Une histoire d’amour, un attachement profond à la culture provençale, le sens du devoir et de l’effort, la fierté des petites avancées, le respect des traditions, le privilège de posséder une propriété unique… Tels sont les leitmotivs de Pierre-Marseille, Vincent et Anne de Saboulin Bollena, porteurs d’un certain « état d’esprit ». Malgré les sacrifices, pour cette fratrie, restaurer une maison c’est se construire soi-même et pérenniser un patrimoine.
De la bastide au château
C’est entre 1690 et 1715 que Joseph de Lanfant transforma en château la simple bastide acquise à Aix-en-Provence par son père. Sous la tutelle de son oncle Simon, agent du ministre Louvois pour les bâtiments du Roi dans le midi de la France, il acquit un goût sans faille et une solide culture générale. Aussi était-il apte à faire de Lanfant un écrin digne du rang qu’occupait sa famille dans la bonne société aixoise et provençale de l’époque. Le bâtiment fut doublé ; des écuries, un chai, une magnanerie, une chapelle, des remises furent érigés.
Un parc à la française en Provence
L’extérieur s’étend alors sur une centaine d’hectares et abrite deux fermes, ainsi qu’un parc unique pour la région. Le parc, à la française, longtemps attribué à André Le Nôtre, serait peut-être davantage le fruit de l’un de ses élèves. Peu importe, c’est sans conteste l’élément le plus remarquable de la propriété avec ses trois plans successifs en dénivelé comportant une terrasse, un miroir d’eau et, en contrebas, un parterre conçu autour d’un bassin circulaire.
Une statue de la Renommée se dresse à l’une des extrémités du bassin. Elle répond à la représentation de l’Abondance qui se trouve à l’autre extrémité. La statue d’Amphitrite, déesse de la mer et maîtresse de Neptune, a été conservée au bord du bassin. L’Abondance se dresse à l’une des extrémités du bassin.
Les statues sont pour certaines de l’atelier de Puget, pour d’autres de Chastel. Au-delà de leur apport esthétique, elles forment un ensemble thématique cohérent autour du triomphe d’Amphitrite et livrent un message de vie et d’espérance : l’Abondance et la Renommée, l’éternel recommencement des saisons, le chant du monde et le bonheur qui en découlent. La mythologie grecque de la mer domine l’ensemble statuaire avec un nymphée et sa fontaine de Narcisse, un Apollon delphinien, une Amphitrite salvatrice autour de ses dauphins, un Neptune dominant les forces malfaisantes (chevaux de mer, méduses). Ces statues marines englobent celles qui figurent la terre avec les divinités Cérès, Flore, Bacchus et Saturne. Le circuit hydraulique avait été conçu pour alimenter la cascade, l’ensemble des bassins, fontaines et statues mais également pour apporter une autonomie en eau sur le domaine.
Des Lanfant aux Saboulin Bollena
Au gré des successions et reventes, le château fut acquis au début du XIXe siècle par les Pascal, l’une des familles marseillaises d’industriels et financiers les plus prospères de l’époque postrévolutionnaire. Après plusieurs générations, à l’occasion du mariage de Félicie Pascal avec le comte Charles Law de Lauriston, fils du Maréchal et Pair de France, en 1852, son père voulut donner à sa fille une demeure d’apparence plus luxueuse. Il remania la façade sud et ajouta une tour crénelée. Félicie Pascal céda quelques années plus tard la propriété à sa cousine germaine Marie Pascal, mariée au baron Fernand Boyer de Fonscolombe, dont descend le propriétaire actuel, Me Emmanuel de Saboulin Bollena.
Un lourd héritage
Marie-Amélie, sa mère, avait hérité de Lanfant non sans encombre. Ce fut une interminable et douloureuse succession familiale, sous le signe de la malveillance, alors même que la propriété était dans un état plus que déplorable. Pierre-Marseille, le fils aîné d’Emmanuel et Laure de Saboulin Bollena, raconte non sans émotion comment, les jours d’orage, il accompagnait sa grand-mère chérie pour disposer des bassines à chaque étage. Il pleuvait dans la maison jusqu’au rez-de-chaussée. En 2002, un tiers des plafonds étaient effondrés et le bâtiment lui-même était à la veille de s’écrouler totalement.
Cette femme inépuisable donna l’impulsion de la restauration en parant à l’essentiel. Mais elle fit bien davantage encore. Elle transmit à son fils et ses petits-enfants sa passion pour cette maison au travers de son histoire, et les anecdotes ne manquent pas. Les séjours de son cousin Antoine de Saint-Exupéry et de sa mère, leurs parties de pétanque, les soirées des américains avec les jeunes filles des villages alentours pendant la libération, le passage du général de Gaulle venu assister à une messe dans la chapelle…
Dans le salon du midi, la cheminée est habillée d’un décor de boiserie sculpté du XVIIIe siècle en noyer et merisier. Ce joli décor provient d’une bastide près de Toulon (Var). Vue extérieure de la chapelle familiale. Le nymphée a perdu la statue de Narcisse qui se dressait à son sommet et se mirait dans l’eau de la fontaine.
Afin d’éviter que les erreurs du passé ne se reproduisent, Marie-Amélie acta que la propriété reviendrait à son fils aîné, Emmanuel, qui fit de même avec Pierre-Marseille. Ce dernier s’est engagé moralement auprès de son frère et de sa sœur a toujours les accueillir et à ce que Lanfant reste, à jamais, une maison de famille.
Le projet d’une fratrie, celui d’une vie
La fratrie a été élevée dans le sacrifice imposé par leurs parents pour assumer la restauration de la maison, classée au titre des Monuments historiques, et lui redonner son lustre d’antan. Se serrer la ceinture est un adage bien connu de la famille. Les enfants auraient pu se rebeller contre ce choix de vie qui les privait de bien des loisirs, eux qui voyaient alterner dans leurs assiettes pâtes, riz, patates. Mais il n’en est rien, bien au contraire. C’est avec une sincère admiration qu’ils évoquent l’engagement de leur père et le soutien sans faille de leur mère, Laure, le pilier qui souvent, dans l’ombre, élabore les fastidieux dossiers de demandes de subventions.
Loin des paillettes, dans l’austérité d’une maison dénuée de chauffage qui dénotait avec le luxe d’Harambure, la propriété du côté maternel, chaque petite restauration est et était une victoire… et une fierté. Les enfants saluent l’anticipation dont a fait preuve leur père. Celle de la succession bien sûr, qui s’est dessinée dans une fluidité toute naturelle. Celle de ses choix également. Emmanuel rénove les communs alors qu’il aurait pu apporter un peu de confort à la maison. La raison ? Louer les appartements afin de couvrir une partie des charges.
Philosophie de l’amour et de la vie
La fratrie, âgée de 23 à 35 ans, est d’une complicité et d’un respect édifiants, portée par un optimisme et une liberté inouïe. Chaque membre apporte sa pierre à l’édifice. Pierre-Marseille, le gestionnaire féru d’histoire et passionné par la mer, Vincent, le terrien impliqué dans l’agriculture et la solution des nouvelles technologies, et Anne, la spécialiste du patrimoine et de la communication culturelle.
Le premier rêve qu’ils caressent ? Revoir enfin Amphitrite se ranimer, avec le retour de l’eau, tant elles et ses cousines de sculptures exaltaient Pierre-Marseille enfant. S’ils avaient un message à livrer, ce serait sans doute celui de Philippe Besson dans Les Jours fragiles (Paris, Julliard, 2004) : « Les lieux sont aussi des liens. Et ils sont notre mémoire. »
Lanfant en une phrase ?
Pierre-Marseille : « Un premier amour intarissable. »
Vincent : « Un engagement familial. »
Anne : « La transmission et la philosophie de l’amour et de la vie, à l’instar du patrimoine statuaire. »