenait, pour les familles parlementaires de Besançon, un lieu de villégiature autant que d’assise territoriale, tenait à réaffirmer ses origines défensives et son passé chevaleresque.
Un artiste comtois méconnu : Gardaire, sculpteur et architecte
Fils d’un menuisier, Claude-Damien Gardaire (1703-1771), d’abord sculpteur dans l’atelier de son cousin, l’architecte Galezot (1686-1742), deviendra architecte après la mort de ce dernier. Au château de Torpes (Doubs), il exécute les sculptures de la façade ainsi que les deux sphinges de la cour. Il convient sans doute de lui attribuer les paniers de fruits et de légumes dans la cour du château de Sermange (Jura), vers 1744, ainsi que les sphinges et le panier tressé en pierre du château de Boulot.
Très inspiré par l’Antiquité, il sculpte, pour le jardin du château de Boult, qu’il dessine vers 1745 pour Claude-Antoine d’Hennezel de Beaujeu, les figures de Jupiter, de Cérès, de Bacchus et d’Ariane (actuellement au château de Sorans) ainsi que le Printemps, l’Été, l’Automne et un flûtiste (dans l’escalier du château). La même année, pour sa maison de Besançon, il sculpte deux cheminées exceptionnelles : la première est consacrée à Apollon et la seconde à Jupiter. Une autre très belle cheminée peut lui être attribuée au 36 de la rue Renan à Besançon. Gardaire excelle également dans la sculpture de mascarons : à Besançon, on lui doit celui du portail de l’hôtel qu’il dessine en 1743 pour le chanoine Mairot de Mutigney (52 de la rue des Granges), comme celui ornant l’une des fenêtres de l’hôtel du chanoine d’Agay (actuel archevêché), qu’il a sans doute contribué à construire en 1745. Pour leur part, les deux mascarons de dieux ornant les façades du château de Boulot datent, sans doute, de 1763.
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