À l’occasion de la remise du « Prix VMF – Cabinet WARREN » d’un montant de 10 000 euros, le 31 octobre dernier, le château du Petit-Jard (Orne) revivait les grandes heures de son histoire.
Le domaine du Petit-Jard est issu du domaine seigneurial de la Motte-Fouquet dont la richesse provenait notamment des grosses forges implantées à partir de 1573 sur le domaine. Ces installations comprenaient un haut-fourneau situé au bord d’un grand étang et une forge à Cossé, près du village de Saint-Patrice. Elles étaient alimentées par les minerais de fer extraits dans la vallée du Petit-Jard et le charbon de bois produit à partir des taillis de la forêt de la Motte. Un modeste manoir entouré de quelques bâtiments d’exploitation avait été construit au XVIIe siècle au Petit-Jard pour héberger probablement les régisseurs ou les maîtres de forge.
En 1808, à la mort du marquis de Falconer, dernier seigneur de la Motte, le domaine est partagé entre sa fille, la marquise de Saint-Léonard, et son fils. Le fils, Aimable de Falconer, officier des armées de l’Empire, hérite de la partie du domaine située sur la paroisse de Saint-Patrice. Il s’installe quelques temps dans le manoir du Petit-Jard avant de se retirer chez sa sœur dans l’hôtel Saint-Léonard à Falaise, où il meurt en 1861. Entre-temps, le manoir, occupé par un fermier, brûle en partie. Le domaine est alors transmis à ses deux filles, madame des Moutis et madame de Vauborel, qui se désintéressent du domaine, ce dernier ne comportant plus les forges mais seulement des forêts surexploitées, des terres pauvres et un manoir en mauvais état.
Continuant la tradition de leur père, elles invitent cependant de temps à autres l’équipage de Mons de Carantilly, lié à la famille de leur tante Saint-Léonard, à chasser dans la forêt de la Motte. L’ancien manoir sert alors avec ses dépendances de rendez-vous de chasse. Cet équipage de Mons, ayant chassé dans la Manche jusqu’en 1850, est l’héritier d’une longue tradition de vénerie, avec une célèbre meute de chiens de vieille race constituée avant la tourmente révolutionnaire par le comte Charles Achard de Bonvouloir. Monsieur de Bonvouloir transmet ensuite la meute à son gendre Alexandre de Mons de Carantilly qui a chassé jusqu’en 1865, principalement dans les forêts de la Manche et de temps en temps au Petit-Jard.
Les déplacements dans ce beau site à la forêt giboyeuse sont particulièrement appréciés de sa fille Marie-Philomène, baronne de la Broise, qui a repris la meute avec son époux en 1865. Le domaine du Petit-Jard est racheté, pour elle, par son père, en 1867. Le domaine comprend alors 800 hectares de forêts et plusieurs fermes. Le grand étang, dit du Petit-Jard, n’est racheté qu’en 1881. Aussitôt en possession de son domaine, madame de la Broise entreprend de grands travaux pour accueillir son équipage, devenu l’équipage de la Broise, et ses invités.
La priorité est donnée à la construction des écuries pouvant accueillir onze chevaux, ainsi que leurs cavaliers dans des chambres situées au-dessus. Les travaux se poursuivent ensuite avec la construction de l’orangerie, du pavillon du piqueux, de la remise et du chenil. Le tout est construit dans un style néonormand mêlant avec audace les pans de bois aux damiers de briques et pierres blanches.
Pour le logis, madame de la Broise, qui dispose alors du château de Carantilly construit au siècle précédent dans un style classique, souhaite un petit château dans le goût du jour, c’est-à-dire néogothique, tout en conservant quelques rappels du style néonormand. Plusieurs styles se côtoient à l’intérieur : néogothique dans le grand salon et la salle à manger, renaissance dans la bibliothèque et louis XV dans le petit salon avec des boiseries remontées de son château de Carantilly. De nombreux artisans sont mobilisés pour réaliser les boiseries, les nombreuses sculptures sur pierre, les vitraux posés sur toutes les fenêtres, les toitures et leurs épis. Ces travaux très ambitieux, interrompus pendant la guerre de 1870, se prolongent durant seize ans.
Installé au Petit-Jard, l’équipage de la Broise dispose d’un excellent piqueux et d’une meute de grande qualité, obtenue à partir de la meute de Mons améliorée par croisement avec des chiens anglo-poitevins et des chiens de race normande pure. L’un des derniers loups de Normandie est pris par l’équipage de la Broise en 1873 en forêt d’Andaines.
Avant de mourir en 1887, madame de la Broise transmet, en 1884, le domaine du Petit-Jard à sa nièce Pauline de Mons de Carantilly, à l’occasion de son mariage avec Philippe du Rozier. Monsieur de la Broise laisse en même temps la conduite de son équipage à ce dernier. Philippe du Rozier, passionné de chasse et de chevaux, entreprend alors d’améliorer encore la meute par des croisements judicieux. En même temps, il développe un élevage renommé de chevaux dans son haras de Secqueville-en-Bessin, dans le Calvados.
En 1890, Philippe du Rozier monte, avec son ami le marquis de Maleissye, l’équipage du Petit-Jard. La meute se compose alors de 40 chiens issus de la meute de la Broise. L’équipage chasse en forêt de la Motte mais également en Andaines et en Écouves. Grâce à la qualité de ses chiens, il chasse indifféremment cerfs, biches et chevreuils. Lors d’un défi lancé par monsieur de Montsaulnin, l’équipage prend la même semaine un cerf, un chevreuil et un sanglier. Philippe du Rozier dispose également d’excellents chevaux de selle issus de son haras de Secqueville. De 1890 à 1894, l’équipage prend 97 cerfs, 24 chevreuils et 18 biches.
En 1894, monsieur de Maleissye se retire de l’équipage du Petit-Jard pour monter son propre équipage en Eure-et-Loir avec la moitié de la meute. L’équipage du Petit-Jard continue ensuite avec divers associés : monsieur Guilet en 1905, puis son neveu monsieur Dumont et enfin monsieur Pardieu. Les chasses se poursuivent après l’interruption due à la guerre de 1914. En 1925, le roi de Roumanie, alors en séjour à Bagnoles, est reçu au Petit-Jard, attiré par la réputation de la meute. Mais les années suivantes, Philippe du Rozier, malade, laisse la conduite de l’équipage à ses associés. L’année 1930 voit la fin de l’équipage du Petit-Jard qui est repris par monsieur Pardieu sous le nom d’équipage d’Andaines. En 1939, cet équipage s’arrête du fait de la guerre mais aussi d’une pneumonie qui met fin à la belle histoire de la meute du Petit-Jard.
Au Petit-Jard la vie continue. Le domaine est repris par le gendre de Philippe du Rozier, Wilfrid Challemel du Rozier. Durant la guerre, le château est en partie occupé par les Allemands, pendant que la résistance s’organise en forêt à l’initiative de Philippe et Olivier Challemel du Rozier. Mais, dans les jours qui précèdent la libération de Saint-Patrice le 15 août 1944, le château est bombardé par les alliés. Les vitraux sont en partie détruits et les toitures abîmées, mais c’est surtout le chenil qui est le plus atteint. Une puissante bombe explose à proximité immédiate, creusant un profond cratère et ruinant en partie la toiture. Par la suite, les travaux de remise en état se poursuivent, en fonction des moyens disponibles, par les générations successives de Challemel du Rozier très attachées à la propriété.
L’ensemble du château et des communs est inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 2005. Cette inscription a permis d’accélérer la restauration notamment des toitures du logis et de l’orangerie. Mais le chenil, mis en sécurité et hors d’eau de façon sommaire après-guerre, menaçait de tomber en ruine, comme malheureusement le pavillon du piqueux. Grâce à l’appui d’Aubry de Warren et des VMF, une nouvelle campagne de restauration va pouvoir commencer. Ce chenil pourra ainsi perpétuer le souvenir de la célèbre meute du Petit-Jard, près d’un siècle après que les chiens l’aient quitté.